Derrière les jolis discours vendeurs sur le bio, l’agriculture responsable, l’amour des paysans, les images de fermes d’Epinal au salon de l’Agriculture, on débusque vite les logiques implacables et anonymes de la techno-industrie, du capitalisme et des Etats.
Ces logiques destructrices prennent le dessus sur les niches alternatives et les mensonges type greenwashing, et alimentent non-stop l’accaparement des terres et la disparition des paysans au profit des seules productions rentables et industrialisées, au profit des firmes et des entreprises anonymes toujours plus grosses.
Ces logiques ne se briseront pas (seulement) avec des fleurs.
- Disparition des paysans et accaparement des terres par l’industrie et la finance
Les paysans de plus en plus dépossédés de leurs terres - Deux associations révèlent que l’accaparement des terres agricoles par des sociétés d’investisseurs et des entreprises progresse fortement en France. Et mettent en péril l’emploi paysan et l’agriculture biologique.
(...) quatre millions de petits propriétaires privés, dont la majorité ne sont pas des agriculteurs et ne connaissent pas le métier, se partagent 85 % des surfaces agricoles françaises
(...) Un nouveau type d’acteur a émergé en trente ans : les « sociétés agricoles financiarisées », écrit Terre de liens. Ces sociétés — où toute personne, physique ou morale, peut acquérir des parts même si elle n’a rien à voir avec l’agriculture — contrôlent actuellement 14 % de la surface agricole utile française, par achat, ce qui représente 650 000 hectares, ou location. Actuellement, une ferme sur dix est enregistrée sous ce statut.
(...) L’association décrit deux types d’« accapareurs », qui par des opérations de montages financiers contournent la réglementation afin de s’approprier toujours plus de terres. Les premiers sont les « agrimanagers ». À l’instar d’un agriculteur de la Vienne qui possède désormais plus de 2 000 hectares cultivés en grandes cultures (blé, orge, etc.).
(...) Le deuxième type d’accapareurs sont les entreprises, qui, en monopolisant des cultures favorisent la monoculture et engendrent des pollutions. Terre de liens s’attarde notamment sur l’exemple du groupe Altho — développé dans l’ouvrage Hold-up sur la terre de Lucile Leclair. Spécialisée dans la pomme de terre, cette société française vend un tiers des chips consommées dans l’Hexagone et est propriétaire d’une marque bien connue, Bret’s. L’entreprise se vante de son enracinement breton, et de sa collaboration avec les agriculteurs autour de l’usine. Mais de plus en plus, elle prend le contrôle direct des terres en rachetant les fermes des agriculteurs récemment retraités. Avec pour conséquences d’entretenir une monoculture industrielle de la patate, de polluer l’environnement en utilisant des pesticides, et d’empêcher l’installation de nouveaux paysans
(...) Des concentrations de zones agricoles qui devraient normalement être empêchées par la Safer, sorte de gendarme du foncier en France. Mais il est facile pour une transaction d’échapper à sa vigilance. Car, dans la quasi-totalité des cas, les ventes de parts de sociétés n’ont pas à lui être signalées.
(...) « L’agrandissement des exploitations agricoles va le plus souvent de pair avec l’agrandissement des parcelles, l’arasement des haies et le retournement des prairies permanentes au profit de cultures céréalières »
Enfin, plus elles s’agrandissent, moins les exploitations ont besoin de main-d’œuvre. « Une grande exploitation de 100 hectares emploie en moyenne 2,4 personnes, tandis qu’une petite exploitation en emploie 4,8 », lit-on dans l’étude. Des ouvriers agricoles souvent au statut précaire (CDD, saisonnier, travailleurs détachés).
(...)
Un manifeste pour 1 million de paysans : 200 fermes disparaissent par semaine. Rien que ça. C’est en réponse à ce chiffre effrayant que le collectif Nourrir, qui rassemble cinquante-deux organisations écologiques et paysannes, a lancé lundi 27 février le manifeste « 1 million de paysans », à l’occasion du Salon de l’agriculture à Paris. (...)
Le gouvernement et les lobbys capitalisto-productivistes veulent du cash, pas des paysans
Le gouvernement et les lobbys capitalisto-productivistes se contrefoutent complètement d’avoir des paysans ou des agriculteurs, ce qu’ils veulent c’est générer du cash, des profits pour les grosses entreprises, pour les fabriquants de produits chimiques et de matériels technologiques et numériques, pour les banques et la finance.
Leur "programme" inavoué (?) ce sont donc les toujours plus grosses exploitations gérés par des "agro-managers" ou des entreprises financiarisées, avec comme main d’oeuvre des salariés précaires et des robots.
Quelques paysans seront conservés pour le folklore qui plait aux touristes, pour quelques niches de biodiversité et de bio qui alimentent quelques secteurs profitables du libre marché. Tout le reste sera éradiqué sans pitié pour plein de "très bonnes raisons" (emplois, logements, sécurité alimentaire nationale, sécurité énergétique pseudo-renouvelable...) si on laisse perdurer la civilisation industrielle.
Le gouvernement et les lobbys capitalisto-productivistes qui dictent la politique se contrefoutent du bio et de l’agroécologie, de la protection du climat et de la biodiversité, ce qu’ils veulent c’est augmenter le fleuve d’argent qui ruisselle sur les plus riches et les puissants en industrialisant et financiarisant encore davantage l’agriculture, en la mettant sous la coupe des algorithmes, des IA, des robots sous GPS, des intrants dosés par programmateurs, des plants OGM.
Sans parler des volontés de plus en plus présentes de fabriquer des agro-carburants, de cultiver à la place de la nourriture des intrants végétaux pour les méthaniseurs industriels, de multiplier les éoliennes industrielles et les zones de production photovoltaïques sur des terres.
La production d’énergies rapporte bien davantage que la nourriture. Comme Frankestein, on se nourrira de décharges électriques ?
Bien sûr, au sein de l’Etat des conflits demeurent, certaines personnes et organismes voudraient sortir du système industriel et productiviste, mais globalement c’est la logique du Marché et de la production d’argent qui prime sur tout, et aussi le besoin de puissance et de centralisation du système étatique. On le voit aussi pour toutes les questions sociales, comme pour les retraites, le chômage...
L’agro-industrie, la concentration et la technologisation de l’agriculture répondent aux exigences de la civilisation industrielle (du système des Etats et du productivisme qu’il soit capitaliste ou autre), pas du tout à des objectifs de qualité, d’autonomie et de subsistance. Le système en place ne peut pas (et ses principaux "bénéficiaires" ne veulent pas) fonctionner autrement s’il ne veut pas s’écrouler prématurément.
C’est la "compétitivité" dans le libre marché qui prime, comme le montre tout récemment l’exemple des réponses à la concurrence des importations de fruits et légumes.
Voir aussi : Accaparemment des terres agricoles par de grandes entreprises capitalistes - Le capitalisme concentre les terres et éjecte les paysans
Pour le système en place, les terres et les fragiles sols millénaires sont juste, comme tout le reste, des gisements de cash, voués soit à l’accaparement agro-industriel, soit à la destruction par bétonisation pour faire la joie des aménageurs, du BTP et des spéculateurs (voir un exemple appliqué localement à Die en ce moment même, avec le programme de destruction de terres voulu par la CCD).
Comme pour tous les sujets, si on veut des changements qui vont dans le sens de la justice sociale/environnementale, de l’écologie et de l’autonomie, il faut se battre avec acharnement, être à la fois suffisamment nombreux et déterminés.
Et, idéalement, s’en prendre à la civilisation industrielle elle-même plutôt que de courir après ses innombrables sous-actions et conséquences néfastes.
Le capitalisme et l’Etat se contrefoutent du bio
Pour la civilisation industrielle, le bio ce n’est pas du tout un objectif ou un projet intéressant à généraliser, c’est juste une niche de marché parmi d’autres pour faire du pognon. Tant que le bio marche bien il existe, si la crise ou le libre marché n’en veut plus, il est détruit, comme n’importe quelle activité, fusse-t-elle géniale, hyper utile, écologique, socialement bénéfique ou vertueuse.
Pour la civilisation industrielle, le bio n’est pas assez rentable (au sens qu’il ne rapporte pas assez aux lobbies chimiques, mécaniques et bancaires) pour être généralisé. Elle ne le tolère que quand elle y est obligée ou pour certaines niches profitables. Et dans le cadre du libre marché, le bio reste trop cher, et donc accessible seulement aux franges aisées et/ou très motivées.
Le sujet des terres est à rapprocher des difficultés des produits bio dans le contexte du capitalisme et de l’inflation :
- Magasins bio, des fermetures en cascade - Plus de 200 magasins bio ont fermé en 2022, en raison d’une baisse du nombre de clients. Mais le pire pourrait survenir cette année avec l’explosion des factures d’énergie. (...) À l’effet post-Covid se sont ajoutées l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, poussant les consommateurs et consommatrices vers les marques de distributeurs, considérées comme moins onéreuses. (...) « Zéro résidu de pesticides, local, haute valeur environnementale (HVE)... les consommateurs sont un peu embrouillés. Il se disent qu’un produit HVE ou local, c’est quasiment un produit bio ! » (...)
- Crise de la bio : les producteurs galèrent - Les Français mangent moins de produits bio. Éleveuse de poules pondeuses dans le Gard ou de porcs dans la Sarthe, maraîcher dans les Côtes d’Armor... Ils témoignent de leurs galères. L’État, lui, est absent. (...) À l’autre bout de la France, dans les Côtes d’Armor, Jonathan Chabert est maraîcher, et distribue également ses produits en circuits courts — marchés et Amap principalement. Le constat est le même, les ventes baissent : « On était déjà à moins 10 % en 2021, et ça se confirme à moins 20 % en 2022 », détaille le Breton. « J’ai réduit mon salaire de 60 % pour maintenir celui de mes salariés, et là je vais demander le RSA »
(...) « Il y a aussi beaucoup de fermes, en maraîchage, arboriculture, élevage porcin, qui ne reçoivent pas d’aides de la PAC », souligne Philippe Camburet. « Pour elles, il faut absolument un soutien. » La Confédération paysanne propose une aide de 15 000 euros par emploi (par actif) sur chaque ferme. « Certaines sont au bord de l’arrêt, n’ont plus de trésorerie », justifie Laurence Marandola. « Et ce ne serait pas entendable que l’on nous objecte un problème de moyens car l’État les a bien trouvés pour les betteraviers ou la filière porc conventionnelle. »
(...) « Il y a un abandon de la bio par le gouvernement » - L’agriculture bio symboliquement enterrée
Aucun consomm’action vertueuse ne pourra enrayer ce phémomène, l’addition des consommateurs dits responsables ne peut pas suffire à stopper la machine techno-productiviste et la logique capitaliste.
Le libre marché ne pourra jamais apporter de solutions viables aux problèmes structurels posés par le libre marché.
Comme toujours, les vertueuses alternatives et propositions ne suffisent pas pour changer positivement la situation, il faut aussi des rapports de force, des luttes acharnées, des conflits violents...