Le tourisme est généralement présenté comme quelque chose de positif, de neutre. En réalité il n’en est rien.
L’industrie touristique ne cesse de s’accroître, de détruire la nature et les relations sociales humaines. Un livre est particulièrement éclairant sur ces sujets.
Le tourisme s’étend partout, dans les ruines, dans le tourisme virtuel et la virtualisation du réel. Le tourisme est à la fois une extension du capitalisme, et un complément qui est très utile.
- Désastres touristiques : plus importante industrie au monde, l’industrie du tourisme repose sur nombre d’autres industries
- Usine à touristes
Désastres touristiques, livre de Henri Mora : Depuis plus de 50 ans, nous savons que le tourisme est néfaste. Pourtant, l’industrie touristique n’a cessé de s’accroître et s’étendre. Les 25 millions de touristes internationaux de 1950 représentent aujourd’hui 1,5 milliard, elle représente 180 milliards d’euros en chiffre d’affaires, et ce sont plus de 90 millions de visiteurs qui viennent en France. Elle est très rentable et très polluante.
Pourquoi, malgré toutes nos connaissances sur sa nocivité, continue-t-elle de progresser ?
La plupart d’entre nous croyons que les congés payés ont été une avancée sociale importante, que les voyages forment la jeunesse, sont source de connaissance et de tolérance, que le tourisme est un « moment de liberté gagnée ou de repos du guerrier mérité. »
La réalité est tout autre.
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Henri Mora retrace l’origine historique des congés payés et du tourisme qui ont été mis en place par les régimes fascistes italien et allemand.
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L’instauration d’un temps de non-travail trouve donc son origine dans la volonté des États de l’encadrer afin de s’opposer aux rapports sociaux de classe, de créer une illusoire solidarité entre patrons et ouvriers et de maintenir la paix. Le tourisme n’est pas démocratique, il est une activité qui répond aux lois du système capitaliste.
Dès l’Antiquité, les voyages ont pour but de coloniser, créer de nouvelles cités, s’approvisionner en esclaves. Ce sont essentiellement la guerre, le commerce et la religion qui motivent les voyages et de nombreuses infrastructures ont alors été créées pour étendre l’empire capitaliste aux territoires les plus reculés. Le tourisme est une colonisation « démocratisée », c’est-à-dire industrielle.
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Le tourisme transforme le temps de non-travail en valeur marchande : le touriste-client consomme, l’autochtone-producteur vend la marchandise et les prestations. L’ingénieur, l’architecte, le promoteur aménagent le territoire de telle façon à transformer les traditions, l’histoire, les villes et villages en objets marchands, en spectacle, en musées-entreprises. Toutes les collectivités territoriales s’appliquent aujourd’hui à promouvoir leur territoire pour attirer les clients.
« Le tourisme, à Venise, à Barcelone ou ailleurs, réduit l’espace consacré aux habitants. Il ronge toujours davantage les lieux de vie au profit des sites consacrés aux visiteurs. L’espace public, qui appartenait auparavant aux habitants, où les enfants pouvaient jouer au foot après l’école, se voit continuellement grignoté par de nouvelles terrasses de cafés et de restaurants. Cet envahissement des centres villes historiques participe à leur gentrification, les plus pauvres étant relégués à la périphérie. »
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Avec la baisse du temps de travail et l’instauration des RTT, un tourisme plus diffus dans le temps se développe. Après le littoral et la montagne, il s’agit de développer un tourisme à l’intérieur du territoire français. Après l’or blanc (la montagne enneigée) et l’or bleu (la plage et les activités aéronautiques) voici venu le temps de l’or vert (campagnes et forêts). L’industrie touristique a transformé le monde dans sa globalité en objet à consommer.
Le tourisme étant une colonisation des territoires, comme toute colonisation, il rend les populations dépendantes en leur ôtant toute forme d’autonomie. Le tourisme de montagne, pour donner un exemple, a transformé l’économie de subsistance en une économie de services saisonniers. À défaut de neige, il y a les canons à neige artificielle, mais aussi la pratique du kayak, de l’escalade et de la randonnée. C’est pourquoi les habitants, dont la principale source de revenus est désormais le tourisme, participent à valoriser leurs lieux de vie en vue d’attirer les touristes-clients.
La muséification transforme les villes en entreprises, les habitants en prestataires de service, les touristes en clients du supermarché global.
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« Le tourisme transforme toute réalité et tout sentiment réellement vécus en simple curiosité et, tout au plus, en émotions stimulée par sa mise en vitrine. Il transforme le réel en représentation […] en objet de consommation. »
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L’un des principaux arguments pour imposer des projets liés au développement du tourisme est l’emploi. En-dehors du fait que les conditions de travail dans l’industrie touristique sont majoritairement très mauvaises (précarité, bas salaires, contrats saisonniers, parfois sans contrat, jobs à temps partiels), le travail en tant que tel fait partie du problème et non de la solution.
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C’est pour ces raisons qu’il est illusoire de penser que l’on peut pratiquer un tourisme écologique. Le tourisme est une marchandisation du monde et des relations humaines qui exige toujours plus de mobilité, de surconsommation et de surproduction. Lutter contre le désastre touristique implique donc de lutter contre la société capitaliste et son spectacle marchand. Les taux de GES libérés dans l’atmosphère sont un désastre, mais aucune compensation carbone n’aidera à en produire moins, comme aucune compensation ne remplacera jamais les terres détruites pour la construction de Disney Land ou des projets du groupe Pierre & Vacances-Center Parcs.
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Consommer responsable et durable est un leurre qui vise à étendre le domaine touristique à tous les territoires. Le tourisme n’est pas autre chose que le producteur et le pur produit « du monde totalitaire du travail et de la marchandise avec les conséquences politiques, sociales, sanitaires et environnementales que nous connaissons, se complexifiant et empirant au fur et à mesure que l’on cherche à les administrer. » (page 156)
Les normes « climato-compatibles » tendent d’ailleurs à mettre en place des réglementations qui complexifient toujours plus la société. C’est avec l’aide des nouvelles technologies, particulièrement nocives et autoritaires, que les excès et les aberrations sont réglementés. Tourisme vert ou pas, tous devront se soumettre aux services administratifs et législatifs de contrôle et d’accueil. Ces normes entraînent une dépense d’énergie supplémentaire, une liberté perdue, une hausse des coûts de fonctionnement de l’État suscitant de nouvelles taxes, une inflation bureaucratique, une spécialisation administrative, une organisation cumulative, un maintien renforcé de l’ordre et de la paix sociale.
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Lutter contre le désastre écologique nécessite de revoir l’organisation sociale et économique. Pour cela, il faut s’en prendre à l’organisation industrielle et capitaliste, à l’argent, au travail, à la marchandise, à l’État, etc. Seul un mouvement social désireux de changer de société pourra y parvenir. En attendant que ce mouvement advienne, Henri Mora nous invite à lutter contre tous ces aménagements destructeurs et aliénants, contre toutes les extensions d’infrastructures déjà existantes, à tenter de retrouver un chemin « en commun » pour le prochain épisode subversif. Critiquer le tourisme, c’est lutter contre la marchandisation globale et les destructions qui l’accompagnent et l’alimentent.
Autre article sur ce livre : Le tourisme écolo n’existe pas - Le tourisme, « vert » ou de masse, détruit territoires et rapports sociaux. Il transforme tout en marchandise, en produit à consommer, dénonce Henri Mora dans « Désastres touristiques ».
- Désastres touristiques : plus importante industrie au monde, l’industrie du tourisme repose sur nombre d’autres industries
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LE TOURISME, PREMIER FLÉAU MONDIAL
Plus importante industrie au monde, l’industrie du tourisme repose sur nombre d’autres industries : industrie du transport, industrie de la construction, industrie du numérique, etc.
Véritable lèpre qui défigure le monde entier, l’industrie du tourisme est en outre un secteur en plein essor, apparemment le secteur qui connaît la plus forte croissance derrière celui de la manufacture.
Le tourisme, comme le touriste, est une invention du capitalisme, de la civilisation industrielle. Ils n’existaient pas avant, ils n’existeraient pas sans.
Le tourisme reflète d’ailleurs les injustices et les inégalités inhérentes au capitalisme. Tandis que près de la moitié des Français n’ont pas les moyens de partir en vacances, de jouer au touriste, les plus riches, eux, peuvent se payer le luxe de « l’écotourisme », une forme de tourisme tout aussi nuisible et insoutenable que le tourisme normal, mais avec le préfixe « éco » en plus, c’est-à-dire avec l’illusion que ce qu’ils font est moins nuisible que ce que font les gueux et leur tourisme de masse. (Il n’existe pas plus de « tourisme durable » que de « capitalisme durable »).
La figure du touriste a toujours été détestée par celles et ceux qui comprenaient combien elle était ridicule, et nuisible.
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- Les tanks de l’armée touristique
Dans son pamphlet L’Extricable, publié en 1963 contre la société industrielle et de masse, Raymond Borde écrivait :
« Aujourd’hui, je propose que les municipalités donnent vingt francs par tête de touriste abattu. À condition de se poster aux bons endroits, le touriste est plus facile à exterminer que la vipère. Je conseille le fusil, mais la grenade lancée dans le pare-brise, en haut d’une côte, a le double avantage d’aller vite en besogne et de bloquer la circulation des autres touristes. D’ailleurs on repère l’animal en question avec la plus extrême simplicité. Il se déplace en voiture, s’agglutine à d’autres voitures et reste en bande. Il porte en lui le besoin de la foule. Il s’interne volontairement dans les routes nationales qui sont des camps de concentration mobiles, ou dans les campings, qui sont des concentrations fixes. Il est gueulard, vulgaire, il fait l’Espagne parce qu’on fait l’Espagne et qu’il n’est rien de plus, rien de moins que ce on. Il déclenche un processus de mise en ordures du paysage, engendre les panonceaux, les haut-parleurs et le goudron. Il élit Miss Camping, s’arrête aux points de vue qui sont aménagés, pour demeurer en file, parquer là où l’on parque et humer à nouveau la présence de l’Autre. […] À mon sens, les arrêtés municipaux devraient prévoir que les têtes de touristes seront détachées des corps et apportées à la mairie, afin de prévenir la fraude. Ils pourraient s’inspirer des textes qui réglementent les primes allouées aux chasseurs de serpents. Il va sans dire que les bébés touristes seraient réglés au tarif des adultes et que l’abattage des femmes enceintes donnerait droit à double prime. »
Dans un numéro de l’Encyclopédie des Nuisances, paru en 1992, on pouvait lire :
« Nous ne nous étendrons pas sur la personne du touriste, il n’en vaut pas la peine : la moindre de ses aspirations transpire par principe l’obéissance servile, endurcie d’une ignorance systématique du réel. La réflexion de Melville devient, sous son autorité béotienne : seul ce qui est mentionné dans les guides vaut le déplacement. Le sans-gêne de ses manières, comme l’inconvenance saisonnière de ses déguisements, qui du moins permettent encore à certains, pour un temps, de réussir à l’éviter, ne sont qu’à la surface du phénomène. À le voir papillonner d’une à l’autre, il est une créature de bien peu de poids. […] Beaucoup de touristes ne semblent pas loin de penser que les beautés des cités historiques leur étaient finalement destinées, à eux, pour servir d’arrière-plan aux grimaces de ceux qui se satisfont de paraître contents. S’ils portent fièrement en bandoulière des fragments d’un techno-équipement qui les fascine, c’est surtout afin de pouvoir ramener les fidèles instantanés d’une vie insignifiante, où ils se célèbrent eux-mêmes et que personne ne regardera sinon leurs proches, puisés parmi parents et collègues, qui y sont obligés puisqu’ils en ont de semblables à infliger et qu’ils comptent sur la même indulgence. Jamais des hommes si intégralement privés de ressources n’auront accumulé aussi objectivement autant d’archives sur le néant. »
(Évidemment, 30 ans après, avec le développement du numérique, d’Internet, d’Instagram, etc., les choses sont infiniment pires !)
Et tout laisse à penser (le capitalisme étant structurellement conçu pour faire feu de tout bois) qu’il y aura du tourisme jusqu’à la destruction du dernier espace sauvage. On remarque d’ores et déjà le développement d’un tourisme dit « de la dernière chance » (dernière chance d’observer telle ou telle espèce ou tel ou tel paysage naturel avant qu’elle ou qu’il ne soit définitivement détruit par le capitalisme).
& parmi les horreurs extrêmes du tourisme, le « tourisme de la misère » — qui consiste pour des riches à aller faire une sorte de safari dans des quartiers pauvres de villes pauvres de pays pauvres — figure aussi en bonne place.
Bref, le tourisme nous fournit une très bonne raison, certes parmi tant d’autres (on a l’embarras du choix) de vouloir défaire le capitalisme industriel, sortir de la civilisation industrielle, désurbaniser, désindustrialiser et ré-ensauvager le monde.
(post de Nicolas Casaux)
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- Photographier la même chose du même point de vue célèbre
A méditer en ces temps de départ en week-end prolongé et en vacances estivales...
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- Le désert ne l’est plus
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