Le 14 février 2025, une conférence de Guillaume Gourgues rappelait utilement quelques bases concernant la "démocratie participative", un concept repris à peu près partout, même à droite, même par la droite très libérale/conservatrice de Mariton/Karcher à Crest, c’est dire à quel point cette idée a été souvent dévoyée, édulcorée et récupérée.
C’était à Crest à Armorin, avec le titre provocateur "Faut-il en finir avec la démocratie participative ?"
L’universitaire avait notamment dénoncé les "participations" décoratives et très ciblées servant de vitrines valorisantes aux élus : « Un gaspillage d’argent public » - Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique à l’université Lumière-Lyon-II, met en lumière la reprise en main de l’exécutif sur les outils de participation citoyenne par le recours aux contrats.
Voici un article auquel il a contribué : « Grand débat national, les pièges de l’improvisation » - Malgré une volonté de cadrer la consultation, si les Français se mobilisent en masse, font des propositions élaborées, bousculent l’agenda gouvernemental, l’exécutif aura sans doute du mal à nier les attentes, estiment, dans une tribune au « Monde », les politistes Alice Mazeaud et Guillaume Gourgues. Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
Depuis quelques semaines, le président de la République et le gouvernement tentent de sortir de la crise des « gilets jaunes » en organisant une vaste consultation populaire. Si ce grand débat national est inédit en raison de son caractère généraliste et de l’étendue des thèmes qui pourraient y être abordés, il s’inscrit en réalité dans la continuité des stratégies gouvernementales déployées depuis les années 1960 par les gouvernements successifs pour tenter de canaliser la contestation par une sorte « d’appel à la base ».
La tactique est rodée et se résume en quatre temps : faire de la participation au débat organisé par le gouvernement la seule modalité légitime d’expression publique et politique, permettre l’expression la plus large possible, et pas seulement celle des groupes mobilisés, pour démontrer que ces derniers sont minoritaires, flécher au maximum les propositions émanant du débat en cadrant les thèmes éligibles, annoncer une vague de réformes en affirmant qu’elle s’appuie sur un travail « d’écoute sélective » des propositions citoyennes.
Ici, les non-dits comptent autant que la procédure elle-même : ceux qui s’opposeront à ce débat sont des agitateurs voire des adversaires de la démocratie ; ceux qui subissent et contestent les mobilisations n’ont, à ce stade, pas pu s’exprimer ; la démocratie représentative continuera de primer (en l’occurrence, pilotage par le président de la République et deux ministres, appel aux maires comme médiateurs, des pistes de réforme institutionnelle limitée au vote « blanc » et « obligatoire »).
(...)
- Démocratie participative : transférer et partager réellement le pouvoir au lieu de noyer le poisson dans du pseudo-participatif
Pratiquer la démocratie en milieu hostile
La « démocratie participative » s’efforce de contrecarrer l’absence de démocratie institutionnalisée par « la-république » et ses cliques d’élus, préfets et autres oligarques, une non-démocratie ancestrale, un système autoritaire centralisé qui donne (quasi) tout pouvoir aux élus et puissants, considérablement aggravée par le totalitarisme capitaliste, la sacralisation de la propriétée privée et la stratification infinie des classes sociales, des multiples inégalités, exclusions et dominations.
Y a du taf donc...
Le contexte socio-politique étant très défavorable à la démocratie, voir souvent carrément hostile, la « démocratie participative » a souvent des difficultés à tenir et à s’étendre, c’est un travail de longue haleine toujours à renouveler.
On a tellement inculqué depuis si longtemps aux peuples que la démocratie se résumait au vote et à la représentation, qu’ils devaient s’occuper juste de leurs affaires privées (tout le monde étant en guerre contre tous) et laisser faire élus, oligarques et experts, qu’il faut oser aller à contre courant, briser les habitudes et les injonctions à rester sages et passifs.
Et puis les personnes qui galèrent, bossent dur, survivent mal ont d’autres priorités que participer à une réunion compliquée (ou n’ont même pas le temps), surtout si il y a peu d’enjeux et pas de réelle participation aux prises de décisions les concernant.
La « démocratie participative » est souvent un sport difficile, pratiqué seulement par quelques élites bourgeoises et/ou culturelles ou militant.e.s chevronné.e.s et acharné.e.s.
Paradoxalement, la pratique démocratique devient réservée à une minorité alors qu’il faudrait qu’à peu près tout monde mette le pied dans la vie et les choix politiques.
Selon Guillaume Gourgues et d’autres, il faudrait créer tout un « écosystème » démocratique".
J’ajouterais qu’il faudrait en parallèle de cet écosystème s’attacher à sortir du capitalisme, à viser une forme d’égalité sociale, loin de la concurrence, de l’exacerbation de l’intérêt privé et de l’existence par l’avoir. En attendant de supprimer l’argent (?), réduire fortement les écarts de revenus, et aussi supprimer progressivement la propriété privée et l’héritage (avec à la place des garanties et sécurités via la propriété d’usage, des droits forts...). Tant qu’il y a des entreprises, les rendre coopératives et démocratiques.
Car pour se rapprocher de la démocratie réelle, il faut fatalement, quoi qu’on fasse pour compenser, se rapprocher de l’égalité sociale réelle.
Mais revenons à la démocratie locale, pour explorer certains éléments possibles de cet « écosystème » démocratique" à construire et étendre. En sachant que les prochaines élections municipales sont dans moins d’un an ! C’est dès à présent qu’il faudrait agir pour pousser à aller vers des formes de démocratie directe localement.
Quelques éléments d’un « écosystème » démocratique"
Il s’agit de dispositifs à peu près faisables dans le système de société actuel (où sont installées élections et inégalités sociales).
Dans un autre contexte, ce serait dans doute un peu différent.
Ce sont des idées à améliorer, compléter, critiquer...
Ces idées seraient à adapter suivant la taille de la commune et le contexte local.
Il faudrait peut-être pour y parvenir des luttes fortes, surtout si on veut passer à plus grande échelle, voir des formes de révolutions et dinsurrections, d’autant plus si on ajoute les transformations radicales dans les autres domaines.
1. Dispositifs de facilitation de la vie démocratique
Garderie(s) pour les élu.e.s et les autres participant.e.s aux organes de gouvernance partagée. Pour que les parents puissent plus facilement venir à des réunions politiques.
Cascade de dispositifs d’information, avec transparence, droits de réponse, recueil de doléances, etc., comme :
- Site web avec forum
- Lettre d’info email
- Journal papier
- Outils web : https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/quels-outils-pour-participation-citoyenne
- Affichages à de multiples endroits
- Présentations publiques
- Cahiers de doléances web et papier
- Tournées avec un véhicule dans les différents quartiers/hameaux
Avec divers moyens d’expression libre pour montrer et faire remonter les conflits/désaccords (formulaire, forum, murs à tags, murs à affiches...).
La mairie devrait favoriser, susciter, et parfois organiser divers événements autour de sujets de fond jamais traités vraiment dans les médias dominants et les communes.
Avec conférences/débats, mais aussi, pour ne pas attirer que des intello-politisés, des spectacles (y compris de rue), théâtre forum, jeux…
Exemples de sujet :
La démocratie c’est quoi ?
Le capitalisme c’est quoi ? (Pouvoir d’achat ou changement de modèle ?)
Le patriarcat on en est où ?
Le système techno-industriel et la démocratie ?
La propriété c’est la sécurité ?
Ces événements de "culture politique" joueraient un rôle d’aiguillon et de « préparation » des esprits à de vraies ruptures politiques, d’incitation à approfondir des sujets cruciaux.
Imaginer divers dispositifs pour soulager les élus, et sortir de la centralisation et de la personnalisation de la vie politique. Exemple : déléguer tout ce qui ne ressort pas d’obligations légales, comme les présences à des événements/fêtes/inaugurations (ces présences pourraient être assurées par des membres des organes décrits ci-après, à l’exclusion des éventuelles personnes salariées ?).
Peut-être rechercher des aides et subventions auprès de fondations et autres concernant le soutien à l’organisation d’une vie démocratique réelle ?
2. Conseil de "suivi démocratique"
Utile pour peut-être aider à convaincre des abstentionnistes, pour alléger le travail des élus, garder le cap et améliorer les pratiques démocratiques.
Groupe chargé de :
- Veiller au respect des valeurs et du programme par les élus
- Faire des proposition dans le domaine démocratique, voir que certaines de ces propositions doivent obligatoirement être adoptées (sauf si les élus justifient réellement d’une impossibilité, d’un obstacle). En premier lieu dans le domaine de l’information et de la transparence.
- Faire des rappels à l’ordre publique aux élus, quand il y en vraiment besoin (après concertations privées), et possibilité d’exclusion (d’inviter un élu à démissionner, cas extrême) – Le conseil peut aussi être saisi par n’importe quel habitant estimant qu’il y a un problème. (sans doute faire signer une "charte" d’engagement aux candidats avant l’élection)
- d’organiser et susciter des débats, consultations, conférences sur les questions de pratiques démocratiques
Nombre de membre à déterminer selon taille de la commune.
Il faudrait sans doute étendre et préciser les possibilités de contre-pouvoir réel.
3. Conseil de "vie communale"
Un groupe chargé, avec les élus, de suivre, proposer, organiser divers temps de consultation/concertation/prises de décision en direction des habitants.
Peut-être rémunérer les intervenants réguliers (animateurices de réunions, logistiques...) ?
4. Assemblée
C’est l’organe chargé de prendre les grandes décisions et orientations, de préciser quand c’est nécessaire les éléments du programme à mettre en oeuvre.
Les élus et employés communaux prendraient les décisions courantes (n’ayant pas ou peu d’implications politiques).
Cette assemblée serait composée d’habitants tirés au sort avec un nombre suffisant pour avoir une représentation « juste » de toutes les catégories sociales. Et sans doute avec des pondérations (voir article en PS) pour améliorer la diversité (car certaines catégories risquent de refuser plus que d’autres ou d’autres "écrasées" par des catégories majoritaires).
Il serait possible de refuser ce rôle.
Au lieu d’avoir les habituels notables et bourgeois seuls aux commandes, cette assemblée ressemblerait à la population, avec une majorité de pauvres, de travailleurs et de classes moyennes.
C’est pourquoi les personnes en situation dominante n’aiment pas trop aller vers la démocratie directe, elles savent qu’elles risquent fort de perdre la main et préfèrent le traditionnel clientélisme, le népotisme et les promesses non tenues.
Même dans les membres de la gauche de gouvernement, la démocratie directe n’est pas forcément appréciée. On entend que les tirés au sort ne serait pas assez "compétents", qu’il y aurait trop d’éléments perturbateurs, etc. Or, les expériences bien menées montrent que ces problèmes ne se posent pas (ou peu).
Pour Crest (quasi 9000 habitants), il faurait compter entre 30 et 100 personnes (si on se fie aux méthodes utilisées par les organismes de sondage)
https://fr.surveymonkey.com/mp/sample-size-calculator/
https://www.lesphinx-developpement.fr/blog/echantillonnage-le-sphinx/
(voir en PS un article sur la question de la taille d’une assemblée)
Au delà d’une certaine taille de commune (laquelle ?), il faudra des assemblées du même type par quartier, car il est impossible de délibérer entre des centaines et milliers de personnes. Elles prendront toutes les décisions qui concernent chaque quartier. L’assemblée « générale » de la commune pourrait être composée en partie de membres des assemblées des quartiers, ou être tirée au sort indépendamment, à voir, à tester.
Quelques points possibles de fonctionnement :
- Les modalités de cette assemblée pourraient être améliorées en cours de route par le conseil de « suivi démocratique » et les élus.
- L’organisation de cette assemblée serait assuré par le « Conseil de vie communale ».
- L’animation des réunions ferait en sorte d’équilibrer les temps et modalités de parole entre les « grandes gueules » et les « réservées », les puissants et les modestes. (l’éducation populaire regorge de dispositifs pour aller dans ce sens)
- Par exemple : les personnes qui auraient peur de s’exprimer publiquement pourraient avoir une personne qui retranscrirait leur propos.
- Possibilité de formations sur des sujets pointus
- Possibilité de présentations par des experts et autres quand c’est nécessaire
- Fournir des dispenses pour les employeurs, offrir des indemnités de présence aux membres de l’assemblée (plus proche des revenus réels pour les pauvres que pour les riches).
- Faire tourner les membres de cette assemblée (une moitié tous les ans ?), pour limiter les risques de corruption, réduire les risques de « fatigue » et impliquer au fil du temps un maximum d’habitants dans la vie politique locale
- Peut-être créer en parallèle des assemblées temporaires pour des sujets globaux complexes et lourds ?