L’eau d’arrosage a été coupée sans prévenir le vendredi 8 juillet aux jardins familiaux de Crest (plus de 35 parcelles actives).
Plusieurs jardiniers nous ont alerté de cet événement et nous ont fourni des informations. Nous voulons parler ici de cette situation dramatique aux jardins vivriers familiaux de Crest et essayer d’y voir plus clair...
(mise à jour Vendredi 15 juillet 17h30 : on est informé que la mairie de Crest et le SID ont trouvé un « accord », voir plus bas)
En France et ici en Drôme la situation est dramatique : sécheresse persistante et systémique, et canicules historiques (deuxième canicule en juillet après celle forte et précoce de juin). De nombreux agriculteurs en pâtissent.
Pour tout ou partie de la Drôme, la préfecture pourrait annoncer dès ce lundi 18 juillet le passage au stade de crise (là on est en alerte sécheresse renforcée) nous dite le journal Le Crestois de ce vendredi 15 juillet.
La préfecture va-t-elle continuer à délivrer des dérogations de pompage qui dépassent les débits réservés (débits minimum pour la vie aquatique), ce contrairement à l’avis de la CLE (voir Le Crestois du 15 juillet) ?
Depuis 2008 au moins ces débats, dépassements et questions se posent...
L’eau commence très sérieusement à manquer pour l’agriculture et même pour l’eau potable dans certaines zones (En Italie du Nord, par exemple, c’est encore pire).
Les crises écologiques et climatiques annoncées depuis des dizaines d’années se produisent, et sont d’autant plus brutales que trop peu à été fait pour limiter la casse, et encore moins pour stopper ce qui cause les désastres multiples et imbriqués (à savoir le système industriel, le productivisme, la course au profit, l’économie de marché, l’agriculture industrielle, le tourisme de masse, l’expansion technologique illimitée, etc..)
Contexte
Le vendredi 8 juillet, plus d’eau d’irrigation aux jardins familliaux à Crest alors que la pleine production commençait, et que ça fait des mois que des jardiniers passent du temps, de l’énergie et de l’argent pour faire pousser des légumes. Lesquels légumes sont très attendus en ces temps d’inflation généralisée et de précarité. La plupart des jardiniers et jardinières de ces jardins municipaux sont plutôt dans des catégories pauvres et classes moyennes basses. La production attendue de ces jardins est donc essentielle, et peut dans certains cas couvrir la consommation de légumes pendant de nombreux mois.
Si l’eau d’irrigation n’est pas rétablie rapidement dans ces jardins, la plupart des plantes vont crever et les récoltes seront perdues, surtout qu’une canicule très intense est en cours !
MAJ : Accord de dernière minute ce vendredi 15 juillet
Vers 16h30, Crest Actif (mairie de Crest) informe les jardiniers :
"une dérogation à titre exceptionnelle pouru l’arrosage des jardins familliaux. Le syndicat des eaux permet de pouvoir arroser vos jardins uniquement aux horaires suivants : le matin de 5h30 à 7h, et le soir de 21h à 22h30. Ce fonctionnement est susceptible d’évoluer en fonction des ressources en eau du réseau. (...)"
C’est très contraignant (une forme de "tour d’eau" ?), mais ça va réjouir les jardiniers ce retour de l’eau après 8 jours de coupure, qui là en étaient réduits de voir leurs plants dépérir, ou de charier difficilement quelques bonbonnes d’eau pour tenter de sauvegarder une partie des plantations.
Ca n’ôte rien aux infos, analyses et interrogations ci-dessous.
Qui a coupé l’eau le 8 juillet sans prévenir ?
La mairie de Crest (majorité de Mr Mariton, LR), via Crest Actif, a informé le 13 juillet que c’était le SID (Syndicat d’Irrigation Drômois) qui avait coupé l’eau aux jardins familiaux unilatéralement (la mairie de Crest est cliente du SID), sans prévenir personne apparemment.
Dans un premier temps, il a été avancé qu’une "décision préfectorale" ne permettrait pas aux "particuliers" d’arroser dans cette période de forte sécheresse.
Or, le dernier arrêté sécheresse renforcé de la préfecture de la Drôme du 7 juillet parle toujours d’une interdiction d’arroser les jardins entre 8h et 20h, comme c’est déjà le cas depuis plusieurs semaines, le reste du temps l’arrosage de jardins nourriciers est donc toujours autorisée (c’est la même chose en période "crise").
Le Daubé indiquait d’ailleurs dans un article du 8 juillet que : Depuis le 31 mai, la Drôme est en “situation d’alerte renforcée”, avec de premières restrictions quant à l’usage de l’eau. Cette semaine, la préfète de la Drôme, Élodie Degiovanni, a exclu l’idée de passer au niveau d’alerte supérieur
Donc, au 8 juillet rien n’avait changé côté arrêté préfectoral.
Sur le site web du SID (Syndicat d’Irrigation Drômois), on peut lire l’article suivant dans la section Val de Drôme :
<< MISE A JOUR DU 11 JUILLET - Restrictions et mesures à mettre en œuvre sur le bassin versant de la rivière Drôme :
Les conditions hydrologiques de la rivière Drôme ainsi que l’arrêté n°26-2019-06-20-00 autorisant le SID à prélever dans la rivière Drôme au seuil SMARD, nous obligent à prendre les mesures suivantes :
– Réseau Crest Nord Haut Service : Application du niveau 2 des tours d’eau
– Réseau de Crest Nord Bas Service : arrêt des prélèvements au seuil SMARD – Application du niveau 3 des tours d’eau
L’arrêté de modulation n°26-2022-07-08-00002 autorise le réseau de Crest Sud à un prélèvement de 170 l/s de manière exceptionnelle, avec respect d’un débit réservé de 1,7 m3/s et ce jusqu’au 20/07/2022. Par conséquent :
– Réseau de Crest Sud : Application du niveau 4 des tours d’eau
– Réseau du Sud-Est Valentinois : dans un souci de lissage des pointes de consommation et de bon fonctionnement de ses réseaux, le SID demande l’application du niveau 1 des tours d’eau.
Les tours d’eau du SID sont à appliquer quels que soient les cultures et le mode d’irrigation. Les prélèvements non professionnels ne sont plus prioritaires sur les réseaux de Crest Nord Bas Service et Crest Sud. Nous vous demandons de fermer vos bornes.
>>
A ce stade, il semble donc que ce soit des membres du SID du secteur concerné ("Crest Nord Bas Service" pour les jardins vivriers familiaux de Crest) qui ont décidé tout seul de fermer l’eau des jardins alors que les arrêtés préfectoraux ne l’imposent pas du tout (l’arrosage reste autorisé de 20h à 8h).
Ce qui est confirmé par des jardiniers ayant rencontré vendredi 15 juillet à "Crest Actif" l’élue Ruth AZAÏS responsable des jardins (7e Adjointe déléguée aux affaires sociales et au jumelage) et la directrice de Crest Actif.
La mairie affirme être également affectée et victime de cette coupure impromptue, et dit faire tout son possible pour que l’eau revienne rapidement aux jardins. Des élus seraient en contact étroit avec le SID. (une solution a été enclenchée vendredi 15 juillet en fin d’après midi, voir plus haut)
Ces responsables de Crest Actif ont aussi indiqué qu’ils envisageaient d’installer un minuteur au point de branchement d’eau des jardins familiaux, calés sur les horaires autorisés (20h-8h), afin qu’aucun jardinier ne puisse arroser aux périodes interdites, ce qui faciliterait une bonne gestion.
- Crest : coupure d’eau intempestive aux Jardins familiaux vivriers de Crest depuis le 8 juillet !
- Schéma du réseau Val de Drôme
Pourquoi l’eau a été coupée ?
D’après les responsables de Crest Actif, le SID local, face aux graves pénuries du moment, a voulu couper l’eau d’un maximum de clients dits "particuliers" pour réserver l’eau disponible aux clients dits "professionnels" (les agriculteurs). (moment de panique ?)
Or, on peut lire, dans le Réglement du SID pour le réseau « Crest Nord » (qui comprend le secteur des jardins familiaux) :
<<
Article 2 – Destination des eaux distribuées par le réseau Les eaux distribuées par le réseau d’irrigation sont destinées, en priorité, à l’irrigation des cultures et
végétaux de toutes sortes à des fins de productions agricoles et, en second lieu à l’irrigation de jardins familiaux ou encore d’espaces verts et de terrains communaux. Les eaux distribuées ne sont pas des eaux à caractères domestiques et ne doivent pas servir dans l’habitat.
(...)
Une insuffisance de la ressource, ou une réduction des volumes prélevables
- décrétée par arrêté préfectoral dans le cadre de la loi sur l’eau ou dans le cadre d’application de consignes de sécurité.
Le SID devra établir rapidement un tour d’eau en fonction de la nature de la restriction. Le SID devra utiliser tous les moyens à sa disposition pour informer les abonnés de la mise en place d’un tour d’eau afin qu’il soit opérationnel le plus rapidement.
(...)
Une insuffisance des installations vis-à-vis de la demande en eau
Le SID se réserve la possibilité de privilégier certains usages d’eau économiquement vitaux vis-à-vis des usages de « confort ». Le SID devra utiliser tous les moyens à sa disposition pour informer les abonnés.
(...)
Cas de coupures programmée
- Lorsque l’arrêt de la fourniture d’eau est programmée (travaux etc...), l’abonné sera informé de la date et durée de la coupure 48h avant celle-ci. Le SID s’engage à limiter au strict minimum ces coupures pendant la période d’irrigation.
>>
Le Réglement dit que la production agricole est prioritaire, et aussi que le SID devra informer ses abonnés et prévenir d’éventuelles coupures 48h avant.
Or ici, les jardins vivriers familiaux (et donc la mairie de Crest qui les gère) n’ont, à notre connaissance, pas été prévenus, et tout cas aucun jardinier n’a été prévenu.
Et ces jardins sont bien de la « production agricole ».
D’autre part, le réglement du SID Val de Drôme ne semble pas autoriser de couper des clients non-professionnels en cas de manques d’eau.
D’autre part, ce réglement respecte-t-il les statuts du SID ? (voir plus bas section « service public »)
- Crest : coupure d’eau intempestive aux Jardins familiaux vivriers de Crest depuis le 8 juillet !
- Le réseau d’irrigation SID Val de Drôme
Cette coupure brutale est-elle légitime/justifiée ?
Evidemment, les jardins familiaux ne sont pas du « confort », il ne s’agit pas de piscines, de lavage de voitures ou d’arrosage de pelouses.
Qui est plus légitime entre des agriculteurs et des jardins qui produisent eux aussi de la nourriture, ce qui est bien une « production agricole » ?
Qui est plus légitime ?
1. Des agriculteurs qui sont encore hélas nombreux à continuer à planter du maïs alors que l’inadaptation de cette culture ici est connue de longue date. Une culture qui réclament beaucoup d’eau en plein été, au moment où il y en a le moins, et qui très souvent utilise d’énormes canons à eau avec arrosage par aspersions (avec donc des pertes par évaporation), souvent en pleine journée à cause de l’obligation de respecter les tours d’eau ? Il n’y a qu’à se promener dans les plaines pour voir le nombre de champ de maïs.
2. Des jardiniers pour la plupart pauvres qui essaient de produire de la nouriture pour leur subsistance (jardins vivriers), qui n’ont pas les moyens d’acheter du bio local aux marchés. Avec l’inflation en cours et la précarité général, cet apport maraîcher n’est pas du tout négligeable dans l’économie d’un foyer.
Les agriculteurs sont bien sûr parfois pris dans les boucles infernales du système : emprunts à rembourser, dettes, pertes, contraintes du Marché, priorité à la rentabilité, pression des banques, etc.
Les système mondialisé d’échanges, de productivisme spécialisé montre depuis longtemps sa dangerosité et son inadéquation aux enjeux humains et écologiques.
Rester coincé dans ce système sans issue satisfaisante ou en sortir pour faire franchement autre chose au bénéfice de toutes et tous ?
Examinons aussi quelques chiffres :
Quelques infos trouvées sur le site du SID (Syndicat d’Irrigation Drômois) :
1.Les clients particuliers du SID en Val de Drôme, c’est seulement 2% des volumes d’eau :
Sur le rapport SID de 2020 pour le Val de Drôme, page 12, on voit que les consommations « non-professionnelles » sont de 2% par rapport aux professionnelles.
Les volumes irrigations non-professionnelles sont donc dérisoires par rapport aux pros.
2. Un réseau Crest Nord criblé de fuites :
D’autre part, on voit dans ce même rapport que les performances du réseau Crest Nord concerné ici sont très mauvaises (page 13). En effet, près de la moitié de l’eau transportée (42.05 % exactement) est perdue du fait du mauvais état du réseau. (le PGRE parle d’ailleurs de « retard dans la lutte contre les fuites des réseaux »)
Quasiment le pire réseau du SID en Drôme.
La situation s’est-elle améliorée depuis 2020 ?!
Donc, le SID local « Crest Nord » veut couper des clients privés qui représentent au total environ 2% de la consommation (pour Val de Drôme), alors qu’en plus le réseau vétuste du SID Crest Nord pert 42 % de l’eau !
La logique voudrait plutôt qu’avant de couper éventuellement des clients on s’occupe de stopper les fuites énormes du réseau.
Que tout le monde face des efforts, économise l’eau, améliore grandement les pratiques de culture (respect du sol, couverture du sol, biodiversité, goutte-à-goutte, cultures adaptées...), y compris les clients particuliers, ça s’entend, ça devrait d’ailleurs être fait et généralisé depuis très longtemps, mais que le SID coupe carrément l’eau à des jardins vivriers est-ce logique/juste/légal ?
Remplacer les cultures d’exportation et de rentes par des cultures vivières variées reconstituant les sols ? Pour ce faire, sortir une grande part de la production alimentaire de l’économie de marché ?
Si le SID ne veut rien entendre malgré les demandes de la mairie, et que les jardins se dessèchent pour de bon et sont perdus, les jardiniers pourraient donc perdre tous leurs investissements en temps et argent.
Alors que pourraient-ils faire ?
- Aller manifester devant le siège (flambant neuf) du SID à Montelier ?
- Acheter des légumes pas chers dans des magasins hard discount qui proviennent d’agriculture intensived’Espagne ou du Maroc (qui eux même détruisent les sols et les ressources en eau) (plus les voyages énergivores en camions, plus les entrepôts de stockage, etc.) ?
Ce serait beaucoup mieux de se partager l’eau, de l’économiser et d’améliorer collectivement les pratiques agricoles (pro comme non-pros) ?
De toute façon, c’est vers ça qu’on est obligé d’aller. Après des années de déni, de ravages, d’aternoiement, de préservations d’intérêts, le mur est là (comme le dit la CLE, Commission Locale de l’Eau, dans Le Crestois du 15 juillet), on se le prend, et on n’a pas le choix.
Quand on avait le choix et que la situation était moins dure, les choses à faire n’ont pas été faites, ou trop peu, mais maintenant on n’a plus choix et il faut agir dans l’urgence sous le coup des catastrophes.
Depuis 1995 au moins, le déficit d’eau et donc la surexploitation est connue, citation du site du syndicat SMRD du bassin de la rivière Drôme (PGRE) :
Le bassin versant est classé en zone de répartition des eaux (ZRE) depuis 1995, ce qui veut dire que la ressource est insuffisante pour répondre aux besoins du territoire. A l’heure actuelle, des arrêtés sécheresse sont pris toutes les années pour gérer le manque d’eau. A noter qu’un assec de 70 jours consécutifs s’est installé en 2017 sur la rivière Drôme. Un assec de plusieurs semaines a été constaté également en 2019.
(...)
le retard des projets de réduction des prélèvements pour le secteur agricole, le retard dans la lutte contre les fuites des réseaux d’AEP, sachant que les réseaux ne sont pas tous connus ; les économies réalisées rattrapées par l’augmentation des besoins.
Citons aussi la fin de l’article de Laure-Meriem Rouvier dans le Crestois du 15 juillet :
Avec ces pertes de revenus, c’est l’existence même de nos agriculteurs-nourriciers qui est remise en questions. Il serait peut-être temps de réfléchir à ce que nous souhaitons comme agriculture dans la Vallée. Faut-il vraiment cultiver du maïs pour des cochons bretons ou plutôt aider à développer une agricultre vivrière moins demandeuse en eau ?
- Crest : coupure d’eau intempestive aux Jardins familiaux vivriers de Crest depuis le 8 juillet !
- Siège du SID à Montelier
Le SID est pourtant un service public
Le SID est un syndicat régie ayant pour objet l’exploitation d’un service public (page 4), concernant notamment l’irrigation (gestion de réseaux collectifs et communaux). Il n’est pas précisé "irrigation spécifiquement agricole professionnelle".
Il n’est pas indiqué dans les statuts que l’usage agricole professionnel doit être prioritaire sur les autres usages d’irrigation agricole.
Le SID a t-il donc vraiment le droit légal d’exclure certains usages agricoles (jardins vivriers) au profit d’usages dits professionnels (agriculteurs) ?
Le SID reçoit d’ailleurs constamment d’énormes subventions publiques, qui profiteraient alors aux seuls usagers professionels si les usagers "particuliers" sont "exclus" si facilement, créant alors un déséquilibre contraire à l’esprit d’un service public universel ?
Le principe de continuité des services publics : L’importance des services publics induit un principe de continuité. La continuité des services publics est la concrétisation de celle de l’Etat et elle peut également être considérée comme un corollaire de celui d’égalité, car la rupture du service pourrait introduire une discrimination entre ceux qui en bénéficient et ceux qui en sont privés.
« La continuité est de l’essence même du service public. Elle exige la permanence des services essentiels pour la vie sociale comme les services de sécurité (police, pompiers), les services de santé (hôpitaux), les services de communication, certains services techniques (électricité, gaz, eau), etc. Elle implique que tout service doive fonctionner de manière régulière, sans interruptions autres que celles prévues par la réglementation en vigueur et en fonction des besoins et des attentes des usagers.
Les subventions publiques pourraient être strictement conditionnées à des pratiques agricoles "responsables" au lieu de continuer de favoriser l’irrigation et un certain type d’agriculture non soutenable ?
Conclusion
Cette affaire est très emblématique et révélatrice des enjeux vitaux en cours, elle dévoile la mauvaise anticipation, le refus d’écouter sérieusement les alertes répétées des écologistes et autres, ainsi que les documents officiels produits par les institutions elles-mêmes.
On trouve pêle mèle des questions de démocratie et de service public, de choix productifs, d’inégalités sociales, de droits d’usage de l’eau, de moyens de subsistance, d’adaptations, de réchauffement climatique, de lutte contre les causes du réchauffement climatique en cours...
Forum de l’article