Un article essentiel, qui montre le rôle clef de l’Etat dans l’accélération opportuniste des innovations technologiques durant cette pandémie covid-19. L’Etat étant étroitement imbriqué avec les intérêts capitalistes, des start ups et autres lobbies privés, pour satisfaire ses besoins de puissance ainsi que la course à la productivité et à la compétitivité.
Pour à la fois sortir du complotisme facile et de la naïveté rassurante.
VOIR : Mutation (ce que signifie « accélérer ») - par Pièces et main d’œuvre
Publié aussi ici : Covid19, stratégie du choc et accélération de la mutation du système technocapitaliste (par Pièces et main d’oeuvre)
- Covid-19, stratégie du choc pour accélérer le système technocapitaliste : télétravail, 5G, numérique, IA, virtualisation...
- Incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine sans contact
Introduction
Sans conteste, l’accélération est le maître mot de l’année qui vient de s’écouler. On en trouvera ici nombre d’occurrences, les plus variées qui soient, que nous avons relevées dans les domaines économique, technologique et scientifique, employées en substitut ou en renfort à celui d’innovation. Par exemple, l’accélération de l’innovation. On reconnaît là des mots de la crise à laquelle il faut s’adapter d’urgence – d’où l’accélération – ou périr.
Assurément aucun État n’a planifié l’épidémie, sous-produit pervers de la société industrielle, et subie depuis un an par leurs populations ; mais tous les États planifient des scénarios de crise afin de faire face aux éventualités soudaines, brèves ou durables. Et tous ont appris à saisir l’occasion que leur offrait la crise – l’épidémie – pour accélérer des tendances – comprenez des plans, des projets, des entreprises, mûris et engagés de longue date dans leurs think tanks, leurs services administratifs, leurs forums, colloques, réunions interministérielles ou inter-gouvernementales, etc.
C’est ainsi qu’à l’occasion d’une crise, une certaine quantité d’accélération entraîne un saut qualitatif et une mutation. On connaît la théorie, quant à l’application pratique, nous la subissons depuis un an. Bien des gens se sont demandé pourquoi « la grippe de Hong-Kong » qui avait fait 31 000 morts dans une France de 50,8 millions d’habitants entre 1968 et 1970 était passée presqu’inaperçue (68 ? Voir mai. 69 ? Année érotique. 70 ? Bal tragique à Colombey) ; alors que le Covid-19 dont le bilan s’établit à 84 000 morts au bout d’un an, dans une France de 67,4 millions d’habitants obsède et sature notre attention, assujettit notre vie quotidienne et transforme nos sociétés de façon brutale et irréversible – précisément dans le sens souhaité par la technocratie dirigeante.
Pourquoi ce bourrage de crâne qui nous gave de Covid, matin, midi et soir, à l’exclusion souvent de toute autre actualité. Pourquoi les mass media se concentrent à ce point sur un fléau somme toute mineur – voyez la liste de tous les ravages bien pires, sanitaires ou autres (ainsi la seule pollution de l’air a tué près de 500 000 nouveaux nés en 2019[1]). Pourquoi marteler, répandre, grossir, détailler à ce point la panique Covid et chacune de ses péripéties ? Pourquoi en faire l’un des quatre cavaliers de l’apocalypse ? Qu’est-ce que cet « effet spécial » sinon un leurre, un nuage de fumée, une opération de diversion destinée à hypnotiser les foules afin de procéder à l’abri des regards et en distanciel, à la transformation réelle des choses.
Pense-t-on qu’en un demi-siècle l’État (Macron, Édouard Philippe, Bruno Le Maire) soit devenu si soucieux de notre santé qu’il n’hésite pas à « suspendre l’économie » – et d’ailleurs tout le pays – quand ses anciens maîtres (de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing) se montraient d’une cruauté implacable envers la chair à machine ? D’où une interrogation immédiate, « l’économie » est-elle vraiment « suspendue » ou, au contraire, en suractivité, afin de forcer le passage au numérique et aux technologies convergentes (Nano-Bio-Info-Neuro, IA, etc.), cependant que nul ne peut s’y opposer.
Cela signifie que passées la sidération initiale et la contrariété de la technocratie étatique devant cette « grippette » venue troubler la routine de ses plans de développement techno-industriel, celle-ci a retourné le problème en solution et dramatisé la gravité de l’épidémie afin de maximiser les avantages qu’elle pouvait en tirer. Merveilleuse aubaine que ce virus qui remet le gouvernement du pays entre les mains d’un conseil de défense – un groupe de ministres, de fonctionnaires et d’officiers désignés par Macron, dont les réunions hebdomadaires sont classées « secret défense » – et d’un état d’urgence en voie de chronicisation depuis les attentats islamistes ; qui vide les rues, les villes, les routes ; qui assigne la population à domicile et sous couvre-feu ; qui interdit et traque toute vie sociale ; qui suspend les libertés de réunion et de circulation ; qui ferme les lieux et barre les routes où ces libertés s’exerçaient ; qui étouffe tout débat hors des « filets sociaux » (rets, réseaux, toile, etc.), laissant ainsi toute liberté au pouvoir, et nulle opposition, pour imposer d’un coup ce qu’il voulait obtenir à la longue.
Cette vitesse est une violence qu’on nous fait sous prétexte d’urgence, afin de procéder d’un bond, d’une rupture, à la mutation forcée de notre société, de nos vies, de nos personnes. Cette mutation peut se résumer en un mot : numérisation, et ce mot en deux points : machination et virtualisation. La technocratie, en effet, ne peut accroître sa puissance sans en révolutionner constamment les moyens et donc l’ensemble des rapports sociaux. Et ainsi tout ce que vivions en présentiel est éloigné en visions illusoires par l’autorité qui peut à tout moment en interrompre les flux ou en falsifier les images.
Voici un état détaillé de cette année de mutation.
NOTE :
La 5G et le Linky ne sont qu’un aspect du monde-machine sans contact, ce technocapitalisme numérique et robotisé est en train d’envahir tous nos espaces de vie, pour remplacer le vivant par la machine, la liberté par la sécurité et les algorithmes sous IA.
Allons-nous résister franchement ?
Extraits
En France, le plan « Technologies-clés 2020 » du ministère de l’Économie déversait la manne européenne sur les industries et laboratoires prioritaires : robotique et cobotique, intelligence artificielle, big data et Internet des objets, services sans contact, supercalculateurs, ingénierie génomique, dispositifs bio-embarqués, hôpital numérique, E‑éducation, cybersécurité, TGV du futur, alimentation « intelligente », véhicule autonome, réseaux électriques « intelligents », usine du futur, etc. Beaucoup d’argent, de ressources humaines et matérielles au profit de l’incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine.
Rien n’est plus dirigé que nos économies capitalistes et la recherche scientifique.
L’État et le capital obéissent aux impératifs de l’innovation technologique et investissent dans certains domaines afin d’accroître leur puissance. Si vous en doutez, comparez les moyens alloués au numérique et à l’agriculture biologique en France. 12 milliards d’euros pour les plans Nano 2012, Nano 2017 et Nano 2022 (dont le principal bénéficiaire est le fabricant de puces STMicroelectronics) ; 160 millions par an pour le maintien ou la conversion à l’agriculture bio entre 2015 et 2020.
La technocratie, la classe du savoir, de l’avoir et du pouvoir décide de ces investissements qui sont des choix politiques. Ça marche comme ça : le président veut un « Pacte productif » pour rester dans la course mondiale à l’innovation. Ses services chargent le cabinet Roland Berger, moyennant finances – on ignore combien – d’identifier les « marchés porteurs sur lesquels la France est en capacité de proposer les solutions technologiquement innovantes et économiquement compétitives ».
En somme, les directions à suivre s’imposent rien qu’à l’énoncé des contributeurs. Notez que le cabinet Roland Berger est partenaire de Sigfox[11], boîte pionnière de l’Internet des Objets, pour le développement de cyber-solutions au service de l’industrie 4.0. Surprise : les « marchés porteurs » identifiés dans son rapport ne sont ni l’artisanat ni la traction animale, mais « l’agriculture de précision », la « santé digitale », l’hydrogène pour les systèmes énergétiques, les technologies quantiques, l’éolien en mer, les bâtiments innovants, « l’e‑learning et les ed-tech », les batteries pour voitures électriques, etc.
Ça, c’était avant que le Covid-19 ne stimule l’accélération de ces plans d’accélération.
Corona-urgence : toutes les puissances mondiales déversent dans leurs économies des quantités faramineuses d’argent jusqu’alors indisponible. Finalement, il était possible d’injecter 2000 milliards de dollars aux États-Unis (via la réserve fédérale), plus de 1800 milliards d’euros dans l’Union européenne (via la Banque centrale européenne), dont 750 milliards pour le plan de relance européen, 570 milliards en France, dont 100 milliards pour le plan « France relance ».
La dette ainsi contractée ne semble inquiéter ni les gouvernements ni la plupart des économistes. Pour la France, on parle de 2648 milliards d’euros, soit 120 % du PIB. Les banques centrales en détenant une part (20 à 25 % pour la BCE en Europe), il s’agit dans ce cas de création monétaire (la « planche à billets » finance le déficit public et injecte des liquidités dans l’économie). Naturellement, il faudra un jour en rembourser au moins une partie et les technocrates commencent à évoquer une « optimisation du fonctionnement de l’État » – la compression des dépenses publiques. Sans oublier la hausse inéluctable de la fiscalité, pour combler le déficit de la Sécurité sociale aggravé par l’épidémie. La réforme des retraites et de l’assurance chômage, vous vous souvenez ? Cet « argent gratuit » qui tombe à flots, c’est le nôtre.
En bout de chaîne, cette pression à la baisse des taux d’intérêt se répercute sur les épargnants, incités à dépenser plutôt qu’à thésauriser. Ce système profite aux riches, qui peuvent investir dans l’immobilier ou en Bourse en empruntant à des taux minimes, et pénalise les petits épargnants, dont le Livret A ne rapporte plus rien. Les pauvres, qui meurent davantage du Covid, paient davantage en outre pour sauvegarder l’économie.
Dirigisme techno-capitaliste. Si vous croyez que les milliards de la BCE éviteront la faillite de votre bistrot ou du bouquiniste du coin, vous faites erreur. Les technocrates n’ont pas promis de sauver les petits commerces, mais « l’économie ». De même qu’il faut protéger « l’hôpital », non les vieillards. Pour que la France touche ses 40 milliards du plan de relance européen, baptisé « Next Generation » (ciao les précédentes), elle doit se conformer comme les autres pays aux priorités définies par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen : « Green Deal, transition numérique, résilience » (sic). L’argent ne doit pas financer le fonctionnement de l’État (les fonctionnaires, leurs bâtiments, leurs équipements) mais des investissements et des réformes, des « chantiers inédits » dans les secteurs jugés « stratégiques » : espace, défense, santé, intelligence artificielle, hydrogène.
Au temps pour ceux qui pensent que notre malheur vient des multinationales et des capitalistes avides de profits. Réjouissez-vous : c’est votre argent qui va financer ce cataclysme numérique.
L’idéologie cybernétique et transhumaniste empoisonne les esprits depuis des décennies : l’erreur, c’est l’humain, le « vivant politique » (zoon politikon). Vos objets sont plus intelligents que vous. Suivez les algorithmes. L’humain est non seulement faillible, incontrôlable (en théorie) et mortel, mais il colporte des virus. Pour éviter de mourir, vous savez ce qu’il vous reste à faire. La pandémie est l’occasion d’accélérer l’élimination de l’humain, d’où, par exemple, l’acharnement contre le spectacle vivant (les supermarchés oui, les théâtres, non).
Vous avez remarqué ? On ne voit plus guère de petits vieux dans nos rues, nos squares et nos cafés fermés. Accélération : 30 % de morts en plus chez les plus de 75 ans en mars et avril 2020, soit beaucoup plus que durant la canicule de 2003, selon l’Insee. La dernière génération d’humains à se souvenir comme on vivait sans assistance électronique disparaît en accéléré. La façon dont l’administration a organisé leur effacement, avec des agonies et des sépultures solitaires, façon Soleil vert, en dit long sur les progrès de la déshumanisation.
Le gouvernement français accélère « le virage de l’industrie 4.0 », notamment dans l’automobile, avec un chèque de 200 millions d’euros destiné à la numérisation et la robotisation des usines[43]. La France doit rattraper les autres économies avancées. On comptait en 2019, 855 robots pour 10 000 employés en Corée du sud, 346 en Allemagne, seulement 177 dans l’Hexagone[44]. Selon une prof d’économie internationale, « la pandémie incite les entreprises des pays riches à investir davantage dans les robots et à réduire leur dépendance vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement mondiales[45] ». Vous ne pensiez pas que les « relocalisations » industrielles envisagées à l’occasion du coronavirus créeraient des emplois en France ?
Les scientifiques nous recommandent donc d’agir suivant des motifs échappant à la « rationalité humaine ». Dans sa course à la puissance, la technocratie mise tout sur la Machine et sa rationalité inhumaine, telle une divinité supérieure, jusqu’à prôner l’obscurantisme technologiste qui se défie de l’humain, c’est-à-dire de l’intelligence. Castoriadis nous l’avait bien dit :
« Ce qui est en jeu ici est un des noyaux de l’imaginaire occidental moderne, l’imaginaire d’une maîtrise « rationnelle » et d’une rationalité artificialisée devenue non seulement impersonnelle (non individuelle) mais inhumaine (« objective »). (…) Mais une maîtrise impersonnelle étendue à tout est évidemment la maîtrise de outis, de personne – et par là même, c’est la non-maîtrise complète, l’impouvoir. »
C’est-à-dire, la dépossession de notre pouvoir de décision par la « Machine à gouverner » des ennemis de l’humain – les cybernéticiens. Si des réticences se manifestent encore à l’égard de cet abandon de souveraineté, il paraît que l’IA gagne du terrain dans les consciences. Le cabinet Accenture, dans son rapport de prospective, note que « la pandémie a le pouvoir de lever ce frein ».
Comme les managers, nombre d’employés sont remplacés par des machines. Et ceux qui restent subissent une pression accrue sur leurs salaires et leurs conditions de travail. La numérisation de l’économie accélère la machination et l’externalisation des fonctions support, elle transforme les salariés des grandes boîtes en employés de sous-traitants ou en « indépendants » précaires. Voyez les livreurs à vélo, les « concierges » d’appartements Airbnb et autres bullshit jobs 3.0. La hausse record des créations d’entreprises en France en 2020 est due aux « microentreprises » des livreurs à domicile (+ 21,7 %).
Thierry Breton, Ursula von der Layen, Emmanuel Macron nous ont prévenus : la relance sera verte, le Green Deal n’attend plus. La France consacre un cinquième de son budget de relance post-Covid, soit 20 milliards d’euros, à un plan qui « sera un accélérateur puissant de la transition écologique[54] », annonce Jean Castex le 15 juillet 2020. Qu’on ne se méprenne pas, précise le premier ministre, il s’agit de « croissance écologique », non de « décroissance verte ». L’argent n’ira donc ni au remplacement des centres commerciaux par du maraîchage, ni au démontage des usines de semi-conducteurs, mais aux « technologies vertes de demain[55] ». Sans oublier les milliards d’aide à l’industrie automobile et à l’aéronautique.
« L’hydrogène, combustible du futur. » On se souvient que le cabinet Roland Berger avait identifié, parmi les « marchés porteurs » pour la croissance française, l’hydrogène « propre » – également au programme du Green Deal européen. Voilà une « technologie verte de demain » qui devrait donner des résultats, avec les moyens que l’État lui donne (nous, en fait). Après les 100 millions du « programme d’investissements d’avenir » depuis 2018, les 110 millions offerts à la recherche publique depuis 10 ans, les 80 millions distribués par l’Ademe pour la « mobilité hydrogène », voici 7,2 milliards d’ici 2030, dont 2 du plan de relance, pour les piles à combustible et les transports à hydrogène. Imaginez qu’on dépense ces milliards pour rouvrir des ateliers locaux de production artisanale et des épiceries partout, par exemple, voilà qui réduirait les besoins de « mobilité » – pour travailler loin et faire ses courses dans les « zones commerciales ». Il est vrai que ce ne seraient pas des « technologies de demain ». Mais qui sait à quoi demain ressemblera, et qui en décide ?
L’hydrogène est partout sur Terre, notamment dans l’eau, mais jamais pur ; le problème est de l’isoler. Jusqu’ici, on y parvient en brûlant beaucoup d’énergie fossile (pétrole, gaz, bois) pour créer les réactions chimiques nécessaires. Ces procédés rejettent 830 millions de tonnes de CO2 par an, soit 2,5 fois les émissions de la France. Mais l’industrie a besoin de cet hydrogène pour produire les engrais azotés qui polluent nos nappes phréatiques (les ammonitrates, à l’origine des catastrophes d’AZF à Toulouse et du port de Beyrouth) ; pour raffiner les produits pétroliers qui polluent notre air (carburants) ; pour fabriquer les puces électroniques des smartphones, comme chez STMicroelectronics, dont les rejets de chlorure d’hydrogène et d’ammoniac contaminent l’air et l’eau de la cuvette grenobloise. Bref, l’hydrogène saccage notre environnement lors de sa production et de ses usages. Pour de véritables écologistes, la solution découle de l’énoncé du problème : stop.
Pour les technologistes, macroniens, verts, rouges – tous saint-simoniens – la solution est dans l’hydrogène « décarboné ». En fait, de l’hydrogène produit avec de l’électricité, énergie prétendue non polluante puisque nul gaz ne s’échappe des prises et interrupteurs. On appelle ça l’électrolyse
Dépenser de l’électricité pour produire de l’électricité, c’est raisonnable pour les ingénieurs. C’est ainsi qu’ils peuvent stocker l’électricité en surplus dans les périodes de moindre consommation. Certes, ils perdent 85 % d’énergie pour transformer cette électricité en hydrogène, puis pour faire l’inverse, mais c’est mieux que de tout perdre. Comme les taux d’intérêt négatifs en somme. Puis les Shadoks nous l’ont appris : « Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien, plutôt que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ».
Comme nous, lecteur, tu soupires peut-être devant une telle débauche d’énergie, électrique et cérébrale, pour construire l’usine à gaz du futur. Tu penses que pour résoudre un problème, il faut en supprimer la cause. Qu’il faudrait d’urgence ralentir, passer légers sur la terre à vif. Mais ça ne fait ni une croissance, ni de l’innovation. Les ministres et les ingénieurs, eux, prétendent faire à la fois la « transition écologique » et une « filière industrielle ». Nous aurons donc des mégaélectrolyseurs pour recharger les batteries des voitures, des camions, des avions et des smartphones.
Que cette volonté de puissance, quoi qu’il en coûte, cette perpétuelle ruée furieuse, après des décennies d’alertes incessantes, relève du génocide et de l’écocide sadiques, d’une jouissance transgressive illimitée ; voilà ce qu’on est bien forcé d’admettre enfin. Que cette volonté de puissance et cette jouissance transgressive se concentrent au plus haut point dans la classe technocratique et notamment chez les ingénieurs, rien de plus clair.
D’un côté, les gagnants de la crise : la « Tech » et la Silicon Valley, Walmart et les hypermarchés, la Chine, Amazon et les livraisons à domicile, les usines « 4.0 » et les robots, les milliardaires, Arkema, le Plexiglas et la chimie, la télé, les applis de visioconférence, le podcast, le paiement sans contact, l’immobilier péri-urbain, la voiture, le vélo électrique, les drones, Doctolib et la télémédecine, les start up du numérique, les consoles de jeu et les loisirs en ligne, la 5G, l’industrie pharmaceutique, les congélateurs, les machines à pain, à café et à raclette, le livret A, les distributeurs automatiques de pizzas, l’« intelligence » artificielle, la bande dessinée, les perceuses, Tinder, les réseaux sociaux, les anxiolytiques, Netflix, les actionnaires, le virtuel.
De l’autre, les perdants : les boîtes de nuit et cabarets, les bistrots, les hôtels et restaurants, les brasseurs et viticulteurs, l’argent liquide et les chèques, les vieux, les fleuristes, les vide-greniers, les pauvres, les transports publics, l’aéronautique et l’industrie automobile, les stations thermales, les agences de voyage, le tourisme, les stations de ski, les médecins de montagne, les festivals, le spectacle vivant et le cinéma, les jeunes, les bouquineries, les boutiques d’habillement et autres de centre-ville, les fers à repasser, la publicité, les foires et salons, les chômeurs, les sportifs et les artistes amateurs, la vie directement vécue.
Le capitalisme mute, comme le virus, sous l’effet de l’emballement technologique, mais son « renforcement », comme l’appelle Robert Boyer, constitue en fait ce que les théoriciens marxistes – et Marx lui-même – nommaient plutôt « dépassement ». L’émergence, des flancs de la vieille société, d’une société nouvelle où l’acquisition de puissance compte davantage que l’accumulation du capital, et dicte sa loi, sa rationalité, au capital et à l’État eux-mêmes, qui la financent et la protègent. L’un et l’autre y trouvant leur compte sous forme de profits et de pouvoirs supplémentaires.
Cette société nouvelle que l’on nomme « technocratie » depuis le néologisme de l’ingénieur William Smyth en 1919 et qui repose sur le machinisme et la technologie, élimine constamment les moins adaptés. Chacun le sait depuis la disparition des paysans et bien avant que des scientifiques dévoyés ne répandent la fable du « darwinisme social » et de la nécessité de l’eugénisme, aujourd’hui technologique.
La technocratie elle-même se recompose et se polarise, entre ceux que la machine remplace – techniciens et cadres intermédiaires, fonctions support – et ceux qui détiennent effectivement la Machine, parce qu’ils la pilotent effectivement : chercheurs, ingénieurs, cadres supérieurs, dirigeants, entrepreneurs.
Quelles que soient les sociétés considérées, communistes ou libérales, étatiques ou parlementaires, « despotiques asiatiques » ou « libérales occidentales », c’est en faveur de la haute technocratie, de la couche supérieure de la classe technocratique, dont la volonté de puissance s’enfle des gains accumulés durant la crise, que s’accroît le rapport de forces. La mutation est la poursuite de la lutte de classes par d’autres moyens.