Les déclarations des gendarmes s’avèrent pleines d’incohérences, de contradictions et de zones d’ombre, notamment au regard de la topographie des lieux, des conditions de visibilité et du déroulement des événements
Communiqué de Tous migrants :
Aujourd’hui
Tous Migrants et la sœur de Blessing Matthew ont demandé la réouverture de l’instruction de sa mort.
Le 7 mai 2018 Blessing meurt noyée dans la Durance alors qu’elle est pourchassée par la police dans le village de la Vachette (proche de la frontière brianconnaise).
Nous avons analysé les déclarations des gendarmes et découvert qu’elle s’avèrent pleines d’incohérences, de contradictions et de zones d’ombre, notamment au regard de la topographie des lieux, des conditions de visibilité et du déroulement des événements.
En collaboration avec Tous Migrants et grâce à la contribution d’un des compagnons de route de Blessing, Border Forensics a mené sa propre contre-enquête. Leurs analyses ont permis de confirmer les nombreuses contradictions de l’enquête judiciaire concernant les conditions qui ont mené à la mort de Blessing, et le rôle des gendarmes dans celle-ci.
Aujourd’hui nous demandons la justice et la vérité pour Blessing.
Merci de diffuser le plus largement possible dans vos réseaux.
Nous participons à l’émission A l’air libre de Mediapart (en accès libre) (ce soir à 19h) aux côtés de Border Forensics ainsi que notre avocat Vincent Brengarth.
Toutes les informations seront également disponible sur le site web de Tous Migrants, ainsi que sur le site de Border Forensics (https://www.borderforensics.org/fr/investigations/blessing-investigation/ ?)
- Contre-enquête : 2018, Blessing meurt noyée dans la Durance alors qu’elle est pourchassée par la police
- Une contre-enquête sur la violence aux frontières alpines, avec Tous Migrants et Border Forensics
Ci dessous les premiers liens vers l’enquête de Border Forensics ainsi que vers l’article de Mediapart.
L’article de Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/300522/mort-de-blessing-20-ans-la-frontiere-un-temoin-sort-de-l-ombre-pour-accuser-les-gendarmes?utm_source=global&utm_medium=social&utm_campaign=SharingApp&xtor=CS3-5
Vidéo d’introduction à la contre-enquête : https://www.borderforensics.org/app/uploads/2022/05/La-Mort-de-Blessing-Matthew-Trailer.mp4
Vidéo d’analyse témoignage in-situ : https://cloud.borderforensics.org/s/ZPXYbM67Kd8qzBz
Vidéo d’analyse des contradictions dans le récit des gendarmes : https://www.borderforensics.org/app/uploads/2022/05/La-Mort-de-Blessing-Matthew-Analyse-1.mp4
Carte de l’enchainement des événements selon Hervé.S : https://www.borderforensics.org/fr/investigations/blessing-investigation/?gallery=true&media_id=image-81d8af3c
Carte des cas de violence à la frontière : https://www.borderforensics.org/fr/investigations/blessing-investigation/?gallery=true&media_id=image-d413e56f
Carte des décès à la frontière : https://www.borderforensics.org/fr/investigations/blessing-investigation/?gallery=true&media_id=image-617506b7
La mort de Blessing Matthew - Une contre-enquête sur la violence aux frontières alpines
La mort de Blessing Matthew - Une contre-enquête sur la violence aux frontières alpines
Introduction
Le 9 mai 2018, le corps d’une jeune femme noire est découvert dans la rivière de la Durance, bloquée par la retenue d’eau du barrage de Prelles, situé sur la commune de Saint-Martin-de-Queyrières en aval de Briançon, dans les Hautes-Alpes françaises.
Une enquête a été ouverte, permettant d’identifier la jeune femme quelques jours plus tard comme étant Blessing Matthew, âgée de 21 ans et originaire du Nigeria. Elle avait été vue pour la dernière fois le 7 mai alors que la gendarmerie mobile tentait de l’interpeler avec ses deux compagnons de route, Hervé S. et Roland E, dans le village de La Vachette, à 15 kilomètres de la frontière franco-italienne.
Au-delà de la douleur de sa famille et de ses deux compagnons de route, la mort de Blessing a suscité une vive émotion dans le Briançonnais. Elle a concrétisé les craintes, exprimées à plusieurs reprises par la société civile, concernant la militarisation de la frontière haute-alpine et ses conséquences dangereuses pour les personnes en migration. C’est le premier cas documenté de personne en exil décédée depuis 2015 dans le Briançonnais - 2 autres personnes y ont trouvé la mort depuis.
Le 14 mai 2018, Tous Migrants, une association défendant les droits des migrant·es dans le Briançonnais, a transmis un signalement concernant la mort de Blessing au procureur de la République de Gap, en lui exposant les faits rapportés par une des personnes qui l’accompagnaient le jour de sa disparition. Ce signalement a été suivi d’une plainte, déposée le 25 septembre 2018 par une des sœurs de Blessing, Christiana Obie, auprès du procureur de la République de Gap pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « homicide involontaire ».
Le 10 décembre 2018, l’officier de police judiciaire en charge de l’enquête a transmis au tribunal de Gap la synthèse des résultats de celle-ci, qui conclut que les éléments constitutifs des infractions alléguées ne sont pas démontrés.
Le 3 mai 2019, la sœur de Blessing et Tous Migrants se sont constitués partie civile dans une nouvelle plainte. Le 18 juin 2020, le tribunal de Gap a déclaré la plainte irrecevable et prononcé un non-lieu ab initio. L’ordonnance du juge d’instruction a été confirmée par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Grenoble le 9 février 2021.
Jusqu’à ce jour, le processus judiciaire n’a pas permis de faire la lumière sur les circonstances qui ont mené à la mort de Blessing, ni de déterminer qui en est responsable. Mais la famille de Blessing n’a pas abandonné sa quête de vérité et de justice : selon les mots de Christiana Obie, « ma sœur continuera à hurler » tant que la vérité ne sera pas connue et que la justice n’aura pas été faite.
C’est pour soutenir cette demande de vérité et de justice de la famille de Blessing que Border Forensics a mené une contre-enquête, en collaboration avec Tous Migrants et grâce à la contribution d’un de ses compagnons de route, Hervé. Les enjeux de notre enquête vont également au-delà du cas de Blessing. Son décès représente un cas parmi les 46 mort·es en migration à la frontière franco-italienne répertorié·es depuis 2015. Or, comme pour Blessing, aucune responsabilité n’a été déterminée pour ces morts. Les pratiques de mise en danger à la frontière des personnes en exil ont ainsi pu être perpétuées sans entraves. C’est également pour contribuer à mettre fin à cette impunité, et pour que ces pratiques cessent, que nous avons mené cette enquête.
(...)
Conclusion :
Notre analyse a apporté de nouveaux éléments fondamentaux concernant les circonstances de la mort de Blessing qui remettent en cause les conclusions de l’enquête de police judiciaire.
Premièrement, en analysant dans l’espace et le temps les déclarations des gendarmes, nous avons démontré leurs contradictions et incohérences alors même que l’enquête de police judiciaire a considéré que « l’ensemble des constatations et témoignages des protagonistes directs convergent pour exclure qu’il y ait eu guet-apens, course-poursuite et manquements aux obligations de sécurité et de prudence ». Nous avons démontré que l’absence de course-poursuite n’est pas prouvée par ces déclarations. Par ailleurs, les pratiques de mise en danger observées de manière récurrente à la frontière renforcent les raisons de mettre en doute les conclusions de l’enquête.
Deuxièmement, nous avons analysé un nouvel élément fondamental : le témoignage in situ d’Hervé S., un des compagnons de route de Blessing. Ce témoignage n’avait pas été recueilli dans le cadre de l’enquête : celle-ci n’attribue à Hervé que des propos lacunaires lors d’une conversation téléphonique, qu’il nie avoir eue, avec les gendarmes enquêteurs. Nous avons démontré que ce nouveau témoignage, contrairement aux déclarations des gendarmes, est précis et cohérent dans l’espace et dans le temps, ce que nous avons pu vérifier en le reconstituant in situ à La Vachette. Il est par ailleurs corroboré par d’autres éléments de preuve, dont le témoignage de Roland E. et de Jérôme P., ainsi que par des éléments matériels. De plus, les pratiques de course-poursuite et de mise en danger, documentées dans les Hautes-Alpes comme étant récurrentes à cette période, correspondent à celles décrites par Hervé, ce qui rend son témoignage plausible et d’autant plus crédible.
Bien que nous ne puissions prouver de manière définitive quel a été l’enchaînement des faits ayant mené à la mort de Blessing, notre mise en cause des conclusions de l’enquête ainsi que les nouveaux éléments que nous apportons dans la compréhension des faits justifient la demande de réouverture de l’enquête, qui seule pourra apporter une confirmation définitive des faits et déterminer quels sont les responsables de la mort de Blessing.
Faire la lumière sur les conditions ayant mené à la mort de Blessing est d’abord essentiel pour sa famille. Selon Christiana Obie, la sœur aînée de Blessing, tant que sa quête de vérité et de justice n’aura pas aboutie, Blessing « continuera de hurler ».
Par ailleurs, Hervé S., expose les enjeux de cette contre-enquête, au delà du seul cas de la mort de Blessing : « Nous, les immigrants à la frontière, on nous prend comme des animaux. Blessing c’est pas la première fois. Peut-être on va camoufler beaucoup de choses, il y a beaucoup d’autres personnes qui sont passées dans cette même situation. Et je n’aimerais pas que demain, après-demain, ça se reproduise encore sur d’autres qui vont arriver. »
En effet, comme nous l’avons démontré, les morts de personnes en migration à travers les Alpes sont récurrentes. Depuis 2015, 46 cas ont été documenté à la frontière franco-italienne. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, aucun acteur n’a été reconnu responsable de ces morts. C’est aussi du fait de cette impunité que se perpétuent les pratiques de contrôle mettant en danger les vies des personnes dont la mobilité est illégalisée et que la liste des mort·es continue de s’allonger. Alors que, quatre ans après les faits, la famille et l’association Tous Migrants continuent à demander vérité et justice pour Blessing, honorer cette demande serait une étape importante pour mettre fin à cette impunité, et pour faire cesser les pratiques mortifères de contrôle des frontières.
(...)
Grâce
Nouveau témoignage dans l’affaire Blessing Matthew, jeune femme retrouvée morte suite à un contrôle de police dans les Hautes-Alpes.
« Leave me ! Leave me ! » (Laissez-moi ! Laissez-moi !). Un nouveau témoin rapporte à Mediapart les derniers mots de Blessing, 20 ans, se débattant avec un gendarme avant d’être retrouvée noyée dans la Durance, en 2018 près de Briançon. Une sœur de la jeune migrante nigériane et l’association Tous migrants demandent la réouverture du dossier suite à un non-lieu de la justice « pour obtenir la vérité« .