Auparavant, quand les peuples subissaient guerres, effondrements locaux de civilisation, famines, guerres civiles..., la vie repartait bon gré mal gré, au même endroit ou à côté.
Ca pouvait être très dramatique, mais des sociétés humaines et des écosystèmes pouvaient renaître malgré tout assez vite.
- Notre capacité de survie, d’adaptation et à courber l’échine risque d’entraîner notre perte
- Une catastrophe chasse l’autre dans le grand spectacle 4k de la destruction du monde par la civilisation industrielle
A présent, l’ampleur et l’échelle ne sont pas de même nature.
La civilisation et son cortège de désastres, devenue planétaire et industrielle, n’épargne quasi aucune région de son emprise mortifère et de ses pillages directs, tandis que les catastrophes climatiques, écologiques et sociales qu’elle engendre affectent toutes les régions du monde.
Avant on pouvait fuir ou espérer reconstruire ensuite après les carnages.
Maintenant, avec des possibilités de hausses des températures moyennes de six degrés, avec des dérèglements climatiques et des destructions écologiques qui affecteront (et affectent déjà) tous les milieux, c’est la planète entière qui pourrait devenir inhabitable (avec peut-être quelques enclaves réduites où survivre, on ne sait pas), et ce durablement.
Le problème n’est pas donc pas du tout le même que lors des anciennes pestes, guerres de religion ou de conquêtes, génocides et autres famines.
Les humains, pour épargner leurs forces et conscients des armées de domination qui les contrôlent brutalement, ont souvent préféré la fuite, l’adaptation et l’assimilation plutôt que la révolte.
Ils courbaient l’échine, faisaient semblant d’être soumis, attendaient que l’orage passe, ils arrivaient à se relever des ruines produites par les puissants et leur système de société, ils trouvaient des zones refuges et des pays où fuir.
Ils ne se révoltaient qu’en cas de joug vraiment insupportable, de famine trop violente ou de tyrannie trop longue et trop impitoyable.
Cette habitude, cette stratégie, est restée bien ancrée.
- Notre capacité de survie, d’adaptation et à courber l’échine risque d’entraîner notre perte
- Endurer ce qu’on peut supporter plutôt qu’une révolte hasardeuse
L’ennui, c’est qu’avec les catastrophes climatiques, écologiques et sociales planétaires, cette habitude de courber l’échine et de tenir risque au final d’être totalement inadaptée.
En effet, dans cette situation, si on se révolte seulement quand les conditions sociales et écologiques sont devenues vraiment intenables, que la pure survie immédiate est en jeu et qu’on ne peut plus fuir nulle part, alors c’est trop tard car à ce stade les dégradations entrent dans un cycle d’auto-alimentation (boucles de rétroaction positives - voir rapports scientifiques et événements en cours en arctique). Plus rien ne peut arrêter la poursuite des désastres qui s’aggravent jusqu’à rendre la planète complètement (ou quasi) inhabitable.
De plus, mêmes les régions non (ou peu) industrialisées subiront les effets de la mondialisation de l’économie et du capitalisme. Il n’y aura pas vraiment de zones refuges (ou elles seront trop petites ou trop peu nourricières) ni bien sûr de planète B où se réfugier.
Dans ce contexte, notre capacité humaine à tenir, à courber l’échine, à être « dur au mal », à faire de la « résilience », à attendre que ça passe, à s’adapter, à refuser les ruptures radicales et les insurrections, à attendre et à compter sur les autres, devient une stratégie suicidaire inadaptée.
Le problème supplémentaire est que, si on veut diminuer les catastrophes et les empêcher peut-être d’atteindre des seuils « irréversibles », il faudrait que les révoltes aient lieu surtout dans les pays industrialisés riches, ceux qui influent le reste du monde, produisent (ou font produire), pillent et détruisent nettement plus.
Or, ces pays, du fait justement de leur richesse et de leur capacité de production, sont ceux qui arrivent le mieux à pacifier les foules, à endormir, à maintenir suffisamment de redistribution matérielle pour étouffer les envies de révolte.
Ils disposent aussi d’un puissant arsenal policier (et aussi bureaucratique, médiatique) capable de faire peur et de réprimer les soulèvements.
Nos pays riches et industrialisés, même si la misère et la précarité augmentent, ont encore les moyens de fournir suffisamment d’emplois, de distractions et de consommations pour que les masses se contentent de leur sort.
On pourrait se dire que la révolte générale pourrait surgir d’un simple différentiel de revenus. Les plus pauvres et classes moyennes d’ici, bien que plus riches et mieux lotis que nombre d’habitants de pays pauvres, pourraient se révolter du fait de l’écart de revenus avec les plus riches, de leurs galères et de leur exclusion des affaires publiques. C’est en gros ce qui s’est passé avec l’énorme soulèvement des gilets jaunes en France.
Seulement, il reste possible pour les gouvernements si ce type de révolte menace vraiment de distribuer des augmentations de revenus (ce que ne peuvent guère faire les pays pauvres, à moitié effondrés, complètement pillés), de jeter des miettes et des petites modifications institutionnelles pour calmer le jeu. Et la plupart des révoltés préfèrent généralement se contenter de ces petites avancées plutôt que de se révolter pour de bon et risquer une répression accrue.
Seuls ceux qui « crèvent vraiment la dalle » et des minorités politisées osent la révolte radicale.
Les dominants des pays riches savent tout ça, c’est pourquoi d’une part ils augmentent considérablement leurs moyens de surveillance et de répression, et d’autre part ils lèvent (ou lèveront) un peu le pied sur les mesures anti-sociales et ultra-capitalistes (voir en France le report des réformes libérales sur les droits au chômage et les retraites), voire lanceront quelques mesures sociales pour les plus pauvres.
Cette capacité de temporisation (par la force armée et l’aide sociale) des pays industrialisés riches et l’habitude des humains à courber l’échine plutôt que se révolter franchement fait pencher les perspectives globales vers le pessimisme.
- Notre capacité de survie, d’adaptation et à courber l’échine risque d’entraîner notre perte
- Avec une nature détruite et des températures de four, impossible de survivre, de rebondir, de s’adapter
Pour sortir de cette impasse, il faudrait :
- que les pays riches industrialisés connaissent des difficultés précoces et imprévues qui limitent les possibilités d’aide sociale et de contrôle militaire de leur territoire
- qu’une forte minorité de ces pays riches comprennent l’intérêt vital à se soulever sans concession dès maintenant même si elles vivent dans des conditions encore relativement confortables. Il faudrait qu’elles osent se mettre en danger même si leur survie immédiate n’est pas encore en jeu
Ces deux conditions ne sont pas totalement irréalisables.
Surtout qu’une multiplication des effondrements d’Etats du Sud (révoltes, guerres civiles, dévastations écologiques et climatiques...) déjà fragiles pourrait démolir les chaînes d’approvisionnement mondialisées et interconnectées des pays riches en matières premières, en énergies, en minerais et en objets manufacturés peu chers destinés à pacifier les masses des pays riches.
Les rebelles du nord auraient donc tout intérêt à soutenir matériellement, moralement et médiatiquement, les rebelles du sud.
Et puis d’autre part on sait que des basculements radicaux n’ont pas forcément besoin de mouvements de masse pour se produire, des fortes minorités déterminées plus ou moins soutenues par une part de la population peuvent peser.
En 2020, la pénurie de simples masques chirurgicaux, de respirateurs et de bouteilles d’oxygène a créé des tensions. Si des éléments essentiels à la Machine industrielle venaient à manquer, ce serait tout le système qui serait bloqué, et le mécontentement des populations du Nord pourrait alors exploser.
D’autre part, des catastrophes type pandémie/canicules/inondations qui se multiplieraient assez vite pourraient stimuler l’envie de révolte (mais aussi hélas les impasses autoritaires ou la soumission à la gestion étatique de rationnement...).
C’est pour ces raisons que certains pays riches songent à relocaliser chez eux certaines des productions, pas pour des raisons écologiques ou de créations d’emplois, mais pour sécuriser le système industriel.
Autre difficulté spécifique aux pays riches industrialisés
Ici les classes sociales sont très fragmentées, les solidarités collectives sont largement corrodées, chacun est sommé d’être une petite entreprise en guerre contre toutes les autres, il s’agit de consommer, de survivre chacun pour soi et de ne pas se prendre la tête.
L’atomisation et la perte des capacités et habitudes de luttes collectives fortes pourraient aussi fortement entraver les possibilités de révoltes d’envergure.
Néanmoins, tout peut revenir assez vite, dans le feu d’un mouvement social qui dure et s’enracine (voir gilets jaunes) ou d’une grève soutenue. C’est pourquoi dès que des risques d’élargissement d’un soulèvement sont là l’Etat s’efforce d’intervenir au plus tôt et brutalement (voir la nouvelle force d’intervention rapide « CRS 8 »). Il s’agit de souffler l’incendie à sa base pour éviter qu’il puisse s’étendre. Stratégie risquée : une déflagration intense de répression pourrait tout aussi bien mettre le feu aux poudres...
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