Face aux problèmes sociaux et aux catastrophes écologiques, on entend souvent : « on doit faire sa part », ou « moi je fais ma part ». Cette idée, popularisée par le mouvement Colibris et d’autres semble être une référence dans certains milieux, mais que signifie t’il au juste ? Est-il pertinent ?
Il est à présent connue, et prouvé, que cette civilisation thermo-industrielle gavée de capitalisme, en plus d’être une calamité en elle-même, engendre de multiples maux, dont des catastrophes climatiques et écologiques énormes qui pourraient aller jusqu’à la mise en péril de la plupart des formes de vie terrestres, y compris la forme humaine.
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Sachant cela, que fait-on au juste ?
- On ne change rien, après nous le déluge, tant pis pour nous et nos enfants ?
- On fuit dans une région dont on espère qu’elle sera épargnée, en mode survivaliste ?
- On vote écolo aux élections et on signe des pétitions ?
- On mange bio et on roule à vélo, en prenant des douches courtes ?
- On fait son jardin autour de sa petite maison écologique ?
- On milite contre le nucléaire, les OGM ou/et le Linky ?
- On bloque durablement des centrales à charbon et des terminaux pétroliers ?
- On construit radicalement d’autres modes de vies ?
- On fait des ZAD partout ?
- On pend tous les patrons avec les tripes des politiciens professionnels ?
- On sabote tous les lieux de Pouvoir et toutes les entreprises néfastes ?
Les options possibles sont nombreuses, et simplement dire « à chacun de faire ce qui lui convient », ne suffit pas.
Car il faut quand même bien réfléchir aux objectifs visés, et aux stratégies pour y parvenir. Veut-on juste se donner bonne conscience, limiter quelques conséquences, agir uniquement sur un mode individuel récupérable par le capitalisme (« vert »), ou vraiment entraver et remplacer la « méga machine » à tout détruire ?
Ensuite, avec des objectifs clairs et adaptés à la situation, il y a de la place pour tout le monde et pour toute une diversité de tactiques.
Faire sa part de quoi, pour faire quoi ?
Quand on voit la gravité et l’urgence de la situation, il devient vite évident qu’il n’est plus question de se limiter à des réformes, des améliorations, des pommades, du green washing, du capitalisme vert, du développement durable, des petites actions individuelles.
« Faire sa part » c’est donc prendre part aux actions visant des bifurcation radicales, l’arrêt de la civilisation industrielle, la disparition du capitalisme et son remplacement par des sociétés soutenables (qui prennent en compte l’existence et le fonctionnement du vivant dans toutes leurs dimensions, qui enrichissent la biodiversité) et autonomes (non inféodées à des lobbies, Etats, systèmes hiérarchiques, oligarchies, marchés...).
L’arrêt du nucléaire, le revenu inconditionnel, l’interdiction de la plupart des pesticides, des énergies à 100 % renouvelables (soi-disant...) ne suffiront pas, et peuvent même être contre productives, voir « Pourquoi l’efficacité énergétique ne résout rien, bien au contraire » et « L’Âge des Low Tech, de Philippe Bihouix ».
Si les actions restent dans le cadre du capitalisme et de la civilisation thermo-industrielle, ça revient à peu près à pisser dans un violon par rapport aux problèmes fondamentaux.
On observe encore pas mal de personnes qui croient bien faire en se contenant de suivre les consignes des ministères ou des ONG réformistes. Hélas, ces mesurettes sont insuffisantes et surtout à côté de la plaque puisque ne s’attaquant pas aux racines du problème.
Parfois, ces personnes y croient vraiment et se laissent abuser, parfois il s’agit juste d’un moyen de soulager sa conscience et de se situer socialement dans le courant des « gens biens », ce qui peut être valorisant.
Si « sa part » c’est juste faire quelques petits aménagements à l’intérieur du système capitalisme sans quitter la civilisation industrielle, alors c’est une illusion, c’est inadapté.
Si « sa part » c’est juste consommer à peu près autant, mais que du bio et « équitable » (ce qui est inaccessible aux plus pauvres. Seuls les plus riches, du haut des dominations et exploitations dont ils profitent, peuvent se payer le luxe de la bonne conscience ?), alors on ne sort par de l’idéologie destructrice de la Croissance.
Si « sa part » c’est partir quelques jours en vacance en avion en payant des « compensations carbones », alors on ne fait qu’ajouter à la destruction du monde.
A présent, vu la violence extrême du rouleau compresseur qui détruit la biodiversité et notre climat, « faire sa part », ce n’est pas juste de temps en temps faire un petit truc qui ne remet rien en cause de fondamental, « faire sa part », c’est plutôt quitter/stopper la civilisation industrielle, et donc arrêter toutes les destructions qui vont avec, et construire tout autre chose parallèlement et collectivement.
C’est s’engager pour ça sérieusement, tous les jours, sur la durée, résolument.
C’est peut-être pas facile, surtout tant qu’on est isolé.e, mais c’est la seule chose à faire si on veut essayer d’être conséquent.
Mais il est possible de se rassembler, d’avoir des allié.e.s et des solidarités, de marquer des points, d’avoir de nouvelles sources de satisfactions, de faire preuve de créativité.
Comment faire sa part ?
Quand on sait vers où aller, on peut chercher ensuite comment y parvenir.
Comment faire « sa part » dans les actions pour stopper la civilisation thermo-industrielle et quitter le capitalisme ?
Ca paraît énorme de prime abord, la résignation et l’impuissance nous guettent, mais il est possible de faire des choses simples, et avec des groupes et mouvements organisés d’aller plus loin.
Voici quelques idées, à vous de compléter :
- Refuser de consommer. Autant que faire ce peut, acheter un minimum d’objets neufs, et privilégier les productions locales, surtout celles qui essaient de sortir du mode capitaliste. Diminuer fortement, ou mieux, arrêter, la consommation de viandes et de produits animaux.
- Travailler le minimum (entendu dans le cadre de l’emploi et du système productiviste). Et en tout cas essayer de ne plus travailler pour aucune structure participant à la destruction du monde vivant (exemples : banques, bourse, éducation nationale, industrie pétrolière, nucléaire, centrales aux énergies fossiles, emplois au service de politiciens pro-Croissance/progrès industriel, abattoirs, agriculture industrielle (qui est un des plus important facteur de destruction), industrie automobile, commerces d’objets fabriqués à l’autre bout du monde, etc.).
Profitez du chômage ou du RSA, travaillez à temps partiel. Et chercher à produire collectivement les choses essentielles (nourriture, habitats autosuffisants qui consomment ou peu d’énergies) dans des structures non capitalistes à but non lucratif. Inventez des formes de solidarités pour vivre bien avec moins, faites pression sur les banques pour ceux qui ont des emprunts, et sur vos propriétaires pour ceux qui sont locataires, pour faire baisser les prix.
Si des ouvriers et cadres compétents démissionnent en masse de leurs postes clés dans le système industriel, celui-ci aura du mal à les remplacer et prendra un bon coup dans l’aile ! Et en plus ça laisse du temps pour agir, voir points suivants. - Aider financièrement et matériellement les divers groupes radicaux, Zads et organisations qui luttent de diverses manières pour démanteler/bloquer le capitalisme et cette société industrielle, et aussi qui construisent collectivement des modes de vie résilients/soutenables, dans le respect de la Terre-Mère
- Les plus riches, qui devraient se préoccuper eux aussi de leur survie, doivent contribuer de manière importante à aider financièrement et matériellement ces groupes
- Participer activement, d’une manière ou d’une autre, à ces organisations et groupes, à leurs actions. Il y a en a pour tous les goûts, tous les âges et toutes les disponibilités
- Afficher publiquement un soutien à ces groupes, et diffuser partout les idées autour de la résistance radicale. Ne pas critiquer les tactiques utilisées par d’autres qui pourraient nous déplaire/déranger
- Multiplier les habitats groupés bioclimatiques accessibles aux plus pauvres, les jardins collectifs inspirés de la permaculture, le partage de véhicules, l’apprentissage de l’autonomie collective dans tous les domaines, etc.
- Créer divers lieux de résistance et de mise en place de façon de vivre qui ne détruisent pas les bases de la Vie ni n’exploitent humain.e.s et autres animaux. Mettre en lien ces lieux, échanger sur les pratiques, les savoir faire, les tactiques.
Vous l’aurez compris, dans le monde tel qu’il est, si on veut vraiment avoir une influence décisive, imposer au plus vite l’arrêt de cette civilisation industrielle pilleuse et destructrice, stopper le capitalisme terroriste et totalitaire en le remplaçant par bien mieux, « faire sa part » ne peut se résumer à quelques petites actions éparses, conformistes ou réformistes. Il ne s’agit pas de juste s’occuper de soi et de sa santé, de faire des stages de bien être ou de « psychologisation » des questions sociales, mais bien de s’engager collectivement, fortement et sur la durée pour soutenir diverses actions radicales, ou/et y participer directement.
Veut-on vraiment survivre, que nos enfants survivent, que la Vie puisse continuer sur Terre ?
Si oui, c’est maintenant que ça se passe.
Faisons notre part !
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