Nombre de discours « écologistes » escamotent les problèmes structurels en se contentant d’invitations à « mieux consommer », à produire plus « vert » et plus « équitable ». On observe le même mécanisme d’évitement dans la soi-disant chasse aux inégalités de richesse et à la pauvreté ...qui ne remet jamais en cause les principes et les bases matérielles du capitalisme.
Un article sur Terrestres expliquent bien ce phénomène dérivatif qui décharge à bon compte la responsabilité d’un système et permet de continuer peu ou prou la même civilisation destructrice à tout point de vue.
Les structures cachées des empreintes cachées - Les émissions de CO2 associées aux importations en France ont doublé en vingt ans. Que conclure de ce fait tenace ? Qu’une écologie technicienne des limites planétaires détournant le regard des échanges écologiques inégaux ne peut accoucher que d’un capitalisme vert pâle ? Que la mondialisation décuple les dégâts du capitalisme dont il faudra bien se défaire ?
Extraits :
lutter contre les « inégalités des émissions » (sic) ne sera pas, à les lire, conflictuel. Pas question de toucher, au hasard, au processus de marchandisation du monde, à la propriété lucrative ou au rapport de domination salarial. Larmes de crocodile chez les partisans de cette écologie-des-empreintes : « si seulement » le gouvernement avait de la volonté, il agirait dans le sens de l’« intérêt général », on réduirait les inégalités environnementales, et on aurait déjà un Green New Deal dans une Europe sociale. L’inconséquence de ces propositions, qui jamais ne touchent aux rapports matériels de production, est stupéfiante.
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Ces échanges inégaux du si mal nommé libre-échange, cachés par l’apparente neutralité des valeurs monétaires, se répètent année après année, alimentent et structurent le capitalisme mondial. Le développement des pays riches se fait aux dépens des autres qui sont structurellement contraints d’exploiter jusqu’au bout leurs forêts, leurs sous-sols et leurs terres, de se vider de leur matière, de soumettre leurs populations dépossédées à des conditions de vie misérables et au salariat – et de rester « sous-développés ». L’échange écologiquement inégal consiste donc en rapport social de domination, reconduit dans le temps, qui a pour effet des flux biophysiques asymétriques : dit autrement, les empreintes et les inégalités socio-écologiques sont le reflet de structures objectives du capitalisme. L’existence de territoires (milieux et habitants) objectivement soumis à d’autres, dans un rapport de domination qui va souvent en s’accentuant, constitue la norme géohistorique du système capitaliste. Il est bien établi que les marchandises du doux commerce, ou le libre-échange tant promu par certains depuis Ricardo, voilent une violence insoupçonnée à l’encontre des corps et des milieux, et ce depuis les premières entreprises de colonisation. La crise environnementale, qui inquiète quelques penseurs de l’écologie-des-limites dès lors qu’elle pourrait les concerner au travers du climat, est inscrite dans la structure du capitalisme depuis son origine. C’est parce qu’elle se trouve à la racine du système qu’elle est radicale, et c’est pourquoi elle est irréductible aux limites ou aux empreintes.
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Réduire la crise environnementale aux inégalités écologiques, c’est faire la même erreur que ramener le capitalisme aux inégalités de richesses : négliger la question du pouvoir des classes dominantes, donc se contenter de corriger ou d’atténuer les « injustices ». Que les très riches pèsent mille ou dix fois plus que les plus précaires est secondaire au regard de leur pouvoir de contrôle économique et politique sur toute la société17y.. Non seulement les classes bourgeoises peuvent se livrer à la consommation luxueuse et ostentatoire, mais surtout elles organisent les rapports de production et définissent et imposent l’idéologie qui justifie leur domination. Il faut en effet tenir compte de l’idéologie pour saisir la permanence dans le temps d’un système qui produit autant de violence que le néolibéralisme. Outre l’externalisation concrète d’une part importante des conflits, on assiste, à partir des années 1990, à la dissimulation des rapports de domination dans les discours (néo-) libéraux – illustrée par la fameuse « fin de l’Histoire ». Ces deux mouvements, matériel et idéel, ont sans doute contribué à la viabilité du régime néolibéral. Ce constat amène une interrogation : quelle est l’empreinte de l’hégémonie de la pensée libérale sur le terrain idéologique, en particulier le renoncement à l’analyse du conflit social (dans sa diversité) et de ses déterminants ? Quelle est l’empreinte idéologique du FMI, des écoles de commerce, du journal Le Monde, de TF1, de Terra Nova ou de l’ENA ?
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L’écologie-des-empreintes repose le plus souvent sur des fondements trop instables et se contente d’être une extension « critique » de l’écologie-des-limites, dont elle ne conteste pas radicalement le cadrage mais simplement son point de vue trop restrictif. Comme pour les inégalités (ou « injustices ») économiques, les inégalités écologiques doivent être intégrées dans l’histoire du capitalisme, c’est-à-dire solidement rattachées à des structures, pour être utiles à la réflexion et l’action politique.
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quelques outils pour déjouer le gloubi-boulga de la Lingua Capitalismi Neoliberalis, et lutter contre la réduction dépolitisante de l’écologie à des limites (asociales) ou, extension louable mais qui ne marque pas de rupture, à des empreintes (astructurelles). Le choc de la Covid (virus qui pourrait être une production endogène du néolibéralisme tant les zoonoses en sont le fruit) va pousser les classes dominantes à promouvoir une transition vers un capitalisme vert (qui n’est pas totalement oxymorique puisqu’il s’agit du vert-des-limites/empreintes), avec une relocalisation de certaines industries, des data centers et de la 5G qui carburent au renouvelable, et l’Etat en soutien. Le nouveau régime cherchera à se rendre désirable par les joies des marchandises intelligentes et numériques. Il peut recevoir le soutien des écologies des-limites-et-des-empreintes, séduire les classes bourgeoises urbaines (qui maintiendraient leur hégémonie culturelle) et une part importante des classes moyennes. Ce projet bénéficierait objectivement du niveau inouï des dégâts, de l’affect climatique grandissant, et l’injonction à agir (« vous ne voulez quand même pas que les limites soient dépassées »). Pourtant, quand bien même quelques limites/empreintes seraient respectées (hallelujah, gommette verte) avec une base matérielle moins fossile, il est en l’état certain que ce capitalisme amènera d’autres exploitations et dégâts dans les milieux et les corps des travailleurs (sans parler des dangers de la surveillance de masse, y compris sous couvert d’optimisation des empreintes). Prendre au sérieux le diagnostic radical du Capitalocène, c’est réfléchir aux transformations de même ampleur et ne pas se contenter de le réformer ou d’atténuer les dégâts qu’il produit nécessairement : les partisans de l’écologie-des-empreintes ne semblent pas prêts à franchir le pas. Au-delà du néolibéralisme, dont nous avons rappelé l’ignominie, c’est la logique du capital qui doit être radicalement combattue, sous peine de simplement promouvoir un alter-capitalisme.