Des exemples de résistance au techno-monde par des femmes de Bretagne et des indigènes, puis quelques exemples de possibles améliorations sociales sans pour autant céder à la civilisation industrielle.
I. « ON NOUS DEMANDE POURQUOI NOUS SOMMES CONTRE LA CENTRALE. ET NOUS, ON DEMANDE : POURQUOI UNE TELLE CENTRALE ? ICI ?
On est tranquille ici chez nous. Jusqu’à présent, on ne nous avait rien proposé, pas d’industrie, pas de boulot, on nous ignorait. Les hommes ont été obligés de partir et nous de nous débrouiller seules quand ils partaient. On ne demandait rien et ils ne se sont jamais occupés de nous. ON NE VEUT PAS DE CETTE CENTRALE. On est tranquille ici, on veut vivre tranquille, qu’on nous laisse finir notre vie, tranquilles.
On n’a pas besoin de piscine ici, la baie des Trépassés nous suffit ! Ni de tellement d’électricité !
— L’électricité je n’en ai pas besoin, ce n’est pas la télé que je regarde, mon plaisir c’est d’être tous les soirs au jardin. Et le chauffage pour moi merci ! je n’en ai pas besoin. Même la cuisine on peut la faire au feu de bois, elle n’en est que meilleure. » ///
II. « Nous avons été étonnées, en voyageant en France, qu’on nous demande : “Mais comment avez-vous pu réagir comme ça à Plogoff ?” À Blois, par exemple, on nous a dit : “Nous, on a regardé passer les réacteurs dans les rues de Blois, et personne n’a rien dit, rien fait.”
Et c’est notre réaction à nous qu’on ne comprend pas ! Pourtant, eux, ils n’en voulaient pas et ils n’ont rien fait. Je leur ai répondu : “On n’est pas venu ici pour vous dire ce qu’il faut faire. C’est à vous de prendre votre vie en main et de savoir ce que vous voulez.” Il faut d’abord savoir ce qu’on veut.
Si, dans certaines régions, les centrales s’implantent si facilement, c’est parce que les gens ne bougent pas, ou pas suffisamment. Ici, on s’informe depuis des années ; même les grand-mères de 60, 70 ans sont entrées dans la lutte. On est tous mobilisés. On ne veut pas de la centrale, et on se bat pour ne pas l’avoir.
En ville, c’est vrai, le problème n’est pas le même : les gens n’ont pas les mêmes attaches. Ici on a des terres, on est enracinés depuis des années, c’est pas du tout pareil.
— J’ai bougé plus que d’autres à Plogoff. En ville, les gens mènent une vie plus triste que la nôtre. Il y a du béton partout, des chantiers. Dans la vallée du Rhône, on a construit des centrales, mais ce sont des pays industrialisés où il n’y a plus rien de beau tellement les usines les ont abîmés. Il y a du travail, mais des usines, des autoroutes, des barrages, des choses abominables dans ces régions-là. La région de Lyon, il n’y a pas une région plus triste, c’est affreux ! On ne verrait pas ces usines, ces autoroutes, ce serait un beau pays, mais on a creusé dans les falaises, on a taillé... C’est un pays abîmé. Et là, les gens ont laissé construire des centrales, parce que leur pays est tellement défiguré qu’une de plus, une de moins !...
— J’ai des amis à Toulon qui habitaient un joli quartier où il a été question de faire un embranchement à l’autoroute. Dès qu’ils ont entendu parler de ce projet-là, ils ont vendu leur appartement qu’ils habitaient depuis 15 ans pour aller s’installer ailleurs. Ils se sont aussitôt habitués ailleurs...
Une maison a des racines, un appartement, non. »///
- Argent, progrès technique et emploi ne nous intéressent pas
- Femmes de Plogoff ou indigènes : un même refus de la civilisation industrielle au profit de la tranquillité et de la dignité
III. « On n’a jamais eu d’industrie jusqu’ici. On vit sans industrie et on est bien comme ça : on est tranquille. […] C’est ça que les gens de l’extérieur ne comprennent pas : le côté matériel ne nous intéresse pas. Les retombées économiques ne nous intéressent pas. L’argent ne nous intéresse pas ! Ça, ils n’arrivent pas à le comprendre. On n’a pas de travail ici, et même ça, ça ne nous intéresse pas. Ça les étonne complètement. »///
Ces affirmations de femmes de Plogoff contre le progrès technique et l’expansion industrielle ressemblent fort à des remarques d’autres femmes, indigènes de Colombie par exemple, de Maríalabaja, où des monocultures de palmiers à huile empiètent depuis peu sur le territoire traditionnel de communautés afro-descendantes. L’ONG World Rainforest Movement (Mouvement Mondial pour les Forêts Tropicales) nous rapporte leur histoire dans un article intitulé « Guatemala et Colombie : Les femmes face aux plantations de palmiers à huile ». On y apprend que :
« Pour elle [Catalina], comme pour beaucoup de membres de sa communauté, le palmier a causé le désastre à Maríalabaja : il a mis fin à l’abondance d’aliments et, surtout, a contaminé l’eau du réservoir, laquelle constitue la seule source d’eau disponible dans le village : “Les produits agrochimiques appliqués aux palmiers ont contaminé l’eau : c’est pourquoi toutes les femmes contractent des infections vaginales ; il y a beaucoup de maladies de la peau surtout chez les enfants et aussi des maladies des reins.“ Il suffit de se baigner pour ressentir des démangeaisons. Et la tâche, toujours plus difficile, d’obtenir de l’eau potable pèse littéralement sur les têtes des femmes qui doivent transporter de lourds bidons d’eau puisée dans les zones du réservoir où l’eau est moins trouble. […]
Catalina rejette cette idée du progrès qui dévalorise leur mode de vie ancestral : “Nous jouissions du bien-être, dans le sens où nous vivions bien. Nous ne disposions pas de technologie, mais nous vivions dans la tranquillité.” Elle défend la dignité de travailler la terre pour produire les aliments traditionnels de la région plutôt que d’exporter l’huile de palme. »
On peut aussi mentionner les propos d’Ati Quigua, une Arhuacos de Colombie, un peuple qui vit dans les montagnes de la Sierra Nevada :
« Nous nous battons pour ne pas avoir de routes et d’électricité — cette forme d’autodestruction qui est appelée développement, c’est précisément ce que nous essayons d’éviter. »
Partout sur Terre, il fut un temps, il y avait des gens simplement heureux de leurs conditions — de leurs conditions simples, rudimentaires, archaïques aux yeux des cyberconsommateurs contemporains pourtant incapables de trouver la moindre satisfaction significative dans les conditions hautement sophistiquées, technologisées, enrichies de divertissements toujours plus innombrables qui leur sont faites (en quête d’un bonheur qu’ils n’atteignent jamais parce que ses conditions, paradoxalement, n’existent plus). Des gens qui n’aspiraient pas au « progrès » (des forces productives, de la technologie, du système économique, de la civilisation, c’est-à-dire aussi du ravage du monde). Et si ce sont des voix de femmes qui sont rapportées ici, ce n’est sans doute pas un hasard. Le « progrès » de la civilisation, délire prométhéen de grandeur, volonté de puissance, hubris, état d’insatisfaction permanente, « mal de l’infini », « supplice perpétuellement renouvelé » (Durkheim), découle entre autres de « la mise en cage du deuxième sexe et de l’appropriation de la terre par les mâles » (Françoise d’Eaubonne).
Post de Nicolas Casaux
NOTES :
J’ajouterai qu’il est possible pour les peuples d’améliorer grandement leur condition sociale sans céder aux rêves mortels de la civilisation industrielle et de son machinisme capitaliste.
Par exemple :
- en évitant que les meilleures terres soient accaparées par des notables, des seigneurs ou des multinationales, en "cultivant" ces terres de manière respectueuse du vivant (cueillette, permaculture...), et en partageant entre toutes et tous les fruits de ses terres.
- en pratiquant la démocratie directe visant la justice sociale et le bien vivre pour toutes et tous au lieu de subir les technocraties/tyrannies/oligarchies qui sont au service des puissants et du techno-capitalisme
- en bâtissant/rénovant de manière écologique et collective des habitats agréables et durables, au lieu de subir les diktats du BTP, de la spéculation immobilière et de la propriété privée
- en quittant le monde abstrait et destructeur du Travail lié à la valorisation du Capital, au profit d’activités partagées décidées ensemble pour satisfaire des besoins réels définis collectivement et tenant compte des exigences d’émancipation, du respect des autres vivants et des données écologiques terrestres
Marmotte