ON EST UN PEU DANS LA MERDE
Le manichéisme au sens moderne du mot, est une attitude simplificatrice consistant à tout ramener à un combat du bien et du mal, démentant les qualités de pluralisme et de tolérance.
Notre gentil petit modèle de société se fait de plus en plus excessif. De plus en plus extrême pour une pauvre âme moyenne, basique. Une petite moyenne sans envergure, sans méchanceté ni aspiration déplacée. Moyenne dans tout ce que cela se rapprocherait presque du gros mot aujourd’hui. Une existence qui a longtemps préférer s’ignorer parce que le contexte d’une nécessaire extrapolation rend la connaissance de soi-même difficile. Parce qu’être « » dans le sens le plus neutre du terme, c’est associé à n’être rien.
Parce que le manichéisme, il fait mal au cœur des gens moyens (et on est nombreux. Taiseux, mais nombreux). Pour sa propre construction, mais aussi parce qu’il représente un vrai risque pour tous. Sa montée en puissance fait en effet craindre que le monde parte résolument en couille. Les plus hautes sphères sont touchées et les conséquences risquent effectivement bien de nous retomber sur le coin du nez avant même que l’on ne se soit aperçu de l’arrivée insidieuse du prochain Hitler.
Petit détour sur l’actualité : l’extrême a déjà sa place aux USA. Quoi que cela ne surprenne finalement pas vraiment, si ? Le pays a pris de l’avance sur le thème de l’excès. Il le revendique même. Il n’est pas plus reconnu pour son histoire pondérée que pour sa délicatesse. Ne parlons pas non plus de la politique russe ou du dictateur asiatique à la coupe de Playmobil. Parlons encore moins de ces chers politiques européens. Les pires étant surement ceux qui ont défendu bec et ongles la sortie d’un modèle qui nous protège de la guerre depuis une bonne soixantaine d’année (l’Europe pour ne pas la citer). Mais pourquoi ? Parce qu’après coup, Madame May se retrouve bien conne d’avoir gagné une indépendance dont elle ne sait finalement pas trop quoi faire. Sa possible démission représenterait tout de même un joli aveu. Mettre des coups de pieds dans la fourmilière c’est bien, mais avoir un plan après avoir piquer sa crise, c’est mieux.
Ne parlons pas non plus de nos pathétiques politiques français qui rivalisent apparemment d’ingéniosité pour faire dans l’excès « é ». Ils se bouffent aujourd’hui le nez en se renvoyant les patates chaudes de leurs salaires, de leurs maisons non déclarées, de leur appartement HLM dont il profite en touchant 14euros par mois (une misère) tout en défendant des valeurs de gauche bien pensante. Les autres petits péteux droitistes qui ne valent pas mieux, s’engaillardissent à renforcer leur discours pour avoir des chances de piquer des voix à la fratrie maître en la matière de l’extrémisme hypocrite. Bref vu le tableau, il est possible de se dire qu’on est un peu dans la merde.
Parce que forcément si les modèles d’en haut se la jouent extrêmes, la foule tout en bas finit elle aussi par suivre le chemin si tentant et bien établi de l’excès. Ca semble finalement presque douillet de se lancer à corps perdu dans les débats sans fin et l’opposition toujours plus abusive à l’autre. De se nourrir de polémique facile. Le voilà le nouvel opium du peuple ! Il se noie dans les commentaires en ligne (forcément anonymes parce qu’un avis tranché n’a jamais fait pousser de couilles). Il se complait dans un Twitter toujours plus agressif et anxiogène… Bref il se sent vivre de la plus laide des façons.
Même la bouffe bordel !
La base même de l’humain s’en trouve perturbée. Manger, boire et baiser. La trilogie sacrée, la seule qui compte, elle-même entachée par la tendance de fond qui détruit le mystique et le pur. Ah oui parce que pour exister, au-delà des avis tranchés, il faut aussi « tranché ». Et pour cela, choisir un régime alimentaire bien spécifique.
Parce que oui, même les putains de régimes sont devenues radicaux. Hyper protéinés, Végan ou sans gluten (du gluten putain !). On est tous trop gros ou trop maigre, trop mou ou trop musclé, mais quoiqu’il en soit, trop.
C’est marrant pourtant parce que « régime équilibré », ne cachait pourtant pas de piège. C’était plutôt direct et clair non, bordel ? Franchement, est-ce bien la peine de compliquer les choses jusqu’à la nourriture qui reste pourtant un basique de la vie humaine ? A quel moment le fait de pouvoir manger tous les jours est devenu tellement « » qu’il a fallu là encore ajouter un peu de piment et de débat. A quel moment quelqu’un s’est dit qu’il était temps de recatégoriser les aliments et de pointer du doigt des intouchables (enculé de gluten) ? Notre jolie petite société nombriliste et déphasée aura même réussi à salir notre relation avec la nourriture.
Et le boulot ?
Professionnellement, cette recherche permanente d’absolu peut aussi se traduire par une nouvelle passion, subite, violente. Un désir fou de « » par exemple, qui veille depuis toujours, dans l’ombre, et s’ouvre d’un coup, grâce à une opportunité. Evidemment, parce que tout doit être placé dans une case, il faut associer une spécialisation à cette pulsion. On choisit alors un sujet qui plait depuis l’enfance et que la richesse des innovations donne matière à blablater. Il est alors possible, lorsqu’une porte s’ouvre, de se donner au maximum quitte à bâcler sans s’en apercevoir, parce que comme pour le reste, il faut aller vite. Quitte à faire disparaître les frontières du personnel et du professionnel, quitte à s’émerveiller devant tout et tout le monde sans oublier les mesures nécessaires qui permettent de le prendre ce putain de recul indispensable à l’équilibre. Et parce que le travail prend la majorité du temps de chaque journée, il peut dévorer lui aussi et faire sauter les barrières qui sépare une réflexion posée d’une noyade dans le trop, hors de toute tempérance.
***
On oublie vite. On oublie vite que le neutre, il n’est pas synonyme de fade et de fadaise. Il ne le doit pas. Il doit se rappeler à notre bon souvenir comme un message de pondération, de constance et de cette sagesse que l’accélération du monde a totalement éclipsé. Un monde paradoxalement plus intelligent et partageur de l’information. Mais un monde tellement plus cru et déshumanisé que chacun cherche désormais à se creuser un terrier de pensée radicale pour éviter de regarder ce qu’il est devenu : une petite boule de pus trop malaisée et se sentir emportée par un courant tellement rapide qu’il fait perdre pied.
Une tristesse…
La tristesse du manichéisme donc. De l’excès. Ce qui laisse imaginer à tous que finalement, il faut être radical pour se faire écouter. Que seuls les avis les plus tranchés permettent d’exister.
Mais pour les plus sensibles, il est difficile de devoir toujours trancher. De devoir toujours chercher à se catégoriser, à appartenir à des courants de pensées désincarnées. Parce que oui, dans la vie, il est possible d’aimer la chaleur mais aussi le ski. D’écouter un jour du Piaf et d’avoir envie d’un tube de Britney Spears trois minutes après, parce qu’elle remonte le moral la coquine. De kiffer un steak mais d’apprécier la tomate-mozza. De regarder les miss France un soir en se bidonnant puis de lire un bouquin (presque) intellectuel le lendemain. Sans se justifier, sans chercher à se donner un genre plutôt qu’un autre, sans se cantonner à une case ou une autre. Avoir le droit de changer d’avis parfois même (!). Comprendre peut être aussi que le monde est fait de complexité, et que les raisonnements catégoriques et tranchés n’ont que le goût de leur simplissime hystérie.
Parce que non les gars, non. La vraie force de penser n’est pas d’avoir raison à tout prix. L’idée (même si elle peut s’assimiler à une forme de gâchis sous l’angle œnologique) est de mettre de l’eau dans son vin. De faire preuve de libre arbitre, d’un minimum de réflexion et de façonner une vision tempérée du monde. Dans sa réalité. Parce que oui, il y a du gris. Parce que oui, la nuance existe. Sans faiblesse ou manque d’intelligence, justement. Mais parce que le monde et les gens, ils sont faits de plusieurs couches, de complexité et de profondeur. Parce que tout mérite d’être creusé, parce que chacun mérite d’être écouté et discuté. Et parce qu’un regard superficiel et un avis vite tranché, finalement font rater beaucoup de belles nuances qui font justement la richesse de nos petites existences.
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