- corona virus : J’ai fait un choix, Le déconfinement.
Depuis maintenant plus d’un mois nous sommes complètement dépossédé de nos vies, de nos mouvements, de notre pensée, de nos liens affectifs, de nos organisations affinitaires, tout cela sacrifié sur l’autel de la peur, de l’incompréhension, de l’inconnu. Nous avons été défaits à une vitesse que nous n’aurions jamais pu imaginer. De nouveaux mots que nous n’avions jamais employé auparavant font partie aujourd’hui dans notre langage courant, confiné, attestation de sortie, épidémie, geste barrière, pandémie. Les mots sont vecteurs d’un imaginaire, et lorsque les mots que nous employons sont ceux de l’État, des scientifiques, ils nous est beaucoup plus difficile de penser par nous même et pour nous même.
Cette dépossession de notre langage, et par la même de notre pensée, a pu être accentué par l’impossibilité de nous voir, d’échanger, d’entrechoquer nos imaginaires, de confronter nos vécus. C’est peut être la toute la différence avec ce qui pourrait ressembler à une forme de grève de l’économie. C’est que cette « pause » dans le monde de la marchandise, ces emplois du temps qui tout d’un coup se sont remplie de vide, cette situation extraordinaire n’a pas été crée de notre fait, mais belle et bien par l’autorité de l’État et de sa police qui l’a fait respecter à coup de contrôle incessant, de violence inouï et d’assassinats légaux.
Durant la première semaine de confinement autoritaire je me suis retrouvé, pour la première fois de ma vie, à regarder sur vidéo projecteur le discours et les conseils de nos abjects politiciens. Suspendu à leurs annonces, à leurs yeux hypnotiques nous fixant toutes et tous, à leurs injonctions guerrières à rester chez soit. Toutes nos discussions tournaient autour de ce virus et de tout l’inconnu que cette situation nouvelle déployait. Mais nous parlions avec leurs mots, postulant et agissant à partir de leurs mises en garde et leurs décrets. Tout cela sous couvert de grands principes un peu abstraits tel que la solidarité avec le personnel hospitalier, la solidarité avec les personnes les plus à risque de mourir, la solidarité national. Nous étions tous revenu dans le giron de l’État, atomisé et solitaire….
Comment alors retrouver de l’autonomie, se réapproprier l’attention et le soin qu’on se porte les un.e les autres ? Comment prendre autant soin de la santé physique que de la santé mental ?Comment déconfiner nos corps de cette peur, de cette distance qui s’installe dans nos relations aux autres ? Comment retrouver de l’espace mental pour réfléchir, de l’espace physique pour se soutenir, prendre position ?
Peut être qu’il est grand temps de remettre le JE au centre afin de pouvoir retrouver notre autonomie de pensée. Commençons déjà par se positionner face à toutes ces questions. Moi individu de quoi ai-je peur ? Si je suis angoissé pour ma propre santé, par l’idée de ma propre mort peut être faut-il déjà tenter de raisonner pour soit même. Suis-je considérée comme une personne à risque (diabète, asthme, maladie pulmonaire, personne âgé etc...), si on ne correspond pas à ces différents facteurs peut être pouvons nous raisonner en se disant qu’on risque bien plus de mourir en prenant sa voiture, en montant sur un échafaudage, en faisant du parapente, ou que sais-je d’autres. Et heureusement on ne se pose pas la question de la mort à chaque fois que l’on met le pas dehors, ou je n’espère pas en tout cas, car une vie anxiogène à outrance doit-être une vie dur à vivre. Si malgré la raison, l’angoisse prend le dessus il faut alors s’entourer de personnes qui peuvent nous rassurer, qui prenne soin de nos peurs, qui respecte les limites qu’on se fixe sur les questions liés au virus. Cela implique, la aussi, d’éventuellement se déconfiner pour être avec les bonnes personnes...
Si on fait quand même partie des gens considérés comme personnes à risque peut-être pouvons nous , la aussi, avoir le droit de dire ce que l’on pense et pouvoir choisir nous même les risques qu’on décide de prendre avec soit même et a quel degré on choisit de rentrer en interaction avec les autres. La aussi il faut prendre soin les uns, les unes des autres et ne pas se mettre en danger inutilement tout en étant à l’écoute des besoins qui sont exprimés.
Si MOI individu je n’ai pas peur pour moi mais que j’ai peur pour les AUTRES il faut commencer par nommer les autres afin de ne pas se perdre derrière de grande notion abstraite et flou. Par exemple si l’autre c’est finalement ma grand-mère peut-être que je peux déjà l’appeler et lui demander à elle directement. Préfère t’elle ne pas me voir par risque que je puisse être porteur sain du Corona virus, ou bien est-ce que pour elle la solitude, le fait ne pas me voir pendant plusieurs mois est bien pire que l’idée de tomber malade et de mourir ? Bien sur entre les deux il y de nombreuses alternatives, s’appeler régulièrement, se voir mais à des distances plus que respectables, choisir de s’enlacer et de s’embrasser etc.. Si les autres sont une notion plus abstraite tel que le service hospitalier et le besoin de ne pas engorger les hôpitaux, il faut accepter qu’il n’y pas de risques zéro et qu’on peut se blesser gravement en restant chez soit. Qu’on peut faire attention, mais cela ne suffira jamais à éviter la malchance, un risque sera toujours là...
Du coup, une fois qu’on se sent au clair avec soi même, on peut poser la notion de consentement au centre de nos relations avec « l’autre ». Par exemple maintenant je dis à ceux/celles qui m’entourent que je ne me considère comme déconfiné, que je me suis posé l’ensemble de ces questions et que d’une certaine manière j’assume la responsabilité de mes actes. Je considère qu’autour de moi j’ai peu de personnes à risques, et pour celles/ceux qui le sont, je respecte fondamentalement leurs propres règles/distance/hygiène. Je fais attention a la distance avec les inconnu.e.s et les connues, je me lave les mains régulièrement etc. Mais du coup lorsque je me dis déconfiné je renvoie la balle à l’ami.e qui se trouve devant moi et lui demande ou il/elle en est et si il/elle veut qu’on se serre dans les bras, ou qu’on s’embrasse ou quoi qu’est-ce... Je lui demande donc de prendre position comme individu , et je respecterai sa position qu’elle qu’elle soit. Cela m’a permit de prendre des ami.e.s dans les bras, juste pour le plaisir, ou parce que la détresse affective, le besoin de contact devenait trop fort. J’ai eu autour de moi des gens pour qui la santé mental était parfois plus importante que la santé physique et envers qui j’ai eu une présence physique car je sentait que le besoin était abyssale.Voila aujourd’hui je me dis déconfiné, j’embrasse et touche celles et ceux qui le veulent, j’essaie de retrouver une présence aux corps, aux petits gestes, aux petites attentions du rien mais qui font beaucoup dans une vie. Moi même j’ai un besoin intense de ça et l’écran ne pourra jamais combler mon besoin de consolation, d’affection, d’amour. Que la parole seule, sans le geste, sans le toucher ne répond pas à ce besoin.
Car en face les pouvoirs rêvent que nos corps ne se rassemble plus, que nos colères ne puissent plus s’agréger autrement que par un écran interposé, que nous soyons nos propres flics dans des corps qui ne nous appartiendrais plus vraiment. Si demain je ne pouvais plus toucher un corps, caresser une fleur, me rouler dans une flaque d’eau. Hurler ma révolte postillonnante à la face de l’autorité. Je préfère mille fois la mort à une vie fade, ou le présent serait dicté par la peur et l’angoisse de sortir de chez soit et de se lier les un.e.s aux autres...
Ceci n’est pas un appel.
Juste une aspiration. Celle de ne pas sacrifier nos humanités sur l’autel de la peur. Celle de ne pas perdre de vue ce qui nous tient en vie. Une vie qui ne s’atteste pas, qui ne se note pas, qui ne se regarde pas à travers un écran. Une vie qui pulse de sa liberté exagéré, qui se noue intimement avec tout ce qui est vivant, qui rue dans le brancart, qui ne cesse de déborder de son lit.
A demain !
« Sauver des vies. Quelles vies ? La Vie, celle qui est définie comme se distinguant de la mort par l’activité physiologique de l’organisme (le critère de mesure ultime étant définie, depuis quelques décennies par l’activité cérébrale) ? Ou la vie, en termes d’unités temporelles nous séparant de la mort ? Ou encore la vie qui vaut la peine d’être vécue, conçue aujourd’hui comme la qualité de vie ? »
Extrait tiré de ce texte publie sur Lundi.am https://lundi.am/Sauver-des-vies
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