Un honnête homme...

J.P. de Bollardière

dimanche 8 octobre 2017, par Roger Poulet.

On ne peut arpenter les rues des villes sans tomber sur des noms de rue qui honorent des personnages peu recommandables, responsables de milliers, voire de millions de morts. Il serait tout à fait raisonnable de débaptiser les rues Adolphe Thiers, bourreau de la Commune, et même celles du nom de Napoléon et de quelques autres généraux-bouchers.

Aussi, il me semble intéressant de se pencher sur la carrière d’un général, résistant de la première heure, baroudeur, devenu pacifiste convaincu par horreur de la torture pratiquée par l’armée française, je veux parler du Général Jacques Pâris de Bollardière.

Né en 1907 en Bretagne, à Châteaubriant, il accompli ses études au collège Saint-Sauveur de Redon, et , suivant une tradition familiale, il bénéficie d’une formation militaire classique au Prytanée militaire de La Flèche, et l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr.

De 1930 à 1939,il s’engage dans la Légion Étrangère.Affecté à la 13e Division Blindée, il est envoyé en Norvège, à Narvik, pour combattre les forces nazies. C’est en 1940 qu’il se distingue. Il est un des premiers à répondre à l’appel du Général De Gaulle. Il a 32 ans.Il est, bien sûr, condamné à mort par les tribunaux de Pétain, puis décoré par De Gaulle. C’est ensuite la campagne d’Égypte et celle d’Érythrée contre l’armée italienne.

Au Début de1942, il est dirigé en Libye avec son unité. En plein bataille d’El Alamein contre les troupes de Rommel, sa jeep saute sur une mine, son chauffeur est tué et lui-même gravement blessé au bras.De retour à Londres, le 25 octobre 1943, il apprend que des milliers de jeunes Français mènent le combat de la Résistance avec le soutien d’une partie de la population. Le 12 avril 1944, il est parachuté à Mourmelon avec la charge de mener à bien l’opération « Citronnelle » dans le maquis des Ardennes. Le débarquement du 6 juin entraîne un sursaut de l’armée allemande qui attaque le maquis. Les pertes sont lourdes. Finalement, avec l’aide des troupes alliées, l’ennemi est repoussé.

L’Indochine 1946 – 1953

Tout au long de leur séjour en Indochine, Bollardière et sa femme, Simone, auront d’excellents contact avec la population vietnamienne.

« J’étais confronté en réalité à la guerre d’une armée contre un peuple dont je discernais de plus en plus qu’il était soulevé par une aspiration absolument profonde et authentique de recherche de sa liberté. Sortant du maquis, je ne pouvais pas ne pas me sentir dans une sorte de communion avec des hommes qui faisaient exactement ce que j’avais fait quelques mois auparavant et pour les mêmes raisons. » J.P. de la Bollardière.

Cette guerre monstrueuse contre un peuple qui se bat pour son indépendance laisse un goût amer au colonel de Bollardière. Jugeant la défaite de la France inéluctable, confronté à un état-major qui refuse de l’entendre, il rentre en France en 1953.

1956 – 1957 Face aux « événements » d’Algérie

En juillet 56 Bollardière est chargé du commandement de deux brigades de rappelés dans la Mitidja et dans le secteur est de l’Atlas blidéen. Avec le colonel Roger Barberot et le lieutenant Jean-Jacques Servant-Schreiber, il crée les « commandos noirs », de petites unités chargées de renouer le dialogue avec la population musulmane. Mais le général commandant la région nord d’Alger dont il dépend, Jacques Massu, préfère les « opérations de police » aux méthodes des « commandos noirs ». Ayant obtenu des crédits du Gouvernement général, désormais investi en pratique des pouvoirs administratifs et du Commandement militaire, le général de Bollardière dirige un plan de travaux (routes, assainissement, aménagement rural, etc.) où les indigènes, sous la protection de l’armée, fournissent sans crainte une main-d’œuvre inaccessible aux sollicitations comme aux menaces des rebelles. Les relations vont se tendre avec le général Massu. Bollardière va dénoncer à plusieurs reprises les méthodes employées par l’armée en Algérie, et il va finir par demander à être relevé de son commandement.

« Ce jour-là, j’ai été obligé de rompre avec l’armée, pour me préserver moi-même, pour ne pas me détruire »

« En Algérie, j’étais tout à fait d’accord pour le départ de jacques. L’armée ne correspondait plus du tout à l’image qu’il en avait. Il y est entré avec Lyautey. Il a fini avec Massu. Quand les gens me disent : Cela a dû lui être dur de partir, je réponds : Jacques n’a pas quitté l’armée, c’est l’armée qui l’a quitté ». Simone de Bollardière

« L’image que, sous vos ordres, je me suis faite, pour toujours, de la France ne me permettait plus d’assumer des responsabilités dans ces conditions ». Extrait d’une lettre du général de Bollardière au Général De Gaulle

Le général de Bollardière sera frappé de soixante jours d’arrêts de forteresse par le ministre de la défense nationale. Motif : A approuvé par une lettre publiée dans la presse,avec son assentiment, une campagne portant atteinte à l’honneur des troupes qu’il avait sous ses ordres .

A sa sortie de forteresse Bollardière sera nommé adjoint au général commandant supérieur des forces armées de défense Afrique Equatoriale Française/ Cameroun. Le séjour africain sera davantage occupé par des cocktails et des réceptions que par des opérations militaires.

A la rencontre de la non-violence

Le putsch d’Alger d’avril 1961 aura raison de la patience du général de Bollardière.
A 54 ans, il quitte, à sa demande, l’armée d’active et se retire avec sa famille dans le Morbihan.

Après sa condamnation, Bollardière reçoit de toute parts, de nombreux messages de soutien. A plus de 50 ans c’est pour lui une nouvelle vie qui commence.

Le débat sur la torture sera relancé par le général Massu en 1971 avec la parution de son livre : « La vraie bataille d’Alger ». Bollardière se sent obligé de répondre et d’exprimer sa conviction.

La non-violence, il la connaissait à travers Martin Luther King, mais c’est la rencontre avec Jean-Marie Muller qui va lui permettre de concrétiser ses idées.

La conscience sociale ne lui faisait pas défaut :

« J’ai découvert une nouvelle forme de violence, subtile, invisible quoique permanente, la violence des structures. Les maîtres mots, ici, étaient : concurrence, productivité, rentabilité.
La communication était bloquée . Il y avait deux mondes le patronat et les cadres d’une part, le ouvriers de l’autre ». J.P. de la Bollardière

Se sera alors diverses expéditions : au Larzac, à Mururoa contre les essais nucléaires, plus près, la défense des objecteurs de conscience… etc.

Ce sera aussi la fondation du Mouvement pour une Alternative Non-violente en compagnie de Jean-Marie Muller et avec des personnalités, dont les plus connues sont Lanza Del Vasto, Monseigneur Gaillot…

Il convient de ne pas oublier le soutien très actif de son épouse, Simone de Bollardière.

Jacques de Bollardière est mort le samedi 22 février 1986. Il était âgé de 78 ans.

Je termine ici cette biographie incomplète, tant sa vie a été riche, et la meilleure conclusion sera de laisser la parole à Jean-Marie Muller et à Jacques de Bollardière lui-même.

« Son jugement sur la violence n’était pas celui d’un idéologue mais
d’un praticien. Trente ans de métier de soldat l’ayant convaincu du
caractère aussi inefficace qu’immoral de la violence. Accomplissant
en lui-même la vielle prophétie d’Isaie, il transforme son épée en un
soc de charrue, semant l’humanité et l’espérance ».

« Rien ne lui était plus étranger que ces moralismes et ces
spiritualismes qui affirment la grandeur de l’homme mais en dehors
de l’histoire. Sa vision de l’homme n’était pas celle d’un humanisme
frileux et douceâtre. Pour lui, au contraire, c’est seulement en se
compromettant dans l’histoire que l’homme peut affirmer sa propre
humanité. Toute sa vie, il est resté un lutteur et cela aussi donne à son
existence une profonde unité ».

Je tiens à remercier François et Madeleine Nutchey qui m’ont fait connaître l’excellent ouvrage des Editions Non-Violence Actualité, dont j’ai tiré l’essentiel des informations contenues dans cet article.

- Une question se pose... : ne serait-il pas opportun de demander qu’une rue de Crest porte son nom ?

Citations

« Ce que la guerre m’a apporté ? Le désir de ne plus la revoir. Je la connais trop. Un homme doit résister de toute son âme à la violence toujours prête à se déchaîner en chacun et à envahir toute la terre ».

« Rien ne se fait, rien ne commence tant que les hommes ne se sont pas reconnus ».

« La torture, ce dialogue dans l’horreur, n’est que l’envers affreux de la communication fraternelle. Elle dégrade celui qui l’inflige plus encore que celui qui la subit ».

« J’ose risquer tout mon être sur un pari, un pari sur l’amour. Je crois que ceci est en train de devenir de plus en plus vrai, et me donne envie de courir de plus en plus loin ».

Bataille d’Alger, bataille de l’homme

« Quand je considère mon passé, l’impression qui domine c’est la continuité. J’ai voulu être militaire pour défendre certaines valeurs : la liberté, la justice, la dignité de l’homme. Cet objectif est toujours le mien, seulement j’ai changé de stratégie ».

« Ah ! Oui, je recommencerais ! Tout. J’ai tellement aimé la vie. Mais(...), je vais enfin savoir, ce que c’est que vivre. Je n’en ai eu encore que l’intuition ».

Entretien à la fin de sa vie avec Claude Goure pour Panorama 1986


Forum de l’article

  • Un honnête homme... Le 13 octobre 2017 à 11:29, par Arnaud Boistel

    Merci Roger pour ce beau témoignage.
    Seul l’Amour, plus fort que la haine, nous permettra d’embellir notre Humanité.
    Arnaud.

    Répondre à ce message

  • Un honnête homme... Le 11 octobre 2017 à 17:16, par Roger Poulet

    Des précisions sur le choix de photos qui illustrent l’article.
    La première photo a été prise lors d’une action à Mururoa contre les essais nucléaires qui ont fait tant de mal aux populations polynésiennes.
    La première photo du couple date de 1948, Jacques de Bollardière a déjà 41 ans.
    La suivante a été prise à la fin de sa vie.
    J’aurais pu choisir une photo de la période militaire, (elles sont nombreuses), mais j’ai préféré ces clichés qui expriment la continuité et la fidélité dans les engagements, à travers des regards et des sourires et qui rendent hommage à la présence
    active de Simone de Bollardière dans les combats de son mari.
    Celle-ci est toujours en vie, âgée de 92 ans.
    Envoyons lui de chaleureuses salutations...
    ....avec les vers d’un poète de la chanson :

    "Le rire est dans le coeur
    Le mot dans le regard
    Le coeur est voyageur
    L’avenir... est au hasard...
    Jacques Brel - Les Marquises

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