Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective

Faire face aux instrumentalisations, à « l’union nationale » et aux injonctions à rester sages

dimanche 18 octobre 2020, par Camille Pierrette.

TERRORISME, ANTITERRORISME, FASCISMES, INSTRUMENTALISATIONS : FAIRE FACE

« Où que nous regardions l’ombre gagne »
Aimé Césaire

Ce samedi, le monde était un peu plus dégueulasse, triste et injuste que la veille. Un professeur d’histoire assassiné en pleine rue. Décapité par un fanatique de 18 ans. La photo du crime exhibée presque en direct sur les réseaux sociaux, et revendiquée au nom de Dieu. L’horreur absolue, l’indicible, la sidération. Immédiatement, les responsables d’extrême droite paradent sur les plateaux télé. Certains politiciens peinent à masquer leur jubilation, et mettent en cause « l’enseignement de l’arabe à l’école » ou les « islamo-gauchistes ». Des appels à la guerre civile, au racisme, au meurtre fusent sur internet. Macron, le visage blême, reprend honteusement le slogan des résistants à la dictature franquiste : « ils ne passeront pas ». Quelques mots pour tenter de penser dans la folie ambiante.

➡️D’un seul coup, la classe politique verse des larmes de crocodile pour les enseignants. Mais avant d’être la cible d’un assassinat, le personnel de l’éducation nationale est, depuis des années, la cible des politiques libérales. Les enseignants sont dénigrés à longueur d’année par les gouvernants et les médias, traités de « fainéants », de « privilégiés », de « profiteurs ». Ils réclament pour de meilleures conditions de travail, alertent sur le manque de moyens, et ne reçoivent pour réponse que le mépris et la répression. Certains se suicident, démissionnent, quittent l’éducation nationale brisés. Mais aujourd’hui, par un obscène retournement, les enseignants deviennent subitement des « héros » dans la bouche de ceux qui les humiliaient. Et l’école, abandonnée et privatisée progressivement par le gouvernement, est déclarée « sanctuaire » par ceux qui l’ont sacrifiée.

➡️Celui qui vient de commettre le crime atroce en pleine rue est « inconnu des services de renseignement » . Il est « hors des radars » répètent les autorités. Pourtant, Mediapart révèle que l’assassin avait diffusé fin août sur Twitter un photomontage mettant en scène une décapitation, et que son compte avait fait l’objet de plusieurs signalements aux forces de l’ordre. Notamment suite à un post faisant l’éloge de la mort en martyr. Il avait aussi été signalé pour « apologie de la violence, incitation à la haine, homophobie et racisme ». Le fanatique était « en dehors des radars ». Ce n’est pas le cas de milliers de personnes qui ont, par exemple, manifesté contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui luttent contre les violences policières, ou qui ont défilé en Gilets Jaunes. Eux sont surveillés, traqués, écoutés, arrêtés pour des motifs dérisoires ou des affaires montées de toutes pièces.

➡️ Il est difficile de différencier le djihadisme et le fascisme : culture de la force brute, de l’autorité, de l’ordre. Les cibles sont les mêmes, il s’agit toujours de s’en prendre aux juifs, à la culture – par les autodafés ou la destruction de vestiges –, aux femmes ou aux homosexuels, en s’appuyant sur la violence et la propagande. Celles et ceux qui s’opposent sont éliminés physiquement. L’horizon politique énoncé par Daesh est de construire un État impérialiste et totalitaire. Le takfirisme est une petite secte sanguinaire dont l’objectif est de provoquer la guerre civile entre musulmans et « mécréants », purs et impurs. Une tâche à laquelle s’attellent également fort bien de nombreux dirigeants occidentaux et toute une partie de l’extrême droite lorsqu’ils parlent de « guerre de civilisation ». Les deux faces d’une même pièce mortifère.

➡️ L’État Islamique n’est pas une organisation fasciste à proprement parler, mais les filiations entre l’extrême droite et le djihadisme contemporain sont nombreuses. D’abord, ce sont des idéologies de mort. Dans les années 1930, les franquistes criaient « viva la muerte ! » – « Vive la mort » – et les adeptes de Mussolini reprenaient le slogan « Me ne frego » – « La mort, je m’en fous ». En 2012, le tueur Mohammed Merah déclarait « j’aime la mort comme d’autres aiment la vie ». Dans les années 1990, les groupes djihadistes vont massacrer en priorité les personnalités de la gauche algérienne. En octobre 2015, 85 manifestants d’extrême gauche turcs et kurdes sont tués par des kamikazes à Ankara. La même année, l’assassin antisémite Coulibaly commet son massacre avec des armes fournies par un néo-nazi. L’individu qui a lancé ces derniers jours l’offensive sur les réseaux sociaux contre le professeur qui sera ensuite assassiné faisait partie des cercles de Dieudonné et côtoyait des néo-nazis, des négationnistes, des antisémites. Ceux qui décapitent pour un dessin ou une parole sont des fascistes et doivent être traités comme tels.

➡️ Les responsables politiques qui appellent à mener une « guerre totale » au terrorisme sont les mêmes qui signent des contrats d’armement colossaux avec les dictatures du Golfe - Qatar et Arabie Saoudite – qui apportent un soutien logistique aux groupuscules djihadistes. Ce sont les mêmes qui provoquent des guerres au quatre coins du globe. Les mêmes qui font d’obscènes courbettes aux royaumes théocratiques pétroliers.

➡️ « Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. » Guy Debord, 1988.

Le terrorisme comme l’anti-terrorisme et le fascisme sont, fondamentalement, les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective. Ils œuvrent ensemble pour maintenir l’ordre, terrifier, entretenir les méfiances et renforcer le contrôle. Ils cherchent à atomiser, paralyser, brutaliser. Les terroristes veulent imposer leur ordre par la peur, ceux qui prétendent le combattre veulent faire régner l’ordre par le contrôle total et la stigmatisation. Et si l’Etat policier et « l’union nationale » qui nous sont imposés sont manifestement totalement inutiles pour empêcher un attentat, ils sont en revanche efficace pour faire en sorte que chacun reste à sa place.

À Nantes, un rassemblement a lieu ce dimanche devant la préfecture, à 15H, en soutient à la famille de Samuel Paty et aux enseignants

(post et visuel de Nantes Révoltée)

Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective

Compléments :

Hélas, dans nos systèmes antidémocratiques et ultra-capitalistes totalitaires, un énimième horrible attentat meurtrier sert toujours aux pouvoirs et aux merdias pour renforcer le régime policier, le business sécuritaire, les discours d’extrême droite, la surveillance et la répression.

Les puissants et leurs valets déplorent parfois CERTAINES conséquences effrayantes de leur système (comme des attentats terroristes de fanatiques à tendance islamistes), mais jamais ne veulent démolir, changer ou critiquer les causes structurelles de ces horreurs (étatisme centralisé, éducation nationale relai de la propagande étatico-capitaliste et maintenant des lobbies capitalistes et de leur esprit d’entreprise, non-démocratie partout, ultra-capitalisme meutrier, hégémonie tyrannique des riches et puissants, concurrence mondialisée impitoyable, pillage des ressources dans d’autres pays, Croissance infinie, soutien à des dictatures avérées, ventes d’armes à gogo mêmes aux pires régimes, camps de réfugiés mortifères, destruction des communautés de vie, ghettos de pauvres et exclus, culture technologique et consommatrice insensée, monde mortifère de la civilisation industrielle...)
Logique, ils profitent de ce système, il ne vont donc pas scier la branche sur laquelle ils sont grassement assis.
Un tel système de société complètement barré, écocidaire et antisocial, ne peut hélas que générer périodiquement et régulièrement des assassins en tout genre, sans parler des génocides, des guerres et autres joyeusetés qui se sont répétées depuis très longtemps dans cette culture de la civilisation.

D’autre part, la mise en exergue politico-merdiatique d’un fait horrible parmi des milliers d’autres se fait sur la base des intérêts politiques et financiers à en tirer, c’est arbitraire. Des tas de crimes abominables, ici ou ailleurs, ne sont pas évoqués ou alors de manière beaucoup moins forte. L’émoi est souvent très sélectif...
Par exemple : quand un jeune noir de banlieue ou un livreur blanc se font étouffer à mort par des flics, l’émoi et le scandale sont de suite moins présents.

D’autre part, la focalisation extrême sur certains auteurs de quelques crimes particulièrement horribles permet de faire oublier les très nombreux crimes structurels (causant au final bien davantage de morts et de souffrances en tous genres que l’ensemble des terroristes) engendrés par le système en place, décrit comme l’axe du bien, l’indépassable, le sans alternatives, le progrès éternel...
On est parfois pas loin de la collective minute de la Haine envers l’Ennemi fétiche et pratique décrite dans le roman 1984 d’Orwell.

P.-S.

« ILS NE NOUS DIVISERONT PAS »,

disent ceux qui veulent nous diviser.

Et donc, quand un enseignant est tué — et, oui, on est d’accord, c’est horrible, regrettable —, « c’est la République qui est attaquée », il faut réagir.

Mais quand on laisse, chaque année, des milliers de dépossédés (de gens-qui-ne-sont-rien) crever dehors, dans les rues (au mépris de promesses présidentielles), c’est quoi ? C’est rien. Qu’ils crèvent.

Quand les décisions des dirigeants (« décideurs ») qui se réclament du peuple (« démocratie ») visent avant tout voire uniquement à garantir le fonctionnement de la machine économique, l’enrichissement inexorable des entreprises et des plus riches au détriment (entre autres) de tous les autres êtres humains, condamnés à divers degrés de misère — salariée ou non —, au point parfois de préférer le suicide à une existence jugée trop insupportable, qu’est-ce qui est attaqué ? C’est rien. Qu’ils crèvent eux aussi.

Etc.

Prétendre se soucier de la vie, humaine en l’occurrence, en déplorant certaines atteintes qui lui sont faites tout en en favorisant ou cautionnant soi-même d’autres, beaucoup d’autres (lesquelles sont parfois causes indirectes de celles qu’on déplore), c’est ignoble. Qu’ils crèvent.

(C’est-à-dire que oui, le « terrorisme islamiste » est une nuisance, mais pas l’ENNEMI NUMERO UN DE NOUS, comme veulent nous le faire croire les principaux responsables de l’expansion du terrain de néant et de confusion sur lequel poussent toutes sortes de fléaux modernes. Ceux-là sont les premiers et les pires des terroristes.).

(post de Nicolas Casaux)


Forum de l’article

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  • Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective Le 29 octobre 2020 à 14:30, par Camille Pierrette

    - en rapport avec l’actu : Réflexions sur l’antiterrorisme et la liberté d’expression - « C’est ici l’état d’exception et l’arbitraire qui s’imposent, et l’on reprochera bientôt, lors des hommages à Samuel Paty qui auront lieu dans les écoles, à tel ou tel élève, de s’être senti visé en tant que musulman par un discours basé, effectivement, sur une volonté de mater une partie de la population ... »

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  • Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective Le 20 octobre 2020 à 12:30, par Camille Pierrette

    Concernant ce drame horrible, je vous invite à la lecture, à l’envie de vraie réflexion, en vous répétant ce constat à propos de ce problème bien réel qu’est le terrorisme islamique. Un sujet complexe mais mal analysé et tellement récupéré, déformé, utilisé de toutes parts qu’au final seule la haine est gagnante.

    Car seul le Fascisme se renforce dans cette spirale : le fascisme islamiste, le fascisme d’extrême droite, et bien sûr le fascisme systémique. Ces trois formes se mêlent et s’auto-alimentent dans ce concours de cirque médiatique, de propagandes de politiciens en pré-campagnes sur fond de racisme ordinaire alimenté par la peur, la colère et le besoin de réponses simples à des problèmes compliqués. Cet engrenage bénéficie encore au renforcement constant d’un Etat pompier-pyromane à qui ces attaques profitent toujours (lois liberticides, sécurité, surveillance etc).

    Je suis las des analyses hasardeuses et autres indignations niaises ou haineuses qui pullulent sur les réseaux asociaux... Un conseil : au pire, si vous ne savez pas quoi penser, que vous êtes juste choqué et si vous n’avez pas envie de lire ou d’approfondir le sujet avec un oeil critique : alors juste débranchez un peu, coupez-vous des médias pour un temps, pensez à autre chose. Et surtout ne vous laissez pas entrainer par des explications faciles, qu’elles soient nationalistes ou anti-religieuses, ne tombez pas dans ces pièges, débranchez de tout ce marasme médiatique qu’on nous impose, ça vaut mieux.

    (post de Romanio Ki-Manio)
    qui conseille cet article :
    - Pourquoi l’islamisme ne peut pas être expliqué à partir de la religion, par Norbert Trenkle - 2015

    - Palim Psao (voir leurs éditions intéresantes) post ça et conseille des livres :
    EN FINIR AVEC LA PARTIE DE LA GAUCHE-QUI-PUE LA RELATIVISATION, LE "OUI... MAIS", LE TRANSFERT DE CULPABILITÉ ET LE SILENCE SUR L’ISLAMISME ?
    Assassinat et décapitation de Samuel P. et le problème du silence d’une partie de la gauche avec ça, c’est-à-dire de pouvoir simplement nommer et combattre cet autre ennemi de l’émancipation : La mécanique identitaire du "surmusulman" (Fethi Benslama) et l’idéologie de crise islamiste.
    Sur twitter avec la photo de la tête décapitée, le message publié s’adressait à « Macron, le dirigeant des infidèles », avant de poursuivre : « J’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer, qui a osé rabaisser Mohammad. »
    Ci-dessous 4 ouvrages à vivement conseiller (l’ouvrage du groupe Krisis, L’Exhumation des dieux, qui traite amplement des courants islamistes contemporains, paraîtra en janvier 2021).

    • "L’exhumation des dieux", par Groupe Krisis
    • "Un furieux désir de sacrifice", par Fethi Benslama
    • "Un silence Religieux, la gauche face au djihadhisme", par Jean Birnbaum
    • "Le réformise musulman", par Mohamed Haddad

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  • Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective Le 20 octobre 2020 à 00:03, par Camille Pierrette

    Post de Maxime Benatouil, membre de l’ Union Juive Française pour la Paix UJFP :
    .
    « En 1940, les fascistes du régime de Vichy ont dissout la quasi totalité des organisations juives. Les premières à en pâtir étaient les associations de lutte contre l’antisémitisme et celles qui s’occupaient de charité communautaire. Les antisémites avaient en horreur que l’objet de leur haine témoigne de sa capacité à s’organiser politiquement et à faire vivre des liens de solidarité.

    En 2020, les seconds couteaux de la Macronie instrumentalisent l’assassinat de Samuel Paty et menacent de dissoudre des organisations musulmanes. Ce n’est pas un hasard si le CCIF et BarakaCity sont les premières visées. Là aussi, leur dégoût d’une autonomie politique - cette fois-ci musulmane - se mêle à une crainte diffuse d’une charité communautaire qu’ils ne contrôlent pas.

    Une solidarité pleine et entière, sans concession ni discussion, devrait être la moindre des choses, à moins de considérer que leur islamité en fait des coupables par essence. »

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  • Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective Le 19 octobre 2020 à 19:10, par Camille Pierrette

    L’HISTOIRE SE RÉPÈTE

    Les moutons se rassemblent en masse pour déclamer leur amour de la domestication, de l’usine à moutons (« école »), du mode de vie occidental-civilisé, leur amour de sa majesté la République, en pleurant à chaudes larmes la mort d’un « de ses serviteurs », selon les mots du président du Sénat, Gérard Larcher — lequel a aussi affirmé, de manière on ne peut plus pondérée, que « la République était en danger, comme elle l’a rarement été ».

    Du côté des chefs de la République et des aspirants-chefs, c’est le branle-bas de combat. Il faut réagir. On prend des mesures — mais aucune mesure visant à s’attaquer au fond du problème, on s’attaque seulement à des symptômes.
    Ce qui est arrivé à Samuel Paty est horrible. Je conçois tout à fait qu’on souhaite lui rendre hommage.
    Mais le fait qu’il était enseignant, « serviteur de la République », ne devrait pas conférer à sa vie une valeur supérieure.
    Après le meurtre de Maxime Susini — pour prendre un exemple parmi des milliers —, froidement abattu au moment où il ouvrait sa paillote sur une plage de Corse-du-Sud, un matin du mois de septembre 2019, — il avait 36 ans —, on n’a pas vu la classe politique et les foules s’émouvoir plus que ça. On n’a pas vu de branle-bas de combat, de mesures prises, de réunion de crise.
    Jacques n’avait pas dit : « émouvez-vous ! », « ce qui se passe est grave ! », etc.
    Est-ce simplement lié à la décapitation ? À la manière dont la personne est morte ?
    Mais lorsque des chômeurs ou des étudiants — entre autres — s’immolent par le feu — et ça arrive régulièrement —, on ne voit pas non plus grand-chose se produire. Est-ce moins grave ? Même chose en ce qui concerne les féminicides, infanticides, etc.

    Voir toute la classe des criminels en chef, des « responsables politiques » (c’est-à-dire responsables du désastre socioécologique en cours), utiliser la mort de cet enseignant pour célébrer une énième fois les valeurs de leur Empire (« République »), pour désigner à la vindicte populaire de prétendus barbares menaçant prétendument la prétendument glorieuse civilisation, ce afin de renforcer l’attachement (la soumission) à ladite civilisation, c’est insupportable. Comme Jaime Semprun le remarquait dans L’Abîme se repeuple :

    - https://www.partage-le.com/2016/04/04/parler-de-barbarie-suppose-quil-y-ait-une-civilisation-a-defendre-par-jaime-semprun

    « Parler de barbarie suppose qu’il y ait une civilisation à défendre, et pour établir l’existence de celle-ci, rien ne vaut bien sûr la présence d’une barbarie à combattre. La barbarie serait donc à nos portes, mais elle ne serait qu’à nos portes, derrière lesquelles nous conserverions jalousement, numérisés sur nos CD-ROM, les trésors de la civilisation : l’Alhambra et l’œuvre de Cézanne, la Commune de Paris et l’anatomie de Vésale.

    Comme certaines représentations dans les rêves sont le produit d’un compromis entre la perception d’une réalité physique qui tend à interrompre le sommeil et le désir de continuer à dormir, l’idée d’une civilisation à défendre, aussi environnée de périls qu’on veuille bien l’admettre, est encore rassurante : c’est le genre de calmant que vendent mensuellement les démocrates du Monde diplomatique, par exemple. Parmi les choses que les gens n’ont pas envie d’entendre, qu’ils ne veulent pas voir alors même qu’elles s’étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci : que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu’il n’y reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n’est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit ; et que parmi tous les résultats terrifiants de cette expérience de déshumanisation à laquelle ils se sont prêtés de si bon gré, le plus terrifiant est encore leur progéniture, parce que c’est celui qui en somme ratifie tous les autres. C’est pourquoi, quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : “Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? », il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : « A quels enfants allons-nous laisser le monde ?” […]
    On trouve à la fin d’un poème de Constantin Cavafy, “En attendant les barbares”, deux vers qui sont en la circonstance très évocateurs :

    “Mais alors, qu’allons-nous devenir sans barbares ? ces gens étaient en somme une solution.”

    C’est ainsi que pour se cacher son désastre réel et exorciser le spectre d’une décadence interminablement livrée à elle-même, une société se trouve des ennemis à combattre, des objets de haine et de terreur ; et comme dans 1984, où l’expression obligatoire de la haine pour l’ennemi Goldstein sert en même temps à chacun d’exutoire à sa haine pour Big Brother, la fabrication d’une “barbarie” à redouter et à haïr est d’autant plus opérante qu’elle récupère au profit du conformisme et de la soumission un effroi bien réel et très fondé. Les “banlieues”, comme on dit dans les médias pour désigner en fait l’ensemble du territoire urbanisé (les centres historiques anciens, principalement dévolus à l’usage touristique et marchand, n’ayant presque plus rien de l’heureuse confusion qui faisait une ville), sont donc devenues, avec leur jeunesse barbare, le “problème” qui résume providentiellement tous les autres : une “bombe à retardement” placée sous le siège de ceux qui du coup pourraient se croire des assis. Comme de bien d’autres “problèmes”, on parle de celui-là non pour le résoudre (et comment le pourrait-on ?), mais pour le gérer, comme ils disent : en bon français pour le laisser pourrir, en l’y aidant par tous les immenses moyens disponibles à cette fin. C’est une telle gestion moderne qui est désignée à l’horizon par le vocable “Los Angeles”. Quand les policiers et leurs porte-voix médiatiques parlent de “syndrome Los Angeles”, ils expriment au moins autant ce qu’ils cherchent à obtenir que ce qu’ils prétendent éviter, ce qu’ils veulent que ce qu’ils craignent : c’est-à-dire qu’ils décrivent le tour qu’ils veulent voir prendre à ce qu’ils savent ne pouvoir éviter. Et l’on sait comment la domination moderne, qui n’a pas pour rien été qualifiée de spectaculaire, a repris à grande échelle les techniques de l’industrie du divertissement, depuis longtemps habile à manipuler les impulsions mimétiques en faisant apparaître les sentiments qu’elle veut susciter comme déjà existants, et en anticipant l’imitation qu’en feront les spectateurs eux-mêmes, sur le modèle de la prophétie qui s’auto-accomplit. C’est ainsi qu’en vertu de l’effet de miroir du spectacle, ceux qu’on “aime haïr” en tant que modernes barbares ne sont que trop enclins à aimer être haïs sous cette figure, et à s’identifier à leur image préformée. Ils « ont la haine”, selon une locution dont la tournure n’évoque pas fortuitement la contamination par une peste. »

    (post de Nicolas Casaux)
    article complet : https://www.partage-le.com/2016/04/04/parler-de-barbarie-suppose-quil-y-ait-une-civilisation-a-defendre-par-jaime-semprun

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  • Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective Le 19 octobre 2020 à 18:45, par Camille Pierrette

    Meurtre par décapitation d’un professeur d’histoire-géo par un gamin de 18 ans. Emoi national et au delà. Torrent d’indignation et de messages de solidarité pour la famille de la victime et pour le corps enseignant. Solidarité à laquelle je me joins, ça va sans dire.

    Meurtre du meurtrier par la police tout de suite après. Force est de constater que lorsqu’il s’agit d’un terroriste islamiste (ou identifié comme tel), la peine de mort sans aucune forme de procès est une sentence qui est implicitement tolérée. Peut-être me rétorquera-t-on qu’il est indécent, face à une telle horreur, de se soucier du criminel plutôt que de la victime... je rétorquerai alors que ce que je trouve moi indécent c’est d’utiliser le meurtre d’un homme pour justifier celui d’un autre.

    Mise en branle de toute la machine politico-médiatique islamophobe fascisante. Appel à « faire fermer les mosquées », à faire interdire toutes les « organisations islamiques ». Eternelle et incessante stigmatisation et déshumanisation des musulmans, pérpétuation et entretien de la figure du musulman comme celle de l’ennemi intérieur. Encore et encore et encore et... encore.

    Déferlement de posts, de messages et de commentaires sur les réseaux sociaux pour défendre la « liberté d’expression », le droit de « rire de tout », le « droit au blasphème », etc... les #JesuisCharlie sont de sortie. On croit intelligent et vachement courageux de repartager et diffuser ad nauseam (punaise du latin, qu’est-ce qui m’arrive ??) ces dessins moches qui ne sont les caricatures que de leurs auteurs. Force est de constater que pour beaucoup, la principale question de cette affaire c’est la liberté ou non de se moquer de l’Islam. Comme si ce meurtre horrible ne nous disait pas autre chose, d’autrement plus fondamental, sur l’état de notre société.

    Force est surtout de constater que depuis l’attentat de Charlie Hebdo, zéro leçon n’a été tirée. Zéro analyse. Zéro remise en question de rien du tout.

    Zéro remise en question des politiques « anti-terroristes » liberticides et discriminatoires qui n’ont eu d’autres effets que de diminuer encore un peu plus nos libertés démocratiques, encore un peu plus mis au banc de la société une partie de la population, encore un peu plus creusé la fracture entre différentes catégories de la population.

    Zéro remise en question de cette surenchère islamophobe, de cette accumulation de polémiques anti-Islam plus ridicules les unes que les autres mais qui ont des effets bien réels sur la vie, le quotidien, les conditions sociales de milliers de personnes.

    Zéro remise en question de ce système structurellement raciste où toujours les mêmes catégories de la population sont exclues de l’emploi, du logement, de la justice, de la vie citoyenne et politique, pour lesquelles l’ascenseur social est sytématiquement en panne et qui peuvent se faire tuer sans aucune répercution judiciaire.

    Zéro remise en question d’un système structurellement inégalitaire qui broie des vies, ne crée que de l’exclusion, de la précarité et du désarroi. Zéro remise en question de toutes ces choses dont la somme pousse les plus faibles, les plus isolés, les plus désespérés vers la violence et l’autodestruction. Ou pire encore. Une société monstrueuse, forcément ça fabrique des monstres.

    Continuez donc à ne rien remettre en question de tout cela et à partager des dessins moches (sérieux si vous aimez bien le dessin partagez les miens, ils sont plus beaux). Continuez donc à penser que c’est à « vos » valeurs qu’on en veut, à « vos » libertés, « votre » civilisation... continuez donc à la défendre, votre civilisation monstrueuse qui ne fabrique que des monstres.

    Contribuez donc à la fabrication des monstres et puis continuez de feindre l’étonnement lorsqu’ils surgissent. Car ils continueront à surgir. Encore et encore.

    (post sur FB)

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