Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective

Faire face aux instrumentalisations, à « l’union nationale » et aux injonctions à rester sages

dimanche 18 octobre 2020, par Camille Pierrette.

TERRORISME, ANTITERRORISME, FASCISMES, INSTRUMENTALISATIONS : FAIRE FACE

« Où que nous regardions l’ombre gagne »
Aimé Césaire

Ce samedi, le monde était un peu plus dégueulasse, triste et injuste que la veille. Un professeur d’histoire assassiné en pleine rue. Décapité par un fanatique de 18 ans. La photo du crime exhibée presque en direct sur les réseaux sociaux, et revendiquée au nom de Dieu. L’horreur absolue, l’indicible, la sidération. Immédiatement, les responsables d’extrême droite paradent sur les plateaux télé. Certains politiciens peinent à masquer leur jubilation, et mettent en cause « l’enseignement de l’arabe à l’école » ou les « islamo-gauchistes ». Des appels à la guerre civile, au racisme, au meurtre fusent sur internet. Macron, le visage blême, reprend honteusement le slogan des résistants à la dictature franquiste : « ils ne passeront pas ». Quelques mots pour tenter de penser dans la folie ambiante.

➡️D’un seul coup, la classe politique verse des larmes de crocodile pour les enseignants. Mais avant d’être la cible d’un assassinat, le personnel de l’éducation nationale est, depuis des années, la cible des politiques libérales. Les enseignants sont dénigrés à longueur d’année par les gouvernants et les médias, traités de « fainéants », de « privilégiés », de « profiteurs ». Ils réclament pour de meilleures conditions de travail, alertent sur le manque de moyens, et ne reçoivent pour réponse que le mépris et la répression. Certains se suicident, démissionnent, quittent l’éducation nationale brisés. Mais aujourd’hui, par un obscène retournement, les enseignants deviennent subitement des « héros » dans la bouche de ceux qui les humiliaient. Et l’école, abandonnée et privatisée progressivement par le gouvernement, est déclarée « sanctuaire » par ceux qui l’ont sacrifiée.

➡️Celui qui vient de commettre le crime atroce en pleine rue est « inconnu des services de renseignement » . Il est « hors des radars » répètent les autorités. Pourtant, Mediapart révèle que l’assassin avait diffusé fin août sur Twitter un photomontage mettant en scène une décapitation, et que son compte avait fait l’objet de plusieurs signalements aux forces de l’ordre. Notamment suite à un post faisant l’éloge de la mort en martyr. Il avait aussi été signalé pour « apologie de la violence, incitation à la haine, homophobie et racisme ». Le fanatique était « en dehors des radars ». Ce n’est pas le cas de milliers de personnes qui ont, par exemple, manifesté contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui luttent contre les violences policières, ou qui ont défilé en Gilets Jaunes. Eux sont surveillés, traqués, écoutés, arrêtés pour des motifs dérisoires ou des affaires montées de toutes pièces.

➡️ Il est difficile de différencier le djihadisme et le fascisme : culture de la force brute, de l’autorité, de l’ordre. Les cibles sont les mêmes, il s’agit toujours de s’en prendre aux juifs, à la culture – par les autodafés ou la destruction de vestiges –, aux femmes ou aux homosexuels, en s’appuyant sur la violence et la propagande. Celles et ceux qui s’opposent sont éliminés physiquement. L’horizon politique énoncé par Daesh est de construire un État impérialiste et totalitaire. Le takfirisme est une petite secte sanguinaire dont l’objectif est de provoquer la guerre civile entre musulmans et « mécréants », purs et impurs. Une tâche à laquelle s’attellent également fort bien de nombreux dirigeants occidentaux et toute une partie de l’extrême droite lorsqu’ils parlent de « guerre de civilisation ». Les deux faces d’une même pièce mortifère.

➡️ L’État Islamique n’est pas une organisation fasciste à proprement parler, mais les filiations entre l’extrême droite et le djihadisme contemporain sont nombreuses. D’abord, ce sont des idéologies de mort. Dans les années 1930, les franquistes criaient « viva la muerte ! » – « Vive la mort » – et les adeptes de Mussolini reprenaient le slogan « Me ne frego » – « La mort, je m’en fous ». En 2012, le tueur Mohammed Merah déclarait « j’aime la mort comme d’autres aiment la vie ». Dans les années 1990, les groupes djihadistes vont massacrer en priorité les personnalités de la gauche algérienne. En octobre 2015, 85 manifestants d’extrême gauche turcs et kurdes sont tués par des kamikazes à Ankara. La même année, l’assassin antisémite Coulibaly commet son massacre avec des armes fournies par un néo-nazi. L’individu qui a lancé ces derniers jours l’offensive sur les réseaux sociaux contre le professeur qui sera ensuite assassiné faisait partie des cercles de Dieudonné et côtoyait des néo-nazis, des négationnistes, des antisémites. Ceux qui décapitent pour un dessin ou une parole sont des fascistes et doivent être traités comme tels.

➡️ Les responsables politiques qui appellent à mener une « guerre totale » au terrorisme sont les mêmes qui signent des contrats d’armement colossaux avec les dictatures du Golfe - Qatar et Arabie Saoudite – qui apportent un soutien logistique aux groupuscules djihadistes. Ce sont les mêmes qui provoquent des guerres au quatre coins du globe. Les mêmes qui font d’obscènes courbettes aux royaumes théocratiques pétroliers.

➡️ « Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. » Guy Debord, 1988.

Le terrorisme comme l’anti-terrorisme et le fascisme sont, fondamentalement, les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective. Ils œuvrent ensemble pour maintenir l’ordre, terrifier, entretenir les méfiances et renforcer le contrôle. Ils cherchent à atomiser, paralyser, brutaliser. Les terroristes veulent imposer leur ordre par la peur, ceux qui prétendent le combattre veulent faire régner l’ordre par le contrôle total et la stigmatisation. Et si l’Etat policier et « l’union nationale » qui nous sont imposés sont manifestement totalement inutiles pour empêcher un attentat, ils sont en revanche efficace pour faire en sorte que chacun reste à sa place.

À Nantes, un rassemblement a lieu ce dimanche devant la préfecture, à 15H, en soutient à la famille de Samuel Paty et aux enseignants

(post et visuel de Nantes Révoltée)

Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective

Compléments :

Hélas, dans nos systèmes antidémocratiques et ultra-capitalistes totalitaires, un énimième horrible attentat meurtrier sert toujours aux pouvoirs et aux merdias pour renforcer le régime policier, le business sécuritaire, les discours d’extrême droite, la surveillance et la répression.

Les puissants et leurs valets déplorent parfois CERTAINES conséquences effrayantes de leur système (comme des attentats terroristes de fanatiques à tendance islamistes), mais jamais ne veulent démolir, changer ou critiquer les causes structurelles de ces horreurs (étatisme centralisé, éducation nationale relai de la propagande étatico-capitaliste et maintenant des lobbies capitalistes et de leur esprit d’entreprise, non-démocratie partout, ultra-capitalisme meutrier, hégémonie tyrannique des riches et puissants, concurrence mondialisée impitoyable, pillage des ressources dans d’autres pays, Croissance infinie, soutien à des dictatures avérées, ventes d’armes à gogo mêmes aux pires régimes, camps de réfugiés mortifères, destruction des communautés de vie, ghettos de pauvres et exclus, culture technologique et consommatrice insensée, monde mortifère de la civilisation industrielle...)
Logique, ils profitent de ce système, il ne vont donc pas scier la branche sur laquelle ils sont grassement assis.
Un tel système de société complètement barré, écocidaire et antisocial, ne peut hélas que générer périodiquement et régulièrement des assassins en tout genre, sans parler des génocides, des guerres et autres joyeusetés qui se sont répétées depuis très longtemps dans cette culture de la civilisation.

D’autre part, la mise en exergue politico-merdiatique d’un fait horrible parmi des milliers d’autres se fait sur la base des intérêts politiques et financiers à en tirer, c’est arbitraire. Des tas de crimes abominables, ici ou ailleurs, ne sont pas évoqués ou alors de manière beaucoup moins forte. L’émoi est souvent très sélectif...
Par exemple : quand un jeune noir de banlieue ou un livreur blanc se font étouffer à mort par des flics, l’émoi et le scandale sont de suite moins présents.

D’autre part, la focalisation extrême sur certains auteurs de quelques crimes particulièrement horribles permet de faire oublier les très nombreux crimes structurels (causant au final bien davantage de morts et de souffrances en tous genres que l’ensemble des terroristes) engendrés par le système en place, décrit comme l’axe du bien, l’indépassable, le sans alternatives, le progrès éternel...
On est parfois pas loin de la collective minute de la Haine envers l’Ennemi fétiche et pratique décrite dans le roman 1984 d’Orwell.

P.-S.

« ILS NE NOUS DIVISERONT PAS »,

disent ceux qui veulent nous diviser.

Et donc, quand un enseignant est tué — et, oui, on est d’accord, c’est horrible, regrettable —, « c’est la République qui est attaquée », il faut réagir.

Mais quand on laisse, chaque année, des milliers de dépossédés (de gens-qui-ne-sont-rien) crever dehors, dans les rues (au mépris de promesses présidentielles), c’est quoi ? C’est rien. Qu’ils crèvent.

Quand les décisions des dirigeants (« décideurs ») qui se réclament du peuple (« démocratie ») visent avant tout voire uniquement à garantir le fonctionnement de la machine économique, l’enrichissement inexorable des entreprises et des plus riches au détriment (entre autres) de tous les autres êtres humains, condamnés à divers degrés de misère — salariée ou non —, au point parfois de préférer le suicide à une existence jugée trop insupportable, qu’est-ce qui est attaqué ? C’est rien. Qu’ils crèvent eux aussi.

Etc.

Prétendre se soucier de la vie, humaine en l’occurrence, en déplorant certaines atteintes qui lui sont faites tout en en favorisant ou cautionnant soi-même d’autres, beaucoup d’autres (lesquelles sont parfois causes indirectes de celles qu’on déplore), c’est ignoble. Qu’ils crèvent.

(C’est-à-dire que oui, le « terrorisme islamiste » est une nuisance, mais pas l’ENNEMI NUMERO UN DE NOUS, comme veulent nous le faire croire les principaux responsables de l’expansion du terrain de néant et de confusion sur lequel poussent toutes sortes de fléaux modernes. Ceux-là sont les premiers et les pires des terroristes.).

(post de Nicolas Casaux)


Forum de l’article

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  • Terrorisme, anti-terrorisme et fascisme sont les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective Le 19 octobre 2020 à 18:41, par Camille Pierrette

    🔴 FASCISTES, INTÉGRISTES, DJIHADISTES, LES FACES D’UNEME PIÈCE

    Alors que le terrible assassinat d’un professeur commis par un individu fanatisé provoque un déchaînement raciste et autoritaire en France, quelques rappels utiles :

    ➡️ En 2011, l’extrême droite catholique appelle à faire interdire une pièce de théâtre à Paris jugée « blasphématoire ». A l’appel d’un groupuscule baptisé Civitas, des centaines de pétainistes, néo-nazis et intégristes manifestent dans la capitale. Il y a des curés en soutanes traditionalistes, des crucifix, des drapeaux royalistes et … des islamistes. Notamment des militants du groupe « Forsane Alizza » qui crient pour défendre Issa – Jésus dans le Coran – qui cotoient donc la crème de l’extrême droite radicale, notamment le GUD ou le néo-nazi Alexandre Gabriac.

    ➡️ 2015, un djihadiste commet un massacre antisémite dans le sillage de l’attaque du journal Charlie Hebdo. Il s’avère que les armes utilisées par le tueur ont été fournies par … un néo-nazi de la région lilloise également indicateur de police : Claude Hermant.

    ➡️ 2020, un jeune homme de 18 ans d’origine Tchéchène décapite un professeur d’histoire en pleine rue. Un crime atroce, commis par un très jeune homme, venu d’un pays bouleversé par la guerre, et assurément manipulé et motivé par des idéologues. Derrière la campagne menée contre le professeur tué, on trouve notamment le prédicateur Abdelhakim Sefrioui, une figure connue de l’islam radical, violemment antisémite. Il a justement fréquenté fréquenté le groupe « Forsane Alizza » … Mais aussi les réseaux proches d’Alain Soral, qui se revendique ouvertement « national-socialiste ». Sefrioui était en contact avec des groupes négationnistes et fascistes.
    Alors qu’on entend les médias se déchainer contre les immigrés et les musulmans, que des politiciens répandent l’expression "islamo-gauchiste", il faut rappeler que l’extrême droite, les fascistes et les djihadistes ne sont pas ennemis. Ce ne sont pas des camps opposés qui lutteraient l’un contre l’autre, mais les deux faces d’une même pièce. Ils se nourrissent, s’entretiennent, sèment la haine et la peur pour brutaliser le climat social.
    Ils partagent un projet commun mortifère : une société totalitaire, sexiste, réactionnaire, sans libertés. Les charognards qui tirent profit des attentats sont les mêmes qui créent le terreau de l’obscurantisme, et en sont parfois les complices directs. Face à cet engrenage macabre, les solidarités sont indispensables.

    (post de Nantes Révoltée)

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