Syrie Rojava • Poutine, la carte du maître #4

samedi 26 octobre 2019, par janek.

Dans ce jeu de dupes en Syrie, où chacun est autour de la table en compétition pour le titre de Judas, Poutine aura distribué les cartes pour la gagne.

Depuis le début, la Russie oeuvre en droite ligne dans l’esprit du processus d’Astana, qu’elle a imposé en mai 2017, après quatre rounds de négociations entre l’Iran, la Turquie et elle-même. Ce processus inscrivait sur le terrain la maîtrise des rapports de forces militaires, et la mise à l’écart de fait de la dite “coalition”, incapable de propositions ou de volonté de propositions. En ce sens, l’appartenance non contestée à l’OTAN de la Turquie, et sa présence dans le processus, valait acquiescement pour les autres membres de l’OTAN. Rappelons que le Conseil de Sécurité de l’ONU avait aussi, en 2016, applaudi l’accord russo-turc, prélude à Astana. Une certaine gauche en Europe avait applaudi.

En 2017 également, les Pays européens, pressés d’en finir militairement avec Daech, grâce au sacrifice de près de 11 000 combattantEs kurdes, ont commencé, après Raqqa, puis les derniers combats en mars 2019, à s’empêtrer avec le rapatriement impossible de leurs ressortissants djihadistes et leurs familles. Tous étaient en porte à faux vis-à-vis de leurs opinions publiques. L’annonce du retrait américain dans ce cadre, il y a presque un an, fut interprété comme une annonce de politique intérieure.

En réalité, il avait déjà pesé comme une menace au dessus du projet du Rojava, et avait contraint à ouverture de début de négociations entre les autorités démocratiques du Rojava et le régime syrien, ce à quoi poussait la diplomatie russe depuis plus de trois ans. Ces “négociations” avaient déjà un caractère contraint.

La décision il y a quelques mois, peu avant l’annonce ferme du retrait américain, d’une commission validée par l’ONU, à même d’ouvrir des pourparlers autour d’une nouvelle constitution syrienne, est aussi une résultante de la diplomatie russe à l’oeuvre. Les FDS et les représentants du Rojava étaient exclus de cette commission, rappelons-le.

Lorsqu’on parle de diplomatie russe, il ne faut jamais oublier qu’elle s’appuie sur une présence militaire forte en Syrie, en soutien du régime, même si les forces russes ont été “dégraissées” début 2019.

L’accord d’Astana prévoyait aussi un contrôle aérien russe dans les zones de “désescalades” concernées par le processus. Disons de suite un unique survol syrien, russe, et donc une maîtrise de la réduction des poches d’opposition au régime, jusqu’à la dernière, Idlib. La Turquie fut chargée d’y contrôler les groupes djihadistes et cela a abouti à la situation que l’on connaît, c’est à dire un recyclage de mercenaires et de gangs à son profit, pompeusement baptisés “armée nationale syrienne“. La Russie n’a pas non plus empêché la prise d’Afrin, territoire kurde en Syrie, par la Turquie, qui y a hébergé déjà ces groupes, début 2018.

Il y a donc, depuis 2016, un jeu de dupes à l’oeuvre, dans lequel la Russie de Poutine tire les ficelles pour son compte et celui du régime syrien, avec en arrière plan une caution iranienne. Dire cela est enfoncer une porte ouverte. Mais avec la fascination politique que Poutine déclenche parfois là où on ne l’attendrait pas, il est bon de se répéter. Trump n’a pas contrarié ces trahisons et y a rajouté la sienne, en précipitant les choses, et donnant un feu vert à ce qui en réalité se préparait collégialement en coulisses, depuis la fin militaire de Daech.

Aucune chancellerie occidentale ne peut dire qu’elle n’a rien vu venir, même trop occupée par ses opinions publiques, ses contrats d’armement ou les imbroglios internationaux provoqués par un Trump, sur tous sujets. Les mêmes chancelleries savaient parfaitement que l’unilatéralisme initié par le Président américain, et la diplomatie du rapport de forces d’un Poutine, aurait des conséquences catastrophiques sur le théâtre de guerre de la Syrie. Le en même temps hypocrite consistant à maintenir le PKK sur les listes terroristes et à en recevoir ses membres de façon opportuniste, était à son niveau, une annonce des trahisons en cours, sous le regard d’un Poutine triomphant.

On ne peut affirmer pourtant que c’est là une victoire du régime Bachar. Le régime, d’ailleurs, n’a jamais signé les accords d’Astana, tout en en recueillant les fruits successifs. La présence géostratégique de la Russie au Moyen-Orient dépasse largement la question de Bachar. Et rien que parler également “gaz” ferait écrire un chapitre entier sur la relation présence russe en Syrie, approvisionnement européen et Turquie. La vente des S400 est une broutille à côté.

Il y a une anecdote qui en dit long, confirmée par quelques extraits vidéos, sur la rencontre Poutine-Erdoğan. Celui-ci, alors qu’il sortait sa carte fétiche des zones tampons en Syrie, s’est vu prié de les ranger devant la caméra… Sans interpréter outre mesure cette anecdote, cela parle sur les arrières pensées à long terme.

Poutine s’est servi d’Erdoğan, comme il se sert du régime en place en Syrie. Ses fins n’accepteront aucune toute puissance de l’un ou de l’autre. Une paix à la Poutine est une paix imposée par les présences militaires sur le terrain, la sienne et celle du régime. Et le déroulé prochain des événements démontrera que la présence djihadiste en Syrie, que ce soit à Idlib, Afrin aujourd’hui, sera une étape supplémentaire dans la guerre en 2020, où la Turquie devra abdiquer ses prétentions à soutenir les barbus dont elle se sert aujourd’hui. En échange, il est probable que le projet du Rojava soit démembré, sous occupation de l’armée syrienne, sauf si, là encore, un Poutine décidait à son tour d’utiliser leur présence contre la menace djihadiste, toujours présente.

Le choix de la résistance et le refus des points d’accords Erdoğan-Poutine, fait hier par les FDS, est un choix politique très difficile à tenir, d’autant que les forces du régime sont acheminées sous présence russe vers le Nord de la Syrie, et que la bataille des conquêtes de terrain dans les 30 km se poursuit, par les forces turques, avec ses victimes et déplacés, ses exactions et crimes de guerre avérés. Cette résistance, avec le fort symbole que fut Serêkaniyê, montre, s’il était encore besoin, que si le projet politique du Rojava ne sortira pas indemne de ces semaines passées et à venir, il a imprimé dans des populations, chez les acteurs/trices de ce processus au Rojava, et les femmes en particulier, une volonté de non retour sur les acquis démocratiques et le vivre ensemble. Quelle que soit la crise humanitaire, les conséquences de guerre, alors que ce territoire connaissait la paix dans un océan de conflits, cette mémoire perdurera et nourrit la résistance.

Quand celui à qui tous ont confié la distribution des cartes utilise son propre jeu truqué, au nom de la paix autour de la table, le perdant est celui qui ne triche pas.

Ce quatrième article clôt un essai d’y voir clair dans les rôles joués par les différents acteurs internationaux. Cet exercice n’est pas mu par une envie de “spécialiste”. Il y en a assez comme cela qui se répandent en ce moment sur les plateaux de chaînes d’infos, tous avec un “livre” à promouvoir, ou un Ego à conforter. Je ne reviens pas de Raqqa, où j’aurais “combattu avec les peshmergas” (sic). Kedistan n’a aucun film hollywoodien laïc à promouvoir non plus.

Je dois aussi à nos amiEs combattantEs internationalistes, à la place qui est la mienne, de tenter de faire comprendre largement ce que je comprends moi-même de ce merdier syrien, après m’être modestement penché sur la situation. Pour que demain le sens de leur combat internationaliste ne soit pas traîné dans la boue, en même temps que “judiciarisé” par les Etats, aller plus loin que le factuel s’impose.

Défendre le Rojava aujourd’hui, défiler avec des pancartes “Erdoğan assassin”, dénoncer les crimes de guerre, n’est pas simplement un devoir militant ou humaniste, même si les crimes de guerre “filmés” sont à vomir.

Ce qui se déroule historiquement au Rojava, en même temps que le monde s’enflamme contre le libéralisme capitaliste, et que la planète s’embrase sous sa prédation, est la tentative d’écrasement d’une solution démocratique, toujours critiquable, mais ô combien utile pour l’humanité toute entière, comme le fut celui d’une certaine révolution espagnole écrasée en 1936.

Pour être très concret enfin, je ne peux qu’encourager à dénoncer les crimes de guerre, sans relâche, et répondre aux appels d’urgence des populations. Si cette chronique ne servait qu’à cela, elle aurait été utile.

Voir en ligne : http://www.kedistan.net/2019/10/25/...


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