Stratégies pour profiter des crises systémiques : avec multiplication des espaces libérés + blocages du monde de l’Economie + soulèvements populaires

Combinaison de la multiplication des espaces libérés et d’une extension des pratiques de blocage du monde de l’Économie

samedi 30 avril 2022, par Stratégie & co.

Avec Jérôme Baschet, explorons les voies pour sortir de la résignation, de l’impuissance et de l’ornière, pour (re)prendre le pouvoir sur nos vies, avec multiplication d’espaces autonomes comme bases susceptibles d’épauler d’autres luttes et de contribuer à une dynamique anti-capitaliste.
En profitant également des moments de crises systémiques du monde de l’Economie et de l’Etat, à l’aide de blocages tout azimut et de soulèvements populaires, une sorte de basculement révolutionnaire est possible.

Bien sûr ça ne se fera pas tout seul ni automatiquement, ...et ça se prépare.

Stratégies pour profiter des crises systémiques : avec multiplication des espaces libérés + blocages du monde de l’Economie + soulèvements populaires
Développer nos stratégies et objectifs au lieu de juste répondre dans l’urgence à l’agenda du Pouvoir et de subir ses crises

Pour inaccepter l’inacceptable - Entretien avec Jérôme Baschet

- Pour inaccepter l’inacceptable - Entretien avec Jérôme Baschet
Cet entretien a été mené par Gaëlle Vicherd, Jean-Marc Cerino et Philippe Roux et a d’abord été publié dans les numéros 34 et 35 de la revue De(s)générations. Sa publication dans lundimatin au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron prend tout son sens.
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Reste qu’il paraît raisonnable d’admettre, quelle que soit la façon de concevoir les espaces libérés, que la sortie du monde de l’Économie ne saurait être l’effet de leur seule multiplication. C’est pourquoi il conviendrait d’opter pour une stratégie intégrant plusieurs composantes (j’ai d’ailleurs plusieurs fois discuté le « pluralisme stratégique » d’Erik Olin Wright, et je n’y reviens pas). Ce que je propose ici, c’est la combinaison de la multiplication des espaces libérés et d’une extension des pratiques de blocage du monde de l’Économie. Et ceci en entendant le blocage dans toutes ses dimensions possibles : blocage des grands projets d’infrastructure et d’aménagement (comme ont entrepris de le faire, à une échelle accrue, les Soulèvements de la Terre ou les actions des « 17 » contre la réintoxication du monde – autant d’initiatives qui devraient bénéficier de notre soutien actif et déterminé), blocage des flux, mais aussi blocage de la production (là où la grève est encore possible), de la consommation et de la reproduction sociale (avec, par exemple, la grève scolaire de la jeunesse). Il y a urgence à interrompre concrètement le cours du monde de la destruction des mondes. Il y a urgence à bloquer la machinerie productiviste-destructrice du vivant, bref à provoquer des arrêts de production de plus en plus nombreux et massifs.
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Resterait enfin à donner aux espaces libérés un nom plus positif. On pourrait alors les appeler des mondes communaux, parce que s’y déploient des modes d’existence nourri par l’énergie du faire-commun. Or ce processus d’émergence de mondes communaux – voués, on peut l’espérer, à se substituer à la destruction capitaliste – est déjà en cours.
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De cette situation de crise systémique, dont il resterait à décrire plus en détail de nombreux aspects, il résulte une situation de grande instabilité et de grande incertitude (à l’inverse des périodes marquées par une relative stabilité systémique). C’est dans un tel contexte que peuvent advenir des basculements multiples, dans des directions diverses, au sein même du monde de l’Économie, mais aussi parce que se creuseraient des brèches ouvrant vers des possibles post-capitalistes, à travers une amplification des mondes communaux et une multiplication des pratiques de blocage et des soulèvements populaires. A cet égard, j’aimerais ajouter quelque chose à ce que j’ai mentionné en réponse à la question précédente : la combinaison stratégique des espaces libérés antagoniques, des pratiques de blocage et des soulèvements populaires doit être pensée dans son articulation avec un contexte de crise systémique. C’est la détérioration des conditions de vie (pour ne pas dire la croissante destruction des mondes) provoquée par la dynamique de crise systémique qui rend plus désirable l’expérimentation des espaces libérés, en même temps qu’elle rend plus urgentes les pratiques de blocage et peut conduire au point de rupture des digues de contention de l’intolérable. Inversement, la multiplication des espaces libérés et l’essor des pratiques de blocage peuvent contribuer à accentuer encore les tendances à la crise systémique.
(...)
Bien sûr que ce doute, cette angoisse plutôt, m’étreint, comme il (ou elle) nous atteint toutes et tous, j’imagine. Bien sûr qu’il est plus que temps de tirer le frein d’urgence du train fou du productivisme capitaliste, qui nous précipite vers l’abîme de la dévastation et met en péril l’habitabilité de la planète ! La menace pour le vivant, humains compris, est telle que nous sommes comme entrés dans un temps de la fin, sauf que cette fin, à la différence de l’eschatologie chrétienne, n’est pas (tout à fait) inéluctable. Et l’urgence manifeste ne doit pas conduire à la précipitation, ni à croire que seule l’action immédiate, inscrite dans un pur maintenant, pourrait y remédier. Au contraire, construire des formes d’action s’inscrivant dans une certaine durée n’en est que plus nécessaire ; à cet égard, l’anticipation de plusieurs saisons successives, dans une initiative comme celle des Soulèvements de la Terre, m’apparaît comme un signe tout à fait remarquable. Quant aux zapatistes, très conscients de l’urgence qu’il y a à défendre la vie contre la destruction capitaliste, ils n’en ont pas moins l’escargot comme emblème.

Par ailleurs, il me semble que ta question, en liant l’inquiétude du temps qui manque à mon plaidoyer pour l’insurgence communale – expression qui entend allier la multiplication des mondes communaux et l’intensification de la conflictualité anti-systémique – laisse entendre que l’hypothèse communale nous exposerait, plus que d’autres, à ce risque de manquer de temps et de ne pas répondre aux pressantes exigences de l’époque. Mais pourquoi la voie communale serait-elle plus lente – c’est-à-dire trop lente, alors que d’autres options offriraient des gages d’une plus rapide efficacité – sinon parce qu’elle serait trop petite, trop micro, pas à la bonne échelle et donc impuissante ? Nous voilà donc ramenés à la question précédente. Et j’ajouterais seulement à ce qui a déjà été dit qu’il n’y a, certes, pas de garantie que l’option communale se développe assez vite pour faire face à l’urgence climatique/écologique et aux multiples risques associés, y compris celui d’une fréquence encore accrue de nouvelles épidémies zoonotiques ; mais je ne vois pas que la voie néo-léniniste offre davantage d’assurance en la matière. Et si l’escargot zapatiste avance lentement (« Lentement, mais j’avance », dit-il volontiers), du moins a-t-il peut-être avancé plus que nous, ici…

Cela dit, il y a un point qu’il faut, à l’évidence, accorder : l’élaboration collective des décisions, les délibérations que cela suppose, l’art de l’écoute entre positions divergentes, celui de faire place aux différences (jusqu’à un certain point), la mise en œuvre de ces décisions selon les logiques du commun, tout cela prend assurément plus de temps que l’imposition d’une décision autoritaire. C’est tout à fait certain ; mais sauf à en déduire qu’il faudrait, pour résoudre l’urgence de l’altération accélérée du système-Terre, se rallier à une dictature écologique – annoncée de longue date, mais dont on ne voit pas, au demeurant, qu’elle pointe vraiment son nez – il n’y guère d’autre option que d’assumer ce temps-là, celui du faire-commun, comme strictement nécessaire. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas se soucier de ce par quoi les formes du commun peuvent, comme d’autres d’ailleurs, se traduire par un déficit dans la capacité collective d’agir (parce que les instances du commun sont en fait toujours menacées par le double risque d’un excès ou d’un manque dans leur rôle d’impulsion).

Mais, au fond, la question n’est pas tant celle du manque de temps que celle du manque de force. La question – tout aussi angoissante ! – consiste donc à se demander pourquoi nous ne sommes pas capables de gagner davantage en force, de construire une plus grande force collective, une capacité collective de faire et d’agir plus ample. Une force ancrée dans l’expérience située des existences communales, mais néanmoins articulée au souci de notre communauté planétaire. C’est une question ouverte et je n’ai évidemment pas de réponse. Quelques remarques, quand même, puisqu’il faut bien essayer de dire quelque chose.

Redire d’abord qu’à mon sens, rien n’est possible sans l’effort de construction située, le tissage des réseaux concrets d’entraide, les expériences partagées qui permettent de cultiver les arts difficiles de l’agir coopératif, la défense des lieux menacés (et en particulier des terres agricoles, notamment urbaines, dont nous devrions avoir pour priorité de ne pas tolérer l’artificialisation de la moindre parcelle). C’est là le tissu même du faire-commun, sans lequel rien d’autre ne peut croître valablement. Il y a là des mondes émergents à foison et tout ce qui peut être fait pour contribuer à leur vitalité et à leur déploiement est précieux.

On sent aussi monter depuis quelques années, même s’il peine à se concrétiser, le besoin de tisser davantage de liens entre ces expériences, d’œuvrer à plus de capacité de rencontres et d’échanges. Le temps est peut-être venu où vont émerger des sortes de fédérations des communs, des maillages plus consistants de résistances et de rébellions, y compris à l’échelle transnationale et planétaire.

Il serait sûrement favorable, dans cette perspective, de tenter de dépasser la tendance à surévaluer nos petites différences, ainsi que nos enfermements affinitaires pour se risquer à agir davantage en alliance, par-delà des divergences même fortes. De ce point de vue, je crois qu’il y a quelque chose à prendre dans l’appel au pluralisme stratégique de Erik Olin Wright, même si je ne partage pas bon nombre de ses analyses. L’observation de certaines initiatives, déjà avérées ou qui cherchent encore leur chemin, peut laisser penser qu’une telle dynamique est en train de s’amorcer. Il serait donc judicieux d’y travailler, ce qui ne signifie pas, bien sûr, de faire n’importe quoi en prétendant rassembler tout et son contraire. Mais il faut sûrement chercher à sortir de nos petites zones de confort intellectuel.

La pertinence d’une élaboration de perspectives d’action s’inscrivant dans une certaine durée a déjà été mentionnée. On peut y ajouter l’importance d’œuvrer à accroître, de multiples manières, les moyens matériels dont nous disposons (autrement dit, les bases matérielles des mondes communaux à faire) : moyens financiers, lieux collectifs, terres, outils de production, capacités techniques, moyens de diffusion, etc. Tout cela existe déjà, bien sûr, mais un net renforcement de ces capacités, comme ont commencé à le faire des initiatives comme la Foncière Antidote, la Suite du Monde, l’Appel pour des forêts vivantes et bien d’autres encore, est l’un des défis du moment.

Je ne prétends rien dire ici d’original (heureusement !) et il n’y a là que le rappel de quelques voies d’actions possibles, parmi bien d’autres, qui pourraient sortir renforcées de notre inquiétude de manquer de temps ou de force, de ne pas être à la hauteur, de ne pas faire ce qu’il faudrait, de manquer à notre tâche collective. Mais c’est à chacun et à chacune de batailler à sa manière avec la question de ce qui manque encore et qui pourrait être fait. Ce qui manque, ça ne manque pas : falta lo que falta, comme disent les zapatistes.

Stratégies pour profiter des crises systémiques : avec multiplication des espaces libérés + blocages du monde de l’Economie + soulèvements populaires
La civilisation industrielle est une usine à gaz chaotique et irréformable qui fuit de toute part

Pour passer à l’offensive et saisir les opportunités

Des réflexions stratégiques essentielles et des actions/préparatifs indispensables si on veut arrêter la mégamachine et aller nettement plus loin que la conservation éphémère de quelques espaces de liberté résiduels et menacés, ou qu’un certain nombre de victoires locales sur des projets inutiles tandis que la machine techno-capitaliste continue partout ses ravages à grande échelle, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.
Développer nos stratégies et objectifs au lieu de juste répondre dans l’urgence à l’agenda du Pouvoir et de subir ses crises.
Pour passer à l’offensive et saisir les opportunités, pour anticiper et agir au présent, pour s’organiser sans s’enliser dans des partis de masse ni des hiérarchies indésirables, pour agir sans attendre une vaine massification ni se perdre dans des aménagements du système.

En complément, voir :
- À la notion d’effondrement qui dépolitise, préférons des basculements orientés par les luttes politiques - Jérôme BASCHET & Jacques Philipponneau, des réflexions pour sortir de la société industrielle


Forum de l’article

  • Stratégies pour profiter des crises systémiques : avec multiplication des espaces libérés + blocages du monde de l’Economie + soulèvements populaires Le 2 mai 2022 à 18:34, par mimo

    je rêve ou se texte a été écrit a l’aide du générateur de textes appellistes ?
    puisque la question est posé :
    « se demander pourquoi nous ne sommes pas capables de gagner davantage en force, de construire une plus grande force collective, une capacité collective de faire et d’agir plus ample. Une force ancrée dans l’expérience située des existences communales, mais néanmoins articulée au souci de notre communauté planétaire »
    je puis tenter également une réponse :
    peut être que chat échaudés craint l’eau froide et que les personnes étant passer par des luttes récupérer puis pourri par les sales manières des appellistes, les voient désormais venir de loin, et non pas confiance en leur manière de faire communs « seulement avec leurs amis » et a faire alliance avec l’état (qu’ils disent combattre) quitte a vendre une bonne partie des personnes en luttes, comme a la zad de nddl où ils n’ont pas eu peur de détruire les premières cabannes avant même les flics ! et où ils sont desormais chez eux avec l’argent des autres !

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