Bonne nouvelle : en Drôme comme ailleurs, sous les radars de l’actualité officielle, le corps social bouge encore !
Témoin, ce samedi 10 février, à Saillans, le rendez-vous donné à toutes celles et ceux qui, dans nos vallées et nos montagnes, « cherchent à combiner et étendre des pratiques d’alternatives réelles avec la lutte politique, économique, sociale et écologique face à un “modèle” toujours plus individualiste, patriarcal, écocidaire, raciste et inégalitaire ». Un temps autogéré de rencontres publiques à la croisée des chemins. Cinq ans après le surgissement des Gilets jaunes, la radicalisation policière et judiciaire, longtemps expérimentée contre les quartiers populaires et les migrant∙es, étend peu à peu sa menace à toute la population. Après les retraites, la santé publique et le système scolaire, la dérive autoritaire d’un pouvoir aux abois vise désormais explicitement l’État de droit. De violences sexuelles en crimes climatiques, la prédation se repaît, impunie. Comment sortir le mouvement social de la nasse ?
Non sans humour, l’invitation est placée sous le signe des Shadoks : « Plus ça rate, plus on a de chances que ça marche », et « on n’est jamais aussi bien battu que par soi-même » ! Blague à part, cette journée, concoctée par les Gilets jaunes de Saillans, le Comité de lutte Val de Drôme et le collectif Valence en lutte, avec le soutien de l’association Abya Yala, propose de faire un pas de côté, reprendre collectivement des forces et tisser ensemble, concrètement, des liens de combat.
En deux temps : un après-midi d’échanges entre personnes actives dans des collectifs, associations, orgas, ou souhaitant les rejoindre, suivi d’une soirée ouverte à tous∙tes, avec spectacle et projection-débat.
Trente à quarante personnes d’horizons variés sont venues débattre en petits groupes : état des lieux des combats menés, retours d’expériences ; épuisement et épanouissement des personnes engagées ; entraide militante et coordination des actions ; questions de stratégie, d’efficacité, de radicalité, etc. Pour la suite, plusieurs pistes émergent, en termes de mutualisation d’outils, ressources et savoirs, ou de formation (aspects techniques ou juridiques, facilitation des décisions et soin). Surtout, les participant∙es s’accordent à vouloir prolonger la démarche en montant d’autres rendez-vous, façon forum social ou festival des résistances…
À la pause, les conversations roulent autour des brochures de l’infokiosque, d’un fût de bière, d’une marmite de soupe et d’une énorme pile de crêpes. La salle se remplit pour une soirée dont le programme fait écho aux paroles de l’après-midi. Vient d’abord une allégorie de l’avènement du fascisme au fil de « petites compromissions » pas si anodines : Matin brun, « théâtre d’ombre et de terre » adapté du conte de Franck Pavloff par la compagnie Tout CouR. Persuadés que le pire n’est pas inéluctable, les comédiens embarquent en fin de spectacle le public dans un atelier de réécriture improvisé.
(Reportage audio de radio St Féréol sur l’événement à retrouver ici : https://www.radiosaintfe.com/emissions/details/view/luttes-sociales-et-antifascisme-retour-sur-la-soiree-nous-navons-pas-peur-des-ruines-a-saillans)
Puis on accueille le réalisateur franco-grec Yannis Youlountas, venu présenter son tout nouveau documentaire Nous n’avons pas peur des ruines, qui relate les tentatives gouvernementales, à Athènes, pour venir à bout du quartier rebelle d’Exarcheia, et la joyeuse détermination des luttes, des centres autogérés et des squats. Puis la discussion s’engage : situations comparées de la Grèce et de la France sur l’échelle du fascisme en marche, perspectives de reprise en mains collective de nos destins par l’autogestion, réflexions autour de l’idée qu’il vaut mieux arrimer nos combats à la dignité de chacun∙e et de tous∙tes, plutôt qu’à l’espoir (qui est un autre nom de l’attente). Au moment de quitter les lieux, on se promet de garder à l’esprit ces paroles de Pia Kemp, ancienne commandante de navires de sauvetage en Méditerranée, interrogée dans le film : « Quand tu te lèves pour ce à quoi tu crois et pour échapper à ce qui semble écrit, c’est déjà une grande victoire ! »
Monté en quelques semaines par une poignée de bénévoles énergiques, réuni∙es par le Comité de lutte Val de Drôme créé au printemps dernier, l’événement a fait le plein, a fait du bien. Quelque cent vingt personnes y ont pris part, des contacts personnels sont noués, des rendez-vous lancés, des projets ébauchés. Un beau succès, fondateur et prometteur… À Saillans comme à Athènes, le réarmement social est lancé !