SNCF, la casse du service public et du statut, la privatisation, la perte de sens, les retraites risquent de générer une grève dure, sauvage et longue

La SNCF au bord de l’explosion

vendredi 1er novembre 2019, par Camille Pierrette.

Les cheminots et travailleurs SNCF, comme plein de le monde, sont confrontés de plein fouet au rouleau compresseur capitaliste, qui va toujours plus loin dans la casse sociale et l’extrémisme ultralibéral si rien ni personne de l’arrête.
Comme avec les chômeurs et les travailleurs, le gouvernement est là pour leur enfoncer la tête sous l’eau et les merdias enfoncent le clou du discrédit et de la division pour mieux régner sur les ruines.
Mais le ras le bol monte, et les cheminots sont en bonne voie de "giletjaunisation" et d’émancipation vis à vis de leurs syndicats.
Les sempiternels bégaiements sur le mode "les grévistes prennent honteusement en otage les clients (usagers c’est fini) et les travailleurs qui se lèvent tôt" ne prendront pas et ne convaincront que les éditorialistes du sérail et le bloc bourgeois, car le petit peuple sera en grève également ou dans la rue, soit pour tout brûler, soit pour virer toute l’oligarchie, soit pour tout reconstruire d’une manière soutenable et fraternelle, soit les trois en même temps.

La SNCF au bord de l’explosion

Un excellent article de Mediapart, par Martine Orange :

Rien ne va plus à la SNCF. Deux mouvements sociaux ont été lancés, sans s’appuyer sur les syndicats. Fin du statut, ouverture de la concurrence à partir de 2020, réforme des retraites créent un mélange détonant dans l’entreprise. Guillaume Pépy quitte l’entreprise en laissant « une Cocotte-Minute »

« Éruptif », « un chaudron », « une Cocotte-Minute », « un tsunami ferroviaire ». De la base au sommet, les cheminots n’ont pas de mots assez forts pour décrire le climat actuel à la SNCF. Tous manifestent la même inquiétude. Tous s’alarment de l’état de tensions, de l’atmosphère conflictuelle qui règne au sein du groupe ferroviaire. « La moindre étincelle peut déclencher l’incendie », constate un cadre de la direction. « Si l’entreprise ne remet pas la priorité sur ses salariés, cela va péter de partout », prévient de son côté Bruno Poncet, porte-parole de Sud Rail.

Depuis un mois, rien ne va plus à la SNCF. L’entreprise connaît des situations sans précédent. D’abord, il y a eu les arrêts des trains le 18 octobre. À la suite de l’accident d’un TER dans les Ardennes, les conducteurs partout en France ont fait valoir leur droit de retrait. Du jamais vu à la SNCF. La direction et le gouvernement ont eu beau brandir la menace de sanctions judiciaires, le mouvement s’est étendu comme une traînée de poudre.

Aujourd’hui, la direction de la SNCF soupçonne la CGT d’avoir déclenché ce mouvement pour se compter avant la grève générale du 5 décembre contre la réforme des retraites, qui menace directement le régime spécial de retraite de l’entreprise. Mais ce qui se passe au technicentre de Châtillon (Hauts-de-Seine) semble prouver que la situation est beaucoup plus compliquée.

Depuis le 21 octobre, une grève surprise est engagée dans ce centre de maintenance des lignes TGV Atlantique (Bretagne, Ouest, Sud-Ouest). Deux cents parmi les sept cents salariés du centre y participent. Mais fait nouveau, cette grève a été lancée sans préavis, « sans se concerter ou être encadrés par les syndicats », ont tenu à préciser les grévistes dans un communiqué publié dimanche soir.

Technicentre de Châtillon. © SNCF Technicentre de Châtillon. © SNCF

Tout a démarré après l’annonce du projet de la direction de dénoncer l’accord social local. « C’est pour se mettre en conformité avec le droit du travail. Nous avons déjà révisé 250 accords locaux », explique-t-on à la SNCF. Dans le cadre de cette révision, la direction proposait de supprimer douze jours de repos supplémentaires pour compenser le travail de nuit et de week-ends.

Tout de suite après le début du mouvement, la direction des lignes Atlantique a décidé de suspendre cette mesure. « Le mouvement n’a plus lieu d’être puisque le projet d’aménagement de leurs conditions de travail a été retiré dès mardi », a indiqué la directrice du TGV Atlantique Gwendoline Cazenave. Elle dénonce une grève sauvage, illégale, qui a amené la SNCF à suspendre 70 % du trafic sur les lignes Atlantique depuis dimanche. Le trafic ne devrait pas revenir à la normale avant le week-end de la Toussaint.

« Si la direction avait suivi une procédure normale, on n’en serait pas là. Mais là, elle a décidé de revenir sur les conditions de travail sans concertation, alors que ce sont les salariés parmi les plus mal payés de l’entreprise. Ils gagnent à peine 1 200 à 1 300 euros par mois. Leur salaire est gelé depuis cinq ans, et ils ont des conditions de travail dégradées. Le métier est si peu attractif que la RATP vient recruter chez nous sans problème », dit Bruno Poncet. Une analyse que partage Didier Aubert, secrétaire général de la CFDT Cheminots. Lui aussi reproche à la direction d’avoir voulu passer en force, sans négociation.

Parti de Châtillon, le mouvement menace de s’étendre à d’autres centres de maintenance. Sud Rail a déposé des déclarations de concertation immédiate dans trois d’entre d’eux, chargés de la maintenance des TGV du nord, de l’est et du sud de la France, et des Eurostar et des Thalys. Elles pourraient aboutir à des grèves si les négociations n’aboutissent pas. Tous demandent une amélioration de leurs conditions de travail, d’en finir avec les sous-effectifs, les changements incessants d’horaires et d’astreinte pour pallier les carences, le manque de moyens. « Nous avons honte de voir comment la SNCF joue avec la sécurité ou encore le confort des voyageurs pour des questions de flexibilité et rentabilité », écrivent les grévistes de centre de Châtillon.

Eux demandent en plus le paiement des jours de grève, la garantie de ne pas faire l’objet de sanctions disciplinaires en raison de leur grève sans préavis, et de bénéficier d’une prime de 3 000 euros. « On parle de tout, des conditions de travail, du travail. Mais il y a une revendication impossible à satisfaire : c’est celle du paiement des jours de grève », a répété Guillaume Pepy, mercredi sur Europe 1, en jouant une fois de plus l’opinion publique contre les cheminots. « Aucun client ne comprendrait que l’on paye un jour de grève », ajoute le président de la SNCF pour encore trois jours.

En recourant aux vieilles ficelles, la direction de la SNCF risque cependant de passer à côté d’un changement peut-être plus profond qu’il n’y paraît. Dans une entreprise à l’organisation millimétrée, quasi militaire, où tout est parfaitement codifié depuis des années, où la règle est comprise et acceptée par tous, ces deux mouvements successifs partis de la base sont des avertissements pour tous. Une rupture. Jamais une grève comme au technicentre de Châtillon n’avait jusque-là démarré sans préavis. Jamais les grévistes n’avaient tenu à se démarquer autant des syndicats, comme si ces derniers étaient disqualifiés.
Les gilets jaunes en référence

La grande grève de 2018, la plus longue de l’histoire de la SNCF, a laissé des traces dans toute l’entreprise. « Elle ne leur a rien apporté », constate un cadre dirigeant de la SNCF. Et cet échec a des effets à retardement. Sans le dire ouvertement, nombre de salariés remettent en cause la stratégie adoptée par les syndicats au printemps 2018.

« Auparavant, les obligations de déclaration de grève étaient juste réservées aux roulants et aux contrôleurs afin d’assurer une continuité du service. Mais ces obligations ont été étendues à quasiment tout le personnel. Ce qui permet à la direction de s’organiser, de rendre les mouvements invisibles en en limitant l’impact. Alors, les salariés se mettent en grève sauvage, préférant prendre une sanction plutôt que de faire une grève qui ne sert à rien », reconnaît Bérenger Cernon, secrétaire général CGT à Paris, gare de Lyon. « Et comme dans le mouvement des gilets jaunes, on a du mal à trouver notre place », ajoute-t-il.

Beaucoup de cheminots se sont sentis très proches du mouvement des gilets jaunes : ses organisations spontanées, ce refus de se rallier à des syndicats, sont devenus des points de référence auprès des cheminots. D’autant que les organisations syndicales ne semblent plus avoir la capacité de peser « sauf sur les points et les virgules ». La direction de la SNCF s’est d’ailleurs largement employée à diminuer leur influence. Une de ses premières décisions prises après l’adoption de la réforme a été de réduire le nombre de délégations syndicales locales, « ce qui isole encore un peu plus les salariés, les prive de relais », relève Bruno Poncet.

Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminot, est forcé de l’admettre et s’en énerve : « Cela fait au moins cinq ans que cette direction, Guillaume Pepy en tête, ne joue pas le jeu. Elle ne négocie rien, ni avant, ni pendant, ni après une grève. Forcément cela crée de la rancœur », dit-il. Roger Dillenseger, ancien secrétaire général UNSA et actuel conseiller ferroviaire du syndicat, fait le même constat. « Les salariés savent qu’ils ne peuvent plus trop compter sur les syndicats. Dans ce contexte, on peut craindre des grèves sauvages à venir. Tous les motifs de contestation peuvent donner lieu à une grève et mettre la pression sur les négociations en cours. »

Manifestation des cheminots contre la réforme de la SNCF en mai 2018. © D.I. Manifestation des cheminots contre la réforme de la SNCF en mai 2018. © D.I.

Le risque de voir se multiplier des conflits locaux, sans encadrement syndical, sans préavis, commence à être pris très au sérieux par la direction. D’autant que les circonstances s’y prêtent. La réforme de la SNCF qui met fin au statut pour les nouveaux embauchés, l’ouverture du ferroviaire à la concurrence au 1er janvier et pour finir la réforme des retraites créent un mélange explosif dans une entreprise en plein « mal-être ». « Le 1er janvier fait peur à tout le monde », reconnaît Bruno Poncet.

Depuis plusieurs années, la SNCF connaît des réorganisations à un rythme effréné. Il y a eu celle de la SNCF réseau en 2015, la réforme du travail en 2016, la réforme de la SNCF transformée en société anonyme à partir du 1er janvier. À chaque fois, cela se traduit par des changements de métiers, d’organisation, d’affectation.

Tout va particulièrement vite depuis la dernière réforme, sans concertation, sans explication, parfois avec brutalité. Des trains sont changés ou supprimés, comme certains directs Paris-Lille, du jour au lendemain, sans que l’on comprenne pourquoi. L’ensemble des guichets dans les gares d’Île-de-France ont été supprimés, la SNCF considérant que son site internet peut pourvoir à tout.

Des gares et des dessertes sont fermées sans en parler aux collectivités locales, qui pourtant subventionnent largement les transports régionaux. Les agents sont équipés pour travailler seuls. À partir du 15 décembre, les conducteurs devront donner seuls le départ du train car tous les chefs de quai auront disparu.

Le même argument revient à chaque fois : il faut augmenter la productivité et la flexibilité de l’entreprise. En moins de deux décennies, la SNCF est passée de 220 000 à 155 000 salariés, en transportant plus de voyageurs avec moins de trains. Ces dix dernières années, elle a supprimé plus de 2 000 emplois par an. « Les suppressions de postes sont devenues un sport national pour la direction de la SNCF », dénonce la CFDT. Mais ces efforts sont jugés insuffisants. L’entreprise doit coûter moins cher, être plus performante encore, et dégager un cash flow positif en 2024. C’est la contrepartie exigée par le gouvernement pour la reprise de 35 milliards d’euros de dette par l’État.

Tous sont priés de faire des économies drastiques. « Sauf au sommet », grince un cheminot, « le budget petits fours, de com ou l’encadrement pléthorique, on n’y touche pas. Par contre à la base, on prend tout de plein fouet ». Le ras-le-bol chez les cheminots est d’autant plus grand qu’ils découvrent l’envers du décor de la réforme. « On leur avait vendu la mobilité, des évolutions de carrière. Ils découvrent que la SNCF va être transformée en cinq sociétés anonymes et qu’ils ne pourront pas sortir de là où ils sont rattachés », dit Bruno Poncet.
« Le monde de oui-oui »

La référence à France Télécom revient sans cesse chez tous les interlocuteurs pour expliquer ce qui se passe actuellement à la SNCF. « Le parallèle n’est pas faux. Le monde dans lequel les cheminots vivaient est en train de disparaître. Les choses étaient plus simples, plus claires. Il n’y avait pas de marketing, pas de communication. Il y a une vraie perte de sens pour les cheminots », relève ce cadre de la direction.

La perte de sens, c’est ce monde de règles qui devaient être respectées à la lettre et qui maintenant sont considérées comme accessoires. C’est la ponctualité des trains, érigée en impératif catégorique dans la SNCF, qui n’est plus que relative. C’est le service public, la desserte du territoire, balayés au nom de la concurrence. Beaucoup ne savent plus à quoi ils servent.

Le malaise touche toute l’entreprise, jusqu’au sommet. Ainsi des services d’ingénierie de la SNCF, autrefois les experts du système ferroviaire français. Ces ingénieurs étaient chargés de concevoir, construire, contrôler tout. Maintenant, toutes les études sont externalisées et confiées à des « experts » privés. Leur principale mission consiste à contrôler des études moins bien faites et pour plus cher…

Face à cette perte de sens, la direction n’a qu’à leur vendre « le monde de oui-oui » pour reprendre l’expression d’un cheminot, en référence au nouveau marketing de la SNCF. Un changement de nom qui énerve des salariés tant par sa stupidité et son indigence que par ce qu’il recèle. La direction y parle d’un monde « branché » où il n’est question que de « mobilités », d’internet, ou de connexions. Mais elle ne s’adresse plus à l’entreprise.

L’incompréhension est si grande que beaucoup choisissent de partir sur la pointe des pieds. Un millier de salariés, surtout des jeunes, ont démissionné en 2018. Là aussi du jamais vu dans l’entreprise publique. D’autres choisissent de rester, malgré tout. Mais le malaise est si grand que les burnout, les dépressions et même les suicides ne cessent d’augmenter. Quelque 50 salariés se sont suicidés l’an dernier. Un chiffre qui devrait alarmer la direction, mais qui jusqu’à présent ne l’a pas conduite à mettre en œuvre d’autres méthodes de management (voir l’enquête de Mathilde Goanec sur ces suicides que la SNCF ne veut pas voir).

« Et après cela, on se fait traiter de privilégiés, de bons à rien. Quand vous voyez vos collègues, qui tentent de suppléer au manque de moyens en prenant sur eux, en assurant parfois deux ou trois postes pour que cela marche, et qui finissent par craquer. C’est révoltant », s’emporte Bérenger Cernon. « Oui, nous sommes comme France Télécom, mais à la période Thierry Breton. Après le départ de Guillaume Pepy, il se passera la même chose qu’à France Télécom si rien n’est fait. Il y aura des drames », poursuit, inquiet, Bruno Poncet.

Pris comme boucs émissaires depuis des années par les gouvernements successifs, les cheminots ne supportent plus l’image qui a été volontairement construite pour les désigner auprès de l’opinion publique comme des « nantis », des « fainéants », parce qu’ils ont un statut.

Le pire, pour eux, est que Guillaume Pepy ne s’est jamais levé pour les défendre, pour saluer leur travail. Au lendemain de l’accident dans les Ardennes, le président de la SNCF n’a pas eu un mot pour remercier le conducteur de TER, qui, blessé, était parti sur les voies pour débrancher le système et éviter une autre collision. Il n’a su ce jour-là qu’agiter la menace de sanctions.

« Les relations sont devenues très dures ces dernières années entre Guillaume Pepy et les syndicats. Lors des négociations sur la réforme, c’est lui qui était le plus intransigeant. Lui aussi est en fin de règne. Il est temps qu’il passe la main », souligne un connaisseur du dossier. Si les syndicats attendent tous le départ de Guillaume Pepy, accusé de « mettre sans cesse de l’huile sur le feu », ils ne font guère de pari sur son successeur, Jean-Pierre Farandou. Même s’il a fait toute sa carrière à la SNCF, celui-ci a déjà sa feuille de route, écrite par le gouvernement.

Et ce dernier a déjà prévu de faire à nouveau des cheminots sa cible favorite, de jouer l’opinion publique contre eux pour faire avaler sa réforme des retraites. « Il faut déminer le maximum de sujets avant le 5 décembre, trouver des voies de passage avec le plus de professions possible, pour ne plus avoir que les salariés de la SNCF et de la RATP mobilisés le jour J, et pas une coagulation entre les 42 régimes spéciaux », a raconté au Monde un membre du gouvernement, explicitant sa stratégie des boucs émissaires.

Même s’ils n’en peuvent plus de servir de punching-balls dans l’opinion publique, les cheminots attendent eux aussi de pied ferme cette journée du 5 décembre. Ils veulent régler leurs comptes avec la direction, avec le gouvernement qui, selon eux, ont cassé leur entreprise. Mais la révolte est telle au sein de la SNCF que tout pourrait déborder avant.


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