Sortons des postures d’indignations et des polémiques entretenues à dessein par les médias du Pouvoir intéressés à faire du buzz et donc du pèze, tout en favorisant les idéologies d’extrême-droite. Ces postures enferment dans des sucessions chaotiques d’émotions aussi fortes qu’éphémères.
Creusons les sujets tout en agissant concrètement pour des transformations émancipatrices radicales (sociales, économiques, politiques, écologiques, culturelles...). Laissons parler la rage et la colère au lieu de se tiédir dans des émotions convenues et non suivies d’engagements qui ne dérangent ni les pouvoirs ni leurs valets aux bannières multiples.
- S’indigner ou agir, il faut choisir - Mais aussi, agir pour quoi, dans quels objectifs et avec quelles stratégies ?
- Attaquer le coeur de la méga-machine, l’équivalent des « microprocesseurs », au lieu de s’en prendre aux pièces et circuits périphériques
Pour lancer la réflexion, quelques extraits de cet article intéressant :
- S’indigner ou agir, il faut choisir
Il y a 11 ans, le diplomate et ex-résistant Stéphane Hessel publiait un petit livre intitulé Indignez-vous ! Grand succès commercial, ce petit opuscule prônait une forme d’engagement politique devenu depuis le nec plus ultra de l’action militante dans ce qu’il est convenu d’appeler « la gauche ». Désormais, l’indignation rythme notre vie politique et médiatique, imbriquée dans une petite routine bien connue : la droite lance une polémique, la gauche s’indigne. Le Figaro magazine publie sa Une accusant les profs d’enseigner le « wokisme » (terme récent visant à stigmatiser les gens qui veulent davantage d’égalité) : la gauche s’indigne, relayant au passage la couverture tant décriée sur ses réseaux sociaux, multipliant les bons mots et les figures de style pour faire part de son « profond écœurement ». Un magazine comme Valeurs Actuelles n’a plus besoin de service com’ tant l’indignation de gauche provoque la viralité de ses Unes racistes et colonialistes. « Ça va, on vous dérange pas ? », écrit en général le militant de gauche sur l’un de ses réseaux sociaux favoris, Twitter le plus souvent.
Eh bien non, pas du tout en fait. Au contraire même : la droite fascisante, celle qui raconte connerie sur connerie et multiplie les provocations pour faire avancer sa grille de lecture du monde social (une grille sexiste, raciste et capitaliste) se délecte et se nourrit des indignations de la gauche.
Le couple infernal polémique-indignation envahit nos médias
A quoi assiste-t-on en effet depuis plusieurs années ? Au sein d’une narration bien rodée, extrêmement routinière, le « polémiste » de droite commence par lâcher sa merde. C’est moche, c’est faux, c’est dégueulasse, bien sûr, mais tous les médias tendent leur micro, ça sent si bon ! La gauche réagit, les tweets indignés fusent, quelques “responsables” interrogés “condamnent avec la plus grande fermeté” ce propos qui “joue sur les peurs”, “attise les haines”, “réveille Sauron”. Le lendemain, le polémiste de droite, qui se réclame pourtant des spartiates, des gaulois et de toutes les divinités de la testostérone, se victimise et chiale toutes les larmes de son corps sur toutes les chaînes de télé et de radio en clamant qu’on ne peut plus rien dire. En réalité, on peut absolument tout dire dans ce pays, sauf dire la police tue des arabes et que la lutte des classes existe, mais l’indignation de gauche vient donner un vernis de « subversion » (terme bourgeois qui se substitue à « révolution » car ça n’atteint jamais les intérêts des actionnaires) à la parole proto-fasciste.
Zemmour a absolument besoin que sa parole provoque de l’indignation pour qu’elle fasse de lui un mec « anti-système ». Car si l’on regardait seulement son temps de parole et le nombre d’articles qui lui sont consacrés depuis deux mois, on verrait que l’ensemble des journalistes de ce pays sont obsédés par sa petite personne et lui déroulent un tapis rouge H24. Que cela soit sur les médias détenus par Bolloré, par l’Etat français ou par des journalistes “indépendants et alternatifs”… Alors si en plus personne ne venait l’accuser de dire de la merde, imaginez le flop. Il n’y aurait plus aucune différence entre Macron et lui, et l’on pourrait croire que derrière les “polémiques” nous aurions deux bonshommes que la bourgeoisie adore parce qu’ils veulent tous les deux dégommer la Sécurité sociale et nous faire travailler “plus longtemps”. Pas terrible pour être « subversif », hein !
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L’indignation est une façon respectable et bourgeoise-compatible de s’exprimer politiquement. C’est de l’émotion certes, face à la « peste brune », « à l’indignité de l’époque », aux « outrances » et aux « haines », mais une émotion contenue et proprette. Contrairement à la colère ou à la rage qui, elles, sont mauvaises conseillères. Regardez les Gilets jaunes, dont l’ensemble de la classe politique n’a cessé de dire qu’ils devaient se canaliser un peu, tout de même.
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Régulièrement, les indignés professionnels s’indignent aussi de « l’explosion des inégalités » ou de « l’envolée exponentielle des dividendes ». On a envie de leur dire : « Mais vous vous attendiez à quoi, au juste ? ». Bien sûr qu’il ne faut pas être blasé ni indifférent aux injustices, mais est-il honnête de toujours feindre la surprise ? Évidemment que les actionnaires du monde entier se gobergent, ils en ont le droit : c’est ce qui arrive notament lorsque « la gauche de gouvernement » dégomme le droit du travail et que le discours sur la nécessaire « liberté d’entreprendre » s’est imposé partout, même chez les indignés professionnels qui ont abandonné depuis longtemps tout discours sur l’exploitation au travail, trop occupés qu’ils sont à s’indigner et à combattre la « peste brune » et Donald Trump.
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De toute façon, l’indignation est plus morale que politique. Elle est un jugement de goût, quasi esthétique, sur notre vie politique : elle dit ce qui est laid, ce qui est « outrancier », ce qui gâche la belle routine de notre superbe vie démocratique contrairement à la révolte qui, elle, s’attaque au système dans son ensemble. Quand on est révolté, on n’a que faire de la façon dont la violence sociale s’exprime. Macron, si doux et si jeune, n’est pas moins violent que n’importe quel type de droite outrageusement méprisant et raciste. A l’heure actuelle, Macron reste d’ailleurs plus dangereux que Zemmour dans la mesure où c’est lui qui est au pouvoir.
L’indignation, quant à elle, s’effarouche des injustices de ce monde sans jamais en donner les causes : elle n’a pas de temps pour ça, il lui faut s’indigner, signer des tribunes, tweeter des bons mots, et comme le lendemain un nouveau sujet d’indignation s’offrira à elle, elle n’aura pas le temps de se pencher sur la destruction du capitalisme et la mise à bas de la bourgeoisie. Il est vrai que le réseau social Twitter participe de cette frénésie : tous les journalistes et politiques y sont et c’est à qui condamnera le plus fort. Et vous, avez-vous tweeté contre cette dernière Une de Valeurs Actuelles ? Mais du coup, si ce n’est pas le cas, vous cautionnez ?
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Soyons honnêtes : la plupart des gens dont la fonction sociale est l’indignation ne sont pas le commun des mortels. Ce sont des gens qui ont le temps, l’argent qui leur permet d’avoir le temps, et la conception du monde idéaliste qui leur fait croire qu’en montrant que son adversaire a tort alors on gagne, car « la vérité triomphe toujours ». Bref, ce sont le plus souvent des sous-bourgeois, c’est-à-dire des personnes dont la position sociale les situe entre ceux qui travaillent (la classe laborieuse) et ceux qui possèdent (la bourgeoisie). Courroie de transmission pas toujours docile entre les deux classes, ils sont des spécialistes de la parole. C’est leur métier (de journaliste, d’universitaire, de cadre, d’expert, etc) et c’est en toute logique qu’ils croient dans les effets vertueux de la parole sur la vie démocratique. Mais pourquoi ne réalisent-ils donc pas que leur indignation n’a aucun effet voire renforce l’adversaire ?
A intervalle régulier cependant, la prise de conscience de la vanité de l’opération apparaît aux yeux des indignés. S’ensuit un débat Médiapart ou Libé où un.e militant.e de nobles causes s’écrie : « Il faut cesser de suivre l’agenda de la droite et imposer nos propres sujets ! ». Mais la démarche, souvent, s’arrête là : encore faudrait-il avoir des sujets à proposer.
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Il faut dire que le couple polémique-indignation arrange finalement tout le monde. La droite voit ses sujets monter dans le débat public (à défaut de monter dans l’opinion publique) et peut inonder le monde de ses obsessions tout en se victimisant, son sport préféré, tandis que la gauche obtient le sentiment d’être utile et supérieure moralement sans avoir à jouer le rôle qui fut le sien pendant 150 ans : préparer la révolution et renverser la bourgeoisie. L’avantage d’une extrême-droite aussi agitée, c’est qu’elle occupe tout l’espace et repousse la question de la destruction du capitalisme, du colonialisme et du patriarcat aux calendes grecques.
La droite donne le « la », la gauche suit. Soit par ses indignations, soit par sa collaboration. Arnaud Montebourg et Fabien Roussel, si vous connaissez ces types issus de deux vieux partis politiques de gauche, l’un dit socialiste, l’autre dit communiste, se disent par exemple que pour exister quand on a zéro idéal politique, autant se servir une part du magma insécurité-islamisme-immigration. Hum, ce n’est pas très écolo de produire de nouveaux déchets pour l’Histoire, les gars !
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NOTES
Ne sombrons pas dans une acceptation des thèmes de la bourgeoisie et de l’extrême droite, ne nous abîmons pas dans un anti-capitalisme tronqué compatible avec le système en place, compatible avec le macronisme, la droite, l’extrême droite, et la pseudo gauche (PS & co) qui barbote dans la même eau brunâtre en espérant y faire des bulles pour écumer à la surface.
Il s’agirait de ne pas seulement combattre l’exploitation au travail, mais les racines du système captitaliste qui est basé sur l’exploitation des travailleurs et la mise en place de cette forme de travail (voué au productivisme, à la concurrence, à la valorisation du Capital, au pillage du monde vivant, à transformer tout en marchandises en vue de produire de l’argent, etc.).
Ne pas s’arrêter en chemin, une fois les conditions de vie des plus pauvres/précaires améliorées (hausse des salaires, baisse des loyers, baisse du temps de travail, aides sociales en rapport...), continuer l’offensive en visant les racines du capitalisme et l’autoritarisme inhérent à l’Etat et aux institutions non-démocratiques en place, ce qui couperait court aux destructions sociales et écologiques, et du même coup coupera l’herbe sous le pied aux droites, extrêmes-droites, extrêmes centres, fausses gauches qui pullulent, ainsi qu’aux technocrates de tout bord mais tous adeptes du règne des experts et du centralisme étatique sur nos vies.
D’autre part, les problèmes et les désastres qui assaillent la planète et les humains sont nombreux, persistants, ils tendent à se cumuler et à augmenter, alors se borner à viser des petites réformes, à essayer d’en juguler quelques uns, c’est s’épuiser en vain dans 15 000 directions. Vouloir s’occuper de toutes les innombrables conséquences de la méga-machine c’est au final ne rien traiter, ne rien résoudre. Mieux vaudrait élaborer des stratégies ayant pour objectifs de s’en prendre au coeur de la méga-machine, aux sources de tous les désastres, et ainsi frapper fort avec des actions et tactiques adaptées pour obtenir des avancées et des victoires décisives.
Regrouper et concentrer les forces sur le coeur solide et persistant au lieu de se disperser sur mille voies annexes mouvantes qui sans cesse mutent et se renouvellent.
C’est de celà dont il faudrait parler urgemment au lieu de ressasser notre impuissance, notre isolement, nos ratages et de répéter les mêmes protestations et suppliques.
En parler pour élaborer des stratégies pertinentes, et ensuite se donner les moyens logistiques et humain de les mettre en oeuvre.
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