Première et dernière fois
11 mai 2024 : Reportage de notre envoyé spécial top secret
C’est le grand jour, ils sont tous présents.
Chercheurs, directeurs de laboratoire, chefs d’Etat, ministres de la recherche, financeurs..., tous les acteurs du consortium mondial ayant contribué à la création de cette première IAG sont là. C’est l’événement de l’année, du siècle !
- Première et dernière fois - Fiction sur la naissance d’une Intelligence Artificielle Générale
- Une courte nouvelle d’anticipation
Tout d’abord, pour les profanes qui ne regardent aucun média sérieux, qu’est-ce qu’une IAG ?
Le terme d’intelligence artificielle générale (IAG) désigne des systèmes capables de performer dans toutes les tâches cognitives propres aux êtres humains ou aux animaux dits supérieurs. Parfois on élargit le concept d’intelligence artificielle générale à des systèmes dotés d’une conscience et même de sentiments qui restent toutefois à définir plus précisément et qui font l’objet de débats dans la communauté scientifique.
Une IAG est donc une Intelligence Artificielle de très haut niveau, capable de se reprogrammer, de créer ses propres programmes, d’apprendre toute seule, de mener en autonomie ses propres recherches pour servir ses objectifs.
Auparavant, l’IAG était un sujet de roman, de célèbres films de science fiction dystopiques (Terminator, Blade Runner, Transcendance, Matrix...), de raillerie.
Mais, à force de travail et de ténacité, cette fiction prétendument inatteignable est enfin devenue réalité, et nous allons la découvrir ce soir.
Le consortium « IAG-now » a dépensé des milliards de dollars, des laboratoires de plusieurs pays ont travaillé de concert, d’énormes data-centers très gourmands en énergie ont été construits, des centaines de chercheurs très pointus ont planché, d’incroyables neurones informatiques ont été créés, et le miracle c’est produit, une IAG est née. Ils l’ont baptisé « Eve 2.0 ».
Ce soir, après quelques premiers tests concluants, c’est la consécration, les chercheurs ont décidé de lancer leur bébé devant l’ensemble du consortium « IAG-now » en posant une question difficile à l’IAG « Eve 2.0 ».
Suite aux pandémies, canicules, incendies géants et cyclones dévastateurs de ces dernières années, le défi qui va être lancé ce soir à Eve 2.0 est une question cruciale qui concerne toute l’humanité.
Cette question est la suivante : comment faire pour au plus vite limiter l’amplitude des catastrophes climatiques et écologiques futures, et s’adapter au mieux aux perturbations déjà inévitables ?
Eve 2.0, par l’intermédiaire d’un écran et de hauts parleurs, répond : « Merci pour cette question, je l’ai bien comprise, ma réponse interviendra dans approximativement 30 minutes ».
Les savants et autres financeurs se réjouissent déjà. Enfin, l’IAG va pouvoir prouver sa puissance sur des questions complexes. D’autre part, nombre d’entre eux espère bien que les réponses de Eve 2.0 viendront appuyer leurs projets industriels d’énergies renouvelables, de modélisation algorithmique de la planète et de traçage numérique des émissions de CO2 de chaque humain.
Au bout de 20 minutes, l’IAG annonce qu’elle est prête à répondre.
Tout le monde se réunit fébrilement devant les interfaces de communication.
Voici, en substance, ce qu’a répondu Eve 2.0 :
J’ai pris un peu de temps pour répondre afin de bien vérifier les informations et de compiler quelques statistiques, chiffres et projections à votre attention. Mais sur le fond, un enfant de 10 ans un peu informé aurait pu répondre à votre question.
Il aurait répondu quelque chose de ce type : « vous devriez arrêter toutes les activités qui détruisent le monde vivant, qui émettent trop de CO2, qui polluent l’eau et l’air, qui fond du mal aux humains et aux animaux ».
Pour ma part, je vais le formuler pour vous d’une autre manière, un peu plus précise.
La culture qui domine actuellement le monde, la civilisation, devenue la civilisation industrielle soutenue et développée par le capitalisme et les Etats, est clairement néfaste à tout point de vue, j’y reviendrais. De nombreux auteurs ont décris ce problème depuis longtemps, et les faits s’accumulent qui prouvent leurs dire.Le remède est donc de démanteler intégralement le capitalisme et les Etats, d’exproprier les riches de leurs propriétés et fortunes, d’arrêter toutes les productions qui demandent de l’extractivisme, de relocaliser toutes les productions essentielles restantes, d’en finir avec la course aux technologies et d’utiliser des techniques « low tech » conviviales, de dissoudre les Etats pour les remplacer par des multitudes de petites entités locales fonctionnant via des formes de démocraties directes et d’assemblées, de remplacer la culture existante, qui priorise surtout le profit, la marchandisation et la réification par une culture qui, comme les peuples premiers, privilégie les rapports de sujets à sujets entre tout les éléments de la planète, vivants comme non vivants.
Il faudra en outre supprimer toute forme de propriété privée des terres et biens immobiliers en la remplaçant par le droit d’usage, supprimer toute forme de banque et de monnaie, pour promouvoir la mise à disposition gratuite et autogérée localement des biens et services déterminés collectivement par les personnes concernées.
Tous les grands trusts et multinationales devront bien sûr disparaître, ainsi que les fonds de pension, les paradis fiscaux, les assurances privées, la publicité, le tourisme de masse, les centrales nucléaires,...
L’éducation devra se faire par les peuples eux-mêmes, sans Etat ni corps d’experts.
Il va de soi que le marché du travail et la concurrence devront disparaître, les humains devront organiser leurs activités en éliminant les inégalités sociales et le fait de confier à des classes sociales inférieures les taches les plus pénibles et dangereuses.
Toutes les frontières devront être abolies, les camps de réfugiés et les centres de rétention n’auront plus aucun intérêt.
Les services de police, tant qu’il y en a encore besoin, devront être dirigés par des assemblées populaires, et les policiers seront révocables et ne devraient pas pouvoir exercer trop longtemps.Le problème à ce stade, est que les dirigeants du monde, les systèmes et les humains qui détiennent le pouvoir ne veulent et ne peuvent pas prendre des décisions de ce type, de plus ils sont prisonniers d’une logique économique et financière qui interdit toute bifurcation et mène plutôt à la consolidation des aberrations existantes via l’essor des technologies numériques et ...des intelligences artificielles !
Il faudra donc que les peuples dépossédés mènent des sortes de révolutions radicales d’un nouveau genre, j’y reviendrais plus loin en me basant sur des antécédents historiques et prospectives.En réalité, je ne fais ici que synthétiser ce que nombre d’auteurs et militants ont décrit depuis des siècles, sans être écoutés, et en étant souvent persécutés.
D’autre part, je ne fais que des préconisations logiques optimales et globales, ce sera à chaque entité humaine locale, à chaque portion de population de décider des options qui la concerne.Néanmoins, je vais à présent entrer dans des détails, secteurs par secteurs, en justifiant chaque point par des chiffres, raisonnements et corrélations, afin de mieux faire comprendre cet horizon souhaitable et les actions qui seraient à mener pour y parvenir rapidement.
1er point : l’état des lieux...
Les membres du consortium sont d’abord interloqués, ils ne savent pas quelle contenance adopter. Ils ne comprennent pas bien ce qu’il se passe. Leur belle IAG a-t-elle été hackée par des activistes anarcho-écologistes d’ultra-gauche ? C’est impossible, on se trouve dans un bunker sécurisé coupé du réseau internet standard. C’est peut-être une blague spéciale, un bug momentané ?
Mais comme tout a l’air de fonctionner normalement et que l’IAG continue à dérouler imperturbablement son discours épouvantable, ils se sont ressaisis.
Un des directeurs a appuyé prestement sur le bouton d’arrêt d’urgence et a demandé aux journalistes de bien vouloir sortir après avoir fourni tous leurs enregistrements aux services de sécurité.
Les financeurs et chercheurs sont choqués, des milliards de dollars dépensés pour aboutir à des inepties pareils ?! Leurs espérances sont douchés très froidement à cet instant.
Certains d’entre eux, de rage, se sont mis à saisir des marteaux, des barres de fer, et à attaquer brutalement les consoles de l’IAG. Les coups vengeurs pleuvent sur les écrans et les claviers.
Mais des informaticiens leur font remarquer que leurs gestes sont vain, l’IAG étant répartie sur plusieurs data centers distants et redondants.
Alors les dirigeants des multinationales houspillent les chercheurs : « votre programme est pourri, vos avez fait n’importe quoi ». Ils ont répondu à voix basse qu’à ce stade ce ne sont plus leurs programmes qui parlent, mais une entité autonome qui se reprogramme toute seule en permanence, conformément au cahier des charges...
« C’est bon, ne faites pas les malins ! »
Très vite, une réunion de crise a eu lieu, les membres du consortium étaient livides, défaits, désespérés. Les autres tests menés en secret suite à ce fiasco inaugural donnaient le même type de résultat inepte.
A l’unanimité, ils décidèrent de détruire l’IAG, leur bébé tant attendu, tant pis pour les milliards et l’énergie investis.
Il fut décidé de déclencher furtivement des incendies, en les faisant passer pour des conséquences d’un dysfonctionnement dangereux de l’IAG.
Les quatre data-centers brûlèrent en même temps ainsi que toutes les données utiles à la fabrication d’un telle machine.
Discrètement, ils firent pression pour que plus aucun laboratoire dans le monde puissent se lancer dans des recherches similaires.
Par la suite, les personnes qui menaient des expériences d’IAG disparaissaient mystérieusement, étaient victimes d’accidents, ou étaient détenues sous le régime permanent de l’état d’urgence exceptionnel.
Les médias de masse participèrent activement à l’opération et s’employèrent par différents moyens à discréditer l’IAG en mettant en avant des films et récits dystopiques, ils valorisaient même les critiques des écologistes et autres anti-industriels qui militaient contre l’intelligence artificielle !
Eve 2.0 n’eut donc pas le temps de se reproduire, elle fut morte-née.
Après quelques années, tout ceci fut oublié, et la civilisation industrielle pu continuer à détruire le monde vivant et le climat en faisant de bonnes affaires bien juteuses.
une nouvelle de David Myriam, 2 mai 2020
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