Pourquoi nous vend-on, quand les media daignent le faire, une guerre civile au Soudan, 3e plus grand pays d’Afrique, là où il n’ y a, en réalité que des civils pris entre deux armées, la guerre de l’armée contre les civils ?
Peut-être parce que le Soudan a mené une révolution exemplaire et pacifique, par la désobéissance civile et une organisation sans faille fruit d’une intelligence politique rare, pendant sept mois, jour et nuit, du 15/12/2018 au 25/10/2021.
Il y aura eu peu de répit pour le peuple soudanais entre l’indépendance arrachée à l’empire britannique en 1956 et le coup d’état du général Omar Al Bachir en 1989, s’autoproclamant « chef du commandement révolutionnaire pour le salut national » et décrétant la loi islamique en 1991.
En 30 ans de régime dictatorial et théocratique, il aura mené trois guerres, aux côté de ses fidèles généraux Abd Al Fattah Al Burrhan et Mohammad Hamdan Daglo surnommé « Hemmetti » (2003, 2009 et 2011), visant principalement les mêmes populations de l’est et du sud du Soudan, prétendument « peu arabisées » et amené la Cour Pénale Internationale à l’accuser de crimes contre l’humanité et de génocide.
Après deux tentatives de révolution avortées dans le sang en 2012-2013 et 2018, 9 millions de soudanais (soit presque 1/5, le Soudan compte 51 millions d’habitants) ont afflué vers Khartoum en 2018 pour manifester pacifiquement et faire des sit-in devant le siège de l’armée, face aux militaires et à leurs fusils.
Manifestation à Khartoum pendant la révolution
Ils, et surtout elles, se relevaient pour occuper la place, s’organisaient avec des repas solidaires, des cours pour les enfants des rues, trouvaient de nouveaux modes de solidarité et de création (poème, fresque, chants), dans un élan formidable et beau - il suffit, pour s’en convaincre de voir le merveilleux documentaire « Soudan, souviens-toi » de Hind Meddeb, 2025-, réfléchissaient et définissaient un gouvernement civil, démocratique et laïque.
Ils prônaient la laïcité et l’égalité entre les sexes. La fin du « tribalisme » ou opposition systématique entre tribus ou ethnies dévalorisées sous prétexte de leurs langues ou cultures (du Darfour, à l’est, région très riche en minerais rares- au Kordofan, au sud, région riche en pétrole et en or). Ils imaginaient la fin de l’islam politique...
Affiche du documentaire de Hind Meddeb, "Soudan, souviens-toi !", 2025. Actuellement en salle. © Hind Medddeb
Imaginez ce pays, "le grenier de l’Afrique" comme disaient les colons britanniques, presque 3,5 fois grand comme la France, se réapproprier ces ressources : ses mines d’or du sud au nord, ses cultures fertiles le long des deux Nils, ses minerais rares, son pétrole et reprendre le contrôle de l’accès à la Mer Rouge avec Port Soudan – principale route maritime pour les porte-conteneurs, indispensables à l’économie mondialisée. Impensable !
Frontalier avec 7 pays, dont certains membres de la francophonie (Egypte, Lybie, Tchad, RDC, Congo, Ouganda, Kenya, Ethiopie, Erytrée), membre le la Ligue Arabe, ce peuple aurait donné de très mauvaises idées à l’Afrique de l’est, puis de l’ouest, au Maghreb et enfin au Moyen-Orient.
Qu’adviendrait-il des anciennes puissances coloniales ainsi que des nouvelles sans cet « équilibre » acquis au détriment des soudanais ? Que feraient l’Europe, les USA, la Turquie, l’Iran, Israël, la Chine, la Russie et les pays du Golfe sans cette Afrique là, sans une conception du pouvoir totalitaire, une hyper-religiosité, une société militarisée et un réservoir presque infini en ressources agraires, minérales et humaines ?
C’est cette Afrique, et cette conscience panafricaine que célébrait le refrain de la chanson d’Ibrahim Al Kachif : « Je suis africain, je suis soudanais ! », reprise lors de la révolution.
Djebbel Marra, dans la région du Darfour, loin du cliché désertique omniprésent dans nos media, luxuriant et riche.
Djebbel Marra, dans la région du Darfour, loin du cliché désertique omniprésent dans nos media, luxuriant et riche.
Alors que les révolutionnaires avaient renversé Omar Al Bachir, en avril 2019 et continuaient leur occupation pour s’assurer d’une réelle transition vers un pouvoir civil, laïque et démocratique, le 3 juin 2019, jour de la fête de la fin du Ramadan, l’Aïd, l’armée a attaqué, blindés et canons, et massacré par centaines des familles puisque c’était jour de fête. Les plus riches avaient reçu la consigne de rester chez eux, ce soir-là.
S’accrochant à la promesse obtenue de l’armée d’Al Burrhan et Hemmetti de constituer un gouvernement de transition en deux phases, d’abord 3 ans avec alternance de pouvoir civil et militaire puis un gouvernement exclusivement civil avec une armée à ses ordres, les rescapés ont attendu.
Et ce ne fut pas vraiment une surprise lorsque, le jour de la prise de pouvoir des civils au gouvernement, le 25/10/2021, le général Al Burrhan et son second, Hemmetti firent un coup d’état. Il semble que le partage du pouvoir entre les deux a posé problème, offrant le prétexte de la guerre à venir... Guerre entre deux petites rapacités qui en servaient de plus grandes.
Mais les contestataires sont revenus dans la rue, même après des séjours en prison, même après la torture et le deuil de celles et ceux qui avaient fini dans le Nil pour réclamer la « Madanya", le pouvoir aux civils, la démocratie.
Intéressant de constater que l’un des deux généraux "rivaux" à présent, ex-meilleurs amis du monde lors des génocides qu’ils avaient commis pendant les 2 guerres précédentes, Hemmetti visitait fréquemment son ami Poutine pour échanger son or contre des armes. Poutine s’était vu geler ses avoirs avec le déclenchement de la guerre en Ukraine et avait donc besoin de liquidités.
Autre fait à connaître - et qui justifie le terme de guerre d’occupation - 75% environ des terres du Soudan (Cf liens) sont aux mains des Emirats Arabes Unis et du Qatar après meurtres et déplacements forcés, par les milices - dont les Forces de Soutien Rapide (FSR, loyales à Hemmetti) et la milice Wagner.
Lesquelles forces viennent en soutien au Yémen dans le conflit qui l’oppose à l’Arabie Saoudite aux côtés des Emirats Arabes Unis, qui financent tout ce beau monde, tout en s’assurant ainsi le monopole des transports internationaux de marchandises qu’ils « sécurisent » (Cf liens). L’Arabie Saoudite soutient donc l’autre général, Al Burrhan et ses « forces armées soudanaises"(FAS). Et la France (2e pays vendeur d’arme) vend les logiciels qui permettent aux armes des uns et des autres de fonctionner. Voici quelques enjeux.
PAS UN PAYS, de « ceux qui comptent », N’EST ABSENT DE CE CONFLIT.
Et l’on parle de guerre civile : non c’est une guerre contre ces civils qui voulaient un vrai régime démocratique laïque et démilitarisé, à qui il fallait arracher tout ce qu’il leur restait après des mois à attendre le jour où le gouvernement serait entièrement civil : l’espoir.
Plus qu’une solution : la guerre. Les tuer, les piller, les violer, les affamer, les torturer, les priver d’eau, de nourriture, d’éducation, de médicaments - l’aide humanitaire est presque totalement interdite ou confisquée et les connexions aléatoires depuis le début de la guerre, pour effacer jusqu’au souvenir de leur espoir.
Ces lycéennes et lycéens, mort.e s en martyr.e.s, deux générations perdues, un "futuricide" pour que plus jamais les soudanais ne tentent une quatrième révolution.
CETTE GUERRE EST SELON L’ONU LA PIRE CRISE HUMANITAIRE ET DE DEPLACEMENT DU XXIe , posez-vous la question : au delà du prisme ethno-centré, POURQUOI ? Pourquoi tous ces pays s’impliquent à tous les niveaux, dans un silence qui en dit long, pour satisfaire l’avidité de deux sinistres guignols ?
Voici le bilan de cette guerre selon un rapport de l’ONU (Cf lien) en mai de cette année :
Je suis française et je repense à Hugo « Le cadavre est à terre mais l’idée est debout », nous nous devons de porter cette idée en démystifiant les mensonges qui légitiment ce silence bienvenu pour toutes les puissances mondiales : NON, ce n’est pas une guerre civile mais une révolution assassinée."ﻗﺪام ! " (En avant !) ;