Pour une presse sauvage, un coup d’état d’esprit - Réinvestir physiquement l’espace public

Face à l’urgence environnementale et sociale, que peut le débat public ?

jeudi 23 juillet 2020, par Camille Pierrette.

Voici deux textes intéressants et pertinents qui parlent du rôle des médias et de l’espace public dans la vie politique et la subversion.
A méditer pour les journaux locaux comme Ricochets et autres fanzines drômois.
Une invitation à quitter les réseaux dits « sociaux » et à réinvestir par divers moyens l’espace public, lieu des véritables rencontres et échanges politiques entre corps et esprits vivants, loin des « débats publics » des élus et de la dissolution dans les algorythmes de facebook and co.

ÉLOGE DE LA PRESSE SAUVAGE

- le 1er : ÉLOGE DE LA PRESSE SAUVAGE - Une mise en commun des mondes et des singularités qui habitent le territoire

- extraits :

Mais tout ce qui se fait officiellement peut se faire sauvagement.
L’habitat comme la presse.
Je voudrais vous parler de presse sauvage.

D’une presse qui dit : « L’intéressant c’est nos vies. L’exceptionnel est ici. La magie se rencontre au coin de nos rues.

Près d’un siècle de compromis social-démocrate nous a conduit à nous positionner vis-à-vis de l’État, pour sa prise ou sa destruction — nous a conduit à faire de l’État le centre d’une dialectique devenue inopérante. Nous voilà pris dans un éternel dialogue avec un ennemi qui ne nous reconnaît pas officiellement et pour qui nous n’existons qu’en tant qu’image dans les dossiers de presse ou de police.

ils ont rangé nos vies dans la case faits divers des journaux à grandes audiences. Les informations qu’ils nous font parvenir passent lointaines et sans grand impact sur l’existence que nous menons.
Faire de la presse sauvage c’est partir de nos vies directement-vécues, dire par la langue de nos usages « non. Ceci n’est pas un terrain vague. C’est une plaine de jeu pour nos enfants et un refuge pour les oiseaux. »

Un territoire en lutte, ce n’est pas seulement l’organisation contre un projet néfaste et inutile comme à la ZAD d’Arlon. C’est aussi un territoire dont les habitants tendent à maintenir ou à créer du commun. Comme un magasin gratuit ou un potager collectif ravissent un peu de la puissance de la grande distribution ; faire de la presse sauvage revient à ôter un peu de capacité de déformation aux médias classiques.

La multiplication des journaux sauvages et la mise en réseau de ceux-là dessinent les possibles contours d’une puissance commune, d’un Pays nouveau au cœur de l’ancien.

D’un Pays dans le pays.

Mais un tel journal ne devient sauvage que s’il se donne une ligne éditoriale et une éthique différente du média-marchandise.

La liberté de son prix, ou, mieux, sa gratuité peut être une condition, certes. Mais ce n’est là qu’une concession faite au monde de l’économie. Il importe surtout qu’il soit co-construction, mise en commun des mondes et des singularités qui habitent le territoire. Que l’absolu respect des formes de vies qui y participent pousse son comité de réception à limiter la censure. À la circonscrire aux cas précis de mise en danger d’ami.e.s., d’insultes trop évidentes ou de dégueulis de ressentiments.

Qu’une absolue liberté de ton y soit garantie. Sinon notre journal sombrera pour ne devenir qu’un énième feuillet militant, affolant et démobilisateur par la répétition — assenée jusqu’à la nausée — des constats sur le désastre en cours.

S’il convient de penser stratégiquement l’usage d’internet ; il convient aussi de penser comment ne pas se retrouver démuni et sans voix dès lors qu’il nous sera retiré. Il se pourrait que le format papier recouvre bientôt son caractère subversif et qu’avec lui la presse sauvage devienne pour nous non plus une stratégie, mais une nécessité.

Ce texte est une contribution aux mondes d’après.

Pour une presse sauvage, un coup d’état d’esprit - Réinvestir physiquement l’espace public
Fuyons les débats publics abstraits et les espaces marchands des GAFAM toujours réintégrés dans le libéralisme

Face à l’urgence environnementale et sociale, que peut le débat public ?

- Le 2e : Face à l’urgence environnementale et sociale, que peut le débat public ? - Mobilisation citoyenne, campagne de communication, désobéissance civile, action non violente : ces formes de politisation qu’adopte la société civile ne sont-elles pas en même temps des symptômes d’impuissance à investir cette structure de pouvoir qu’est le « débat public

- extraits :

Et que faisons-nous de l’espace public comme topologie du singulier, de la politisation et de la production de l’imaginaire, comment pouvons-nous nous en emparer par l’art dans des formes à inventer ou à réinventer, le soustraire, pour un temps, à l’ordre capitaliste et l’intérêt privé et lui redonner le souffle créatif dont le possible a besoin pour être imaginable ?

Le plus grand tour de force opéré par l’intérêt privé sur l’espace public a été de retirer jusque dans nos imaginaires la réalité de son existence physique et ainsi circonvenir le sens même de ces deux mots.
Aux surfaces horizontales mesurables dans leur longueur et leur largeur, aux volumes communs pouvant accueillir le rassemblement des corps, effectuant par leur présence et leurs échanges une fonction démocratique historique, essentielle et légitime, a été substitué une notion virtuelle et abstraite invisibilisant sa propre réalité physique : le débat public.

Or, à ces espaces communs et réellement publics, le capitalisme préfère d’autres espaces pour le « débat public », dont les caractéristiques induisent des comportements complètement différents : les écrans, les haut-parleurs, les panneaux d’affichage, régis par l’intérêt privé.
Tous, nous possédons notre propre téléphone ou ordinateur, nos propres écouteurs ou enceintes, notre propre clavier ou tablette, mais nous ne le possédons que parce que nous les avons achetés : aucun de ces espaces n’est commun, aucun ne peut se constituer en espace public réel. Il s’agit d’une multiplication des espaces privés et c’est seulement par la narration publicitaire qu’ils peuvent être constitués dans nos esprits comme des espaces publics.

La propriété privée détient donc aujourd’hui le monopole quasi absolu des vecteurs de la politisation. De fait la politisation en général et le militantisme en particulier peuvent aisément être convertis en produits marchands et ainsi s’inscrire dans des logiques de performance économique – indépendamment de la subversion du message – et être ainsi neutralisés dans leur capacité à établir un rapport de force.
À grand renfort d’intelligence artificielle et de puissances de calcul qui croissent de manière exponentielle d’année en année, les messages subversifs diffusés sur les réseaux sociaux permettent de dresser d’une part une cartographie sociologique des acteurs de leur diffusion et d’autre part, un lexique et une grammaire des messages subversifs. On les retrouve depuis quelques années, détournés par l’intérêt privé dans la publicité, les contenus et modes de communication des partis politiques inféodés au néolibéralisme et la production de contenus mensongers – fake news – utilisés dans une guerre de l’information qui détruit à une vitesse inquiétante le rapport qu’entretien notre civilisation à la notion de vérité telle qu’elle l’a elle-même constituée depuis deux millénaires.

Je voudrais avancer ici la thèse que pour établir un rapport de force réel, les formes de politisation doivent nécessairement en passer par l’espace public et non par le « débat public », et qu’en matière d’espace public, chaque mètre carré, chaque mètre cube d’espace commun soustrait à la logique de la performance économique compte plus que leur équivalent mesuré en surface cumulée d’écrans de téléphones portables ou de décibels de casques audio. Une heure passée à soustraire une place, une rue, une salle à la propriété privée afin d’y rassembler des corps, où mettre les corps présents en situation d’être exposés à des formes de politisation porte plus de puissance de subversion qu’une année de campagne publicitaire sur les réseaux sociaux portant le même message.

les messages subversifs ou militants diffusés sur les réseaux sociaux permettent aux GAFAM d’opérer une analyse toujours plus fine de la psyché collective, dont la finalité n’est autre que de renforcer l’hégémonie du néolibéralisme à l’échelle planétaire.

Les émotions naissent de la stimulation de nos sens et c’est pourquoi il est essentiel que les structures militantes se concentrent sur la récupération de l’espace public hors de toute logique de performance économique. Payer une régie publicitaire pour faire passer un message politisant, même sur des panneaux d’affichage dans l’espace public ne fait que renforcer la légitimité de ces modes de diffusion et transforme le message en produit marchand : La performance économique des réseaux sociaux dépend largement du degré de confiance et de légitimité perçue dont ils bénéficient, mais aussi du temps d’attention qu’ils peuvent mettre à disposition des annonceurs. Les contenus publiés sont en permanence soumis à l’analyse de puissances de calcul considérables afin de prédire leur capacité à créer des audiences attentives aux contenus des annonceurs.
Un.une militante anticapitaliste, un.une chargée de plaidoyer dans une ONG de défense des droits humains, un.une chercheuse en sciences sociales analysant les effets dévastateurs de l’accaparement des terres dans les pays en voie de développement est non seulement une consommatrice comme une autre pour autant que l’on sache très précisément quel produit créer pour répondre à ses attentes, mais chaque diffusion de messages militants offre aux GAFAM une opportunité d’affiner une cartographie de l’espace social utilisée pour neutraliser la subversion en l’intégrant à l’espace marchand.

Diffuser du contenu militant sur ces plateformes contribue à créer des audiences sensibles aux contenus militants auxquelles des annonceurs privés pourront dès lors proposer des publicités construites sur des éléments de langage militants. Par ce mécanisme, le militantisme, quel que soit le message qu’il porte, peut être transformé en produit marchand contre son gré et se voir dépossédé de sa force de résistance.

Pour continuer à dérouler cette intuition, je crois qu’atteindre à la radicalité dans la résistance aux structures idéologiques néolibérales induit de repenser radicalement les modes de politisation du corps social. Pour que les structures militantes gagnent en influence, elles peuvent subvertir le système de marchandisation des idées subversives en évitant d’entrer dans la catégorie du « débat public » et en se concentrant sur la récupération de l’espace public dans des formes qui nient la performance économique.

Toute personne présente lors de plusieurs actes sur le terrain et en différents points attestera de la vitesse spectaculaire à laquelle les GJ se sont politisés, sortant souvent d’une culture du « débat public » passive et isolante à un espace public riche et intense en échange autant d’idées que d’affects les accompagnants, et constitutif d’un champ de catégories d’expériences où le commun embrasse tant le singulier que la multiplicité.


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