Pont aérien Hong Kong/Barcelone - Bulletin N°2

« Aujourd’hui le régime est fini. Parce que ce monde a pris fin. L’insupportable légèreté avec laquelle l’insupportable vit en nous apparait avec le poids extrême que depuis toujours nous trainons. »

dimanche 3 novembre 2019, par janek.

Dans la continuité de notre article de la semaine dernière à propos du soulèvement catalan, des amis nous ont transmis ces très belles méditations depuis les rues de Barcelone.

Nous autres, nous ne souhaitons des honneurs, seulement figurer dans la postérité de l’histoire des cataclysmes.
Le Grand Jeu

Ruines

L’Espagne est une ruine. Le vent parcourt le vide laissé par les Grands d’Espagne. Nous avons été saccagés comme le veut la tradition par toutes les générations de gouvernants, par chaque génération de négociants et d’escrocs. Seulement brisées, les Espagnes peuvent s’essayer à une recomposition à la hauteur de son art et de ses fêtes. Hong Kong, Chili, Equateur, Haïti, Liban et la France des Gilets jaunes montrent que l’ordre qui gouverne est lui-même une ruine. Une ruine féroce, qui protège ses bulles de savon comme si elles étaient des diamants.

Consejo de Tumultos

Au XVI siècle éclata aux Pais Bas une révolte contre la Couronne d’Espagne. Ce qui était exigé était la liberté de culte. Pouvoir se convertir à la religion protestante. En 1556, Philipe II envoya le Duc d’Alba pour mater la sédition. Il installa un régime de terreur et de répression sous le signe d’une institution appelé le Conseil des Troubles, qui n’était rien d’autre qu’un tribunal d’exception. Aux protestations face à l’arbitraire, Fernando Alvarez de Toledo, le duc, répondit : « tan mieux, si certains meurent par erreur, ils deviendront des martyres et iront tout droit au ciel ». Le Prince d’Orange dressa alors sa divise « Je demeurerai » (No cejaré), et initia sa campagne contre les gueux de la mer, des gens du commun qui se se livraient à des incursions éclairs dans les canaux avant de se disperser. L’empire espagnol dut faire face à quatre-vingt ans de guerre, perdit ses territoires et commença à s’écrouler. Aujourd’hui, l’Espagne veut reproduire sa stratégie de terreur et de répression.

Tout Bloquer

Telle a été l’intuition première de la révolte catalane. Le blocage de l’aéroport a montré à ceux qui ont voulu le voir le caractère illusoire de la normalité. Les blocages des rues, des routes et lignes de train s’étendent dans tout le pays. Autant de lieux de rencontre et d’élaboration, d’ingéniosité des corps et de barricades. Pendant cette deuxième semaine tout continue à s’inventer. Ce sont déjà deux troncs d’arbres posés sur les voies de trains, comme des simples crochets sur de caténaires bloquèrent il y a longtemps la circulation des TGV en Allemagne et en France.

Nous n’attendons rien maintenant que tout commence

Ce sont des gamins qui font avancer la révolte pour tout le monde. « Nous n’avons plus des sourires ». « Maintenant nous faisons face, nous ne voulons plus déguerpir ». « Nous sommes là pour chaque coup qu’ont reçu nos grand-mères ». « Ce que nous faisons c’est de l’auto-défense. Notre envie de changer le monde est plus grande que la peur chevillée à nos corps ». Pendant cette deuxième semaine ont commencé les blocages et occupations de nombreuses universités. Certaines sont tombées face à des groupes d’extrême-droite et des étudiants civiques. « Nous demeurerons ». Celles qui tiennent sont devenues des bases pour intensifier les circulations et les rencontres.

Partager la révolte

Comme partout, les revendications qui ouvrent le conflit ne résolvent pas tout. Que sont trente centimes de plus ? Et un Etat de plus ou de moins ? Ce sont les goutes qui comblent le verre d’une réalité qui n’est plus capitaliste. Le débordement commencé, ce sont les forces présentes qui déterminent l’ouverture de la situation. C’est-à-dire, le sens de ce qui a lieu et de ce qui est interrompu. La vie qui s’ouvre dans la révolte non seulement brise la normalité, mais elle en finit avec la séparation et l’indifférence qui nourrissent la souffrance qui nous habite. Maintenant que tout commence, c’est le moment de maintenir et étendre les liens qui se sont embrassés derrière les barricades. Chacune et chacun de nous partage, les yeux pleins de lumière, le désir de tout changer tout en construisant des ponts. Et c’est déjà prêter attention à ce qui se fait : les liens d’amitié, aussi bien au sein des forces anonymes qui prennent les rues qu’entre les vies qui s’entrelacent dans les groupes qui partout s’organisent.

Comités locaux

Certains auraient voulu que la révolte fut l’affaire du peuple catalan. Idée romantique et bourgeoise du XIXe siècle. Dans toute révolte il y a des fragments de peuple. Et ce sont des fragments de plus en plus massifs et déterminés qui ouvrent des brèches dans la normalité et qui renversent la table du jeu. Casser la table de jeu, balayer la béatification de la misère que sanctionnent les flics des gouvernements catalan et espagnol. Ce sont les comités de défense locale, les CDR et les groupes organisés dans les quartiers et les villages qui ont l’initiative. Aussi dispersés et inconsistants qu’ils puissent paraître, c’est dans chaque lieu où l’imagination politique déborde les gouvernements qui ne peuvent rien devant des millions de corps organisés. Nous ne sommes pas seules. Toute la souffrance et toute la tristesse qui déchire notre existence lance un cri pour tisser des alliances et pour se défendre.

Destitution. Penser, combattre, construire

Rosa Luxemburg disait que ce n’est pas la grève générale qui créé la révolution mais la révolution qui entraine avec elle la grève générale. Parce que toute révolution est un processus qui a son propre temps, jusqu’à ce qu’il devienne perceptible dans une époque donnée. De même pour le processus destituant qui sera la sortie à la catastrophe écologique et existentielle de ce monde. Nul futur stable nous attend. La destitution de l’état des choses présent n’est pas seulement destruction. C’est en même temps l’éclosion de nouveaux lieux, la création de formes. C’est un processus qui construit. Dans les révoltes contre ce monde, qui se déplacent de pays en pays, qui s’élancent de ville en ville, le processus destituant demeure ouvert. La destitution veut dire aussi construire des perceptions partagées sur ce qui n’est pas, dans sa possibilité : tout ce que nous avons vu ces jours-ci , tout ce que nous pouvons imaginer contre l’administration totalisante qui gouverne la poursuite du désastre.

Tout le monde déteste la police

Partout, la police se lève comme l’obstacle entre les révoltés et les maitres du monde. En Catalogne et à Barcelone ce fut l’évidence même pour quiconque. Se sont fissurés les réflexes de peur qui suintent à travers les télévisons et les autres machines de gouvernement. La peur de l’autre et la peur du pauvre. Tout le monde déteste la police. La police qui a éborgné quatre personnes en sept jours. Celle qui a essayé de nous écraser avec leurs camionnettes et qui y est parvenue quelques fois. Qui tabasse et nous arrête et nous enferme. La vielle tactique de Hong-Kong, être feu et être eau, brûler et repartir, être insaisissable comme l’eau et contondant comme le feu, pendant des mois, montre l’inanité de l’institution policière devant l’intelligence stratégique de milliers d’insurgés. « Nous sommes la police et faisons ce que nous voulons. Nous sommes la Loi », disaient-ils l’autre jour à une journaliste. Si la police c’est la loi, la révolte est la force des sans nombre qui prend en main d’autres manières de vivre dans ce monde.

Aujourd’hui le régime est fini. Parce que ce monde a pris fin.
L’insupportable légèreté avec laquelle l’insupportable vit en nous
apparait avec le poids extrême que depuis toujours nous trainons
Le visage qui appelle à la révolte est anonyme.
Comme l’eau, remplir jusqu’au débordement. Et repartir.
Comme le feu, brûler soudainement, et calciner. Et s’envoler.
Encore et encore. Des milliers des corps, des souvenirs, des êtres partis.
Encore et encore chaque jour est une fête. La fête
est l’insurrection des corps, des regards, des présences. Compter sans compter.
Car l’insurrection face au collapse est la seule fête possible.
Qu’arrivera-t-il après ?
Après ce fut hier.
Demain c’est la pure confiance
dans la vie en commun et ordinaire qui brûle à fleur de peau
lorsque je vous serre dans mes bras.

Voir en ligne : https://lundi.am/Pont-aerien-Hong-K...


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