L’autre jour, je zonais au bord de la rivière, sans masque ni papiers d’identité.
Il devait être autour de 18h et le soleil se couchait tranquille dans son coin. Des merlettes joyeuses sifflotaient innocemment dans l’air doux et les arbres bourgeonnants en ignorant copieusement le couvre-feu.
En regardant l’eau verte s’écouler vers la mer, il m’est venu quelques vers libres sans prévenir. Je les ai couchés sur un billet de banque, je n’avais que ça, je l’allais pas risquer d’abîmer ma peau de pêche.
La narratrice de cette poésie tranchante semblait plutôt en colère, elle avait la rage.
Elle rêvait de voir s’effondrer des usines et de sentir le souffle de centres de cloud en feu par centaines.
Elle jouissait d’imaginer le siège social d’une quelconque multinationale en train d’exploser bruyamment ou d’admirer des antennes relais en train de se tordre sous une pluie acide.
Elle espérait voir un jour l’économie à l’arrêt, la bourse en panade et les avions tous cloués au sol par des météorites ou des drones kamikazes.
Elle imaginait E. Macron et B. Arnault s’étouffer de rage devant la déroute des forces de polices débordées par des émeutes géantes, tandis que des sorcières bottaient le cul des machos et des dictateurs de tout poil.
Elle faisait dérouler dans sa tête des tas d’autres images plus délirantes encore, des visions violentes et libératrices que je me garderai bien de vous rapporter ici.
C’était terrifiant, et terriblement excitant.
En relisant au son de l’eau torrentueuse ce poème cru venu d’on ne sait où, pour on ne sait qui, je me suis dit qu’il était peut-être bon mais que je ne pourrai décemment pas le montrer, même pas sous le manteau en mode codé facon hiéroglyphes.
Si ce poème tombait en de mauvaises mains, relayées par un corbeau de l’autre camp, immédiatement le préfet ou son âme damnée m’enverrait le GIGN, l’hélico, un sous-marin, quelques tanks furtifs et 3 escadrons de CRS.
Car en ces jours troublés par le virus policier planétaire, le crime de pensée devient pire que tout.
Mieux vaut dévaliser une banque privée ou piller l’argent public, mieux vaut tricher aux élections ou balancer des tombereaux de pesticides à la face de la Terre, mieux vaut être ministre et mentir face caméra ou irradier un océan suite à un tsunami tueur de centrale que balancer un slam de mauvais goût aux zoreilles du pouvoir et de ses milices.
On a vu ce qu’il en a coûté au rappeur Pablo Hasél en Espagne.
Alors, j’ai fait la seule chose à faire, j’ai ravalé ma fierté et j’ai pris mon briquet. J’ai brûlé sans pitié ma petite poésie maudite et j’ai jeté ses cendres dans la rivière. En espérant qu’une sardine marseillaise ou un requin marteau ne me signaleront pas à la police maritime s’ils en lisaient entre deux eaux quelques bribes non brûlées.
Je me suis consolé un peu en me disant que même sous la loi martiale, l’état d’urgence ou le couvre-feu, la poésie ne peut pas disparaître complètement, elle brûlera toujours dans nos coeurs, elle flottera dans les airs et enflammera des âmes errantes via des fluides invisibles.
Même après notre mort ou notre assassinat, la poésie mystérieuse du monde continuera de flotter, de rebondir sur les murs froids pour s’élancer au dehors, pour respirer, libre.
- Poésie interdite et crime de pensée
- J’ai brûlé un poème maudit qui aurait pu laisser croire à une vague intention de possible apologie de probables actes illégaux imaginaires