Parc nucléaire français : état dégradé, dissimulations d’accidents en série dans des centrales nucléaires

Le système techno-industriel intègre les accidents majeurs dans ses calculs de planifications - S’adapter à ses désastres ou lutter pour sa fin ?

lundi 15 novembre 2021, par Amish and co.

Même sans évoquer les questions de fond (voir liens en PS), on voit bien que le nucléaire en France est à abandonner au plus vite.

Parc nucléaire français : état dégradé, dissimulations d’accidents en série dans des centrales nucléaires
Vu aérienne de la centrale nucléaire de Tchernobyl après le désastre nucléaire

Même Le Monde rapporte des propos très critiques sur le mauvais état des centrales, la mauvaise maintenance, et la culture de d’escamotage des accidents et incidents matériels ou humains (notamment à la centrale de Tricastin) :

A la centrale de Tricastin, différentes dissimulations et minimisations ont été mise en oeuvre pour aider à passer les examens de sûreté et la "visite des 40 ans" du réacteur numéro 1.
(...)
"si la réglementation française ne prévoit pas de durée de vie maximale des réacteurs, une partie des équipements a été conçue, à l’origine, selon une hypothèse de quarante ans de fonctionnement."
(...)
Ce non-respect des procédures semble relever de pratiques généralisées, plutôt que de situations isolées. Un responsable des ingénieurs sûreté s’inquiète auprès d’Hugo des pressions de la direction : « Les ingénieurs sûreté en ont marre que les chefs d’exploitation baissent leur pantalon pour éviter [de déclarer] des événements significatifs de sûreté. »
(...)
Dans la même note, l’ASN s’interroge officiellement sur « l’écoute de la filière indépendante de sûreté par les représentants de la direction lorsque ceux-ci doivent arbitrer le caractère déclaratif ou non de certains événements ».
(...)
Pour tenter de minimiser les écarts de sûreté, la direction de la centrale du Tricastin peut également avoir recours à l’intimidation
(...)
Au-delà de la gravité potentielle des différents incidents, ces pratiques remettent en cause le principe même de la sûreté. Le « gendarme » du nucléaire n’étant pas présent en permanence dans les centrales, le système est fondé sur le processus de déclaration par EDF et sur la transparence. « La sûreté, ce n’est pas qu’une question d’événements ou de valeurs qu’on dépasse, insiste Hugo, c’est une culture. On a tellement bien dissimulé certains incidents que l’ASN ne les a pas vus, c’est très grave. »
(...)
Cette stratégie de non-déclaration répond à un objectif : l’accidentologie, et plus précisément le taux de fréquence des accidents du travail avec au moins un jour d’incapacité de travail, est un paramètre pris en compte, avec une pondération importante, dans le classement des centrales. Un classement à soigner pour réussir la visite décennale. En 2018, le taux de fréquence du Tricastin est particulièrement bas : 2,7. Plus de deux fois moins que celui d’un secteur comme la banque et l’assurance (6,8), pourtant beaucoup moins à risque.
(...)
« Le cas de Tricastin est un très bon exemple du fait qu’il n’y a pas que les composants majeurs comme les cuves et les enceintes qui vieillissent et dont l’importance est cruciale pour la sûreté, souligne Olivier Dubois. Les défaillances peuvent aussi venir des câbles électriques, de certaines pompes ou des moteurs. Même si ces éléments sont remplaçables, il faut repérer les défaillances suffisamment tôt et être donc très attentifs aux méthodes de détection. »
(...)
Elle écrit que « la rigueur d’exploitation des centrales d’EDF est en recul » et que le nombre d’événements significatifs « augmente régulièrement depuis plusieurs années ». On peut citer le problème de la fragilité des diesels de secours face au risque de séismes : l’ASN parle d’une anomalie générique – c’est-à-dire qui peut concerner tous les réacteurs –, du mauvais état ou de mauvais montage des ancrages de ces systèmes. Or, si le diesel qui assure l’alimentation en électricité ne démarre pas, c’est l’accident grave.
(...)
Il y a aussi des phénomènes de corrosion liés à des défauts de maintenance, des tuyauteries qui se dégradent. EDF aurait intérêt à se dire qu’il vaut mieux avoir 20 réacteurs qui fonctionnent bien et ont été bien réparés, et à arrêter rapidement les autres, plutôt que de tous les laisser fonctionner au-delà de quarante ans.
(...)
Dans un rapport publié lundi 26 avril, le Groupe international d’évaluation des risques nucléaires (International Nuclear Risk Assessment Group), qui compte parmi ses membres l’ancien président de l’autorité de sûreté américaine Gregory Jaczko ou l’ex-directeur général de la sûreté nucléaire allemande Wolfgang Renneberg, affirme que les prolongations de durée de vie et l’exploitation des vieilles centrales accroissent le risque nucléaire en Europe. « Les processus de vieillissement tels que la corrosion, l’usure ou la fragilisation réduisent la qualité des composants, des systèmes et des structures et provoquent des défaillances », écrivent-ils notamment.
(...)
En conséquence, il va y avoir un décalage de calendrier des visites décennales de trois, quatre, cinq ans. Des réacteurs vont fonctionner bien au-delà de quarante-cinq ans avant de voir leur durée de vie prolongée au-delà de quarante ans.
(...)
Ni EDF, ni l’ASN, ni les décideurs n’ont suffisamment anticipé. Les responsables politiques se défaussent sur l’ASN, ils ne veulent pas entendre parler de la question de la sûreté.
La feuille de route énergétique de la France, qui prévoit l’arrêt de douze réacteurs d’ici à 2035, n’aborde pas cette question, et affirme que le principe général sera l’arrêt des réacteurs à l’échéance de leur cinquième visite décennale, soit à 50 ans. Le fait que l’on dépende complètement du nucléaire pour notre approvisionnement électrique pose un problème de fond et fait peser une pression folle sur l’ASN.
(...)
Tout le système de sûreté repose sur les déclarations d’EDF. Or, deux exemples récents ont mis à mal ce principe : l’expérience des dossiers barrés [des irrégularités et des fraudes constatées dans la forge du Creusot, en Saône-et-Loire] et celle de la cuve de l’EPR [de Flamanville, dans la Manche, dont le couvercle, jugé non conforme, devra être remplacé en 2024]. EDF signale parfois les problèmes avec du retard ou ne les signale pas du tout. Pour les quatrièmes visites décennales, il faudrait une présence permanente de l’ASN sur les sites. Il lui faut davantage de moyens humains.
(...)
Ce n’est qu’après Fukushima, en 2011, qu’il y a eu une prise de conscience du risque lié aux événements extérieurs. Tous les présidents de l’ASN ont reconnu qu’un accident comme celui du Japon pouvait se produire en France. Mais on a l’impression que ce n’est pas vraiment compris.

NUCLÉAIRE : communiqué de presse arrêt du nucléaire Drôme Ardèche samedi 13 novembre 2021

Dans un article du quotidien Le Monde daté du 13 novembre 2021, un haut responsable de la centrale nucléaire du Tricastin se déclare comme « Lanceur d’alerte » et dénonce des faits concernant la sécurité de la centrale et des manquements graves dans le suivi des accidents du travail.
L’ensemble de l’industrie nucléaire EDF, Orano, ANDRA , CEA et l’ASN sont connus depuis toujours pour leur fonctionnement basé sur l’omerta.
Cette prise de parole d’un haut responsable de la centrale du Tricastin est donc un événement important même si les faits rapportés pour l’instant étaient déjà dénoncés par les associations écologistes et antinucléaires. Elle l’est en particulier car elle montre la violence de l’institution contre celles et ceux qui de l’intérieur dénoncent les multiples manquements à la sécurité des installations.
Médecins du travail, salariés sous-traitants, inspecteurs de l’ASN ont déjà du subir les mises à l’écart, les accusations, les menaces, les procès pour avoir fait uniquement leur travail en refusant de taire des faits graves concernant la sécurité nucléaire et la santé des travailleurs. Ce témoignage est à ce titre très important car ce ne sont pas les salariés de la filière qui sont responsables mais bel et bien un fonctionnement au plus haut niveau avec, bien souvent, la complicité de l’état et de ses préfets, ses procureurs et parfois de ses juges.
Les situations dénoncées ne sont pas propres à la centrale du Tricastin. Rien que pour les 14 réacteurs de la vallées du Rhône ( Bugey, Saint Alban, Cruas et Tricastin) et pour les usines d’Orano à Romans sur Isère et Tricastin nos associations ( Arrêt du nucléaire, réseau Sortir du nucléaire, FRAPNA, Ma zone contrôlée, Greenpeace….) ont du aller en justice pour mettre en lumière les manquements à la sécurité des installations de notre région.
(...)
Arrêt du nucléaire Drome Ardèche apporte tout son soutien au cadre lanceur d’alerte, mais aussi à tout ceux, salariés sous-traitants, qui subissent la répression à la suite d’accidents du travail ou de dénonciations d’irrégularités graves. Il est temps qu’une autorité totalement indépendante soit mise en place. Il est temps qu’on mette fin à la privatisation rampante de l’industrie de l’énergie électrique. Il est temps que le secret, les mensonges soient dûment sanctionnés à la centrale de Tricastin mais aussi dans l’ensemble de la filière.

Arrêt du nucléaire 26/07

Soigner le mal par plus de mal

Pendant ce temps, l’industrie nucléaire et ses lobbys continue de pavaner et essaie de se relancer avec l’appui du macronisme et de la droite en jouant la carte du réchauffement climatique et de l’énergie propre bas carbone :
- World Nuclear Exhibition 2021 : L’industrie du nucléaire, un acteur-clé pour une société bas carbone et un avenir responsable - Aujourd’hui plus que jamais, la filière nucléaire est porteuse d’espoirs et de perspectives. Espoirs de parvenir à une société bas carbone et de limiter durablement le réchauffement climatique ; perspectives de dynamiser toute une économie et de faire émerger de nouvelles technologies visant à améliorer sa production, ses performances et ses applications, tout en la rendant toujours plus sûre et respectueuse de l’environnement.

Le réchauffement climatique global provoqué par la société techno-industriel productiviste a bon dos. Il sert cyniquement d’excuse aux lobbys industriels et technocratiques pour continuer le même système techno-industriel !
Soigner le mal par plus de mal, il n’y a que dans la tête formatée des sociopathes extrémistes et fanatiques au pouvoir que des idées aussi farfelues peuvent germer.
Malgré les désastres qu’il a produit, la foi dans le progrès techno-industriel-scientifique ne semble pas se tarir, il faut dire que le capitalisme en veut toujours plus, ralentir serait synonyme de son effondrement, alors la Machine doit continuer à pédaler toujours plus vite, même dans le vide au dessus de l’abîme qu’elle a ouvert.
La chute n’en sera que plus brutale et radicale si on laisse encore se poursuivre ce système irréformable et indésirable.

Et si les miasmes du système techno-industriel productiviste tapissent aussi nos têtes, il faudra aussi que chacun.e fasse l’effort de s’en extraire, dans la lutte collective, l’effort de penser et de s’informer seul.e ou à plusieurs.

P.-S.

Pour aller plus loin

GROS CON CAUSER & LE RETOUR DU NUCLÉAIRE

Subtil, je sais. Comme une centrale nucléaire en plaine.

« Marine Le Pen veut rouvrir la centrale nucléaire de Fessenheim » (France bleu) et construire six EPR. Éric Zemmour renchérit : il en propose dix. Qui dit mieux ?! Pendant son allocution du 9 novembre 2021, Emmanuel Macron a confirmé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires électriques en France, de type EPR, « dans l’optique de répondre aux ambitions climatiques et énergétiques du pays ». Arnaud Montebourg se déclare également favorable à la construction de nouvelles centrales nucléaires en France. Bref, le nucléaire s’invite dans la campagne pestilentielle.

& pour ce faire, il s’est trouvé des partisans-promoteurs tout à fait dans l’air (vicié) des temps cybernétiques : les « youtubeurs » suffisamment suivis pour être qualifiés d’« influenceurs ». Un des plus fameux d’entre eux (près d’un million de suiveurs sur Facebook), Ludovic Torbey, figure de proue de la chaîne « Osons Causer », s’est récemment fendu de deux vidéos pronucléaires, et se réjouit : « la majorité des Français pensait que [le nucléaire] c’était mauvais pour le climat ; et cette opinion est en train de changer, car les gens s’informent[1]. » Et s’informent en partie au travers de son travail, grâce à lui ! Quelle fierté de pouvoir dire qu’on participe au développement du glorieux nucléaire !

Inutile de revenir sur le gros de ce qu’il raconte dans ces récentes vidéos. À vrai dire, c’est parce qu’il passe toujours à côté de l’essentiel que ses propos posent problème. Peu importe que les déchets nucléaires soient moins nombreux et moins dangereux que ne le croient certains, peu importe que leur durée de vie soit moindre, etc.
Le problème du nucléaire est pour partie (mais pas entièrement) le même que le problème de toutes les autres sources industrielles de production d’énergie. La critique du nucléaire devrait donc toujours aller de pair avec une critique de toutes les formes industrielles de production d’énergie. Pour le comprendre, onfray bien de prendre appui sur un très grand philosophe :

« Le nucléaire civil permet le confort bourgeois auquel personne ne s’oppose, à droite comme à gauche […]. L’électricité nourrit les appareils domestiques qui simplifient la vie — la machine à laver au lieu du lavoir, le four au lieu de la cheminée, le radiateur au lieu du mirus, le néon au lieu de la bougie, le réfrigérateur au lieu du garde-manger... Elle alimente les instruments de communication — les batteries du téléphone portable, le secteur des ordinateurs, le transformateur des télévisions. Qui oserait aujourd’hui inviter à vivre sans électricité ?

Dès lors, la question est simple : soit on refuse l’électricité et le problème de sa production nucléaire disparaît ; soit on est condamné à sa production. Et ses formes renouvelables ? Séduisantes, à la mode, dans le vent de l’écologie, certes, mais, semble-t-il, insuffisantes pour les besoins quotidiens et réguliers de notre consommation actuelle. Le photovoltaïque, la biomasse, l’éolien, l’hydraulique fonctionnent en appoint, mais ne suffisent pas à répondre à la totalité du considérable besoin d’énergie de nos civilisations.[2] »

« Qui oserait aujourd’hui inviter à vivre sans électricité » ? Qui oserait remettre en question le « confort bourgeois », l’idéologie bourgeoise de l’« émancipation » (délivrance) ? Certainement pas Onfray, certainement aucun des soi-disant « philosophes » médiatiques, certainement aucun « homme politique », certainement aucun des innombrables dévots de la religion du Progrès, fanatiques de l’aliénation, champions d’une soumission durable à l’ordre technologique existant. « Condamnés » à produire de l’électricité, à perpétuer le système techno-industriel, nous nous y obligeons.

Et puis, notre vie se trouve tellement « simplifiée » par la technologie, véritable merveille de l’univers (de création humaine !). Grâce à elle, nous sommes tout de même passés de la vie pénible, angoissante, triste, terne, violente, froide (glagla), harassante et compliquée des chasseurs-cueilleurs et des sociétés paysannes à l’existence idyllique et limpide du chômeur (Cerfa N°12919*01) dépressif.

« En réalité, comme le note Yves-Marie Abraham , la poursuite de l’électrification du monde, qu’il s’agisse par exemple d’adopter la voiture électrique ou de soutenir les progrès de l’Intelligence dite artificielle, ne fait qu’aggraver le désastre auquel elle prétend remédier. Elle contribue en outre à nous rendre toujours plus dépendant·e·s de macrosystèmes au sein desquels nous finissons par jouer le rôle de simples rouages… ou de microprocesseurs. Si nous tenons à la vie et à la liberté, nous n’avons pas d’autre choix que d’entreprendre la désélectrification de nos sociétés[3]. »

Parce qu’en effet, la vie électrique, c’est la vie sous domination étatique, capitaliste, technologique. Parmi les questions que ne posent pas Ludovic Torbey, il y a donc : voulons-nous continuer de vivre sous le règne de l’État et du capitalisme, de la technologie ?

Bien entendu, les dévots du Progrès objecteront que la vie électrique pourrait ne pas être synonyme de systèmes de domination. Voilà une question qu’il serait intéressant de poser : est-il possible que les êtres humains évoluent dans un monde hautement technologique, électrique, et à la fois réellement démocratique, juste, égalitaire, favorisant au maximum la liberté de chacun ?

Avant de tenter d’esquisser une réponse, un bref rappel. Sur le plan écologique, à l’instar de l’immense majorité des partisans du nucléaire aussi bien que des énergies dites renouvelables, Ludovic Torbey passe largement à côté de ce fait que la production d’énergie est loin d’être (directement, en elle-même) la seule source de dégradations environnementales. Effectivement, le ravage en cours de la planète, de tous ses écosystèmes, ne découle pas uniquement, ni même principalement, des implications directes de la production ou de l’obtention d’énergie par la civilisation industrielle. Il résulte surtout de ses implications indirectes : de ses usages de l’énergie. Peu importe qu’une machine à ratiboiser des bassins versants soit alimentée par une pile à hydrogène, des panneaux solaires hautement performants ou un mini-réacteur nucléaire ; peu importe que les excavatrices fonctionnent à l’éolien, à la biomasse ou au nucléaire ; peu importe que l’armée et l’industrie de l’armement utilisent plutôt des énergies dites « vertes » que du nucléaire ; peu importe les sources d’énergie qu’utilisent les différents secteurs industriels responsables d’un éventail très divers de pollutions et destructions écologiques. Les usages de l’énergie que produit ou qu’obtient la civilisation industrielle (peu importe sa provenance) ne sont quasiment jamais bénéfiques pour la nature, tout au contraire. Dès lors, il apparaît terriblement absurde de rechercher une source d’énergie abondante, voire illimitée. Si la civilisation parvenait à mettre la main sur une telle chose, cela induirait probablement une dévastation environnementale sans précédent.

Bertrand Louart remarque à ce propos :

« Imaginons un instant qu’ITER fonctionne et que l’on dispose effectivement d’une énergie abondante pour presque rien et presque pas de déchets ; bref, que se réalisent toutes les promesses de la propagande technoscientifique. Il ne serait alors pas exagéré de dire que nous connaîtrions la plus grande catastrophe de tous les temps ; rien ne pourrait arriver de pire pour compromettre l’avenir de l’humanité et de la vie sur Terre. En effet, qu’est-ce que l’énergie, sinon ce qui nous donne un pouvoir sur la matière ? Or la matière n’est rien d’autre que la substance du monde : c’est vous et moi, la nature dans laquelle nous vivons et le support de la vie elle-même. L’énergie est en fin de compte la capacité à transformer le monde.

Si ITER réalise la fusion nucléaire, qui donc maîtrisera l’énergie considérable qu’il produira ? Ni vous ni moi, bien évidemment, mais avant tout les États et les industriels qui ont investi des milliards d’euros dans ce projet. Et que feront-ils de l’énergie illimitée dont ils disposeront alors ? Peut-on croire un seul instant que, lorsque plus rien ne les retiendra, ils se montreront plus raisonnables et précautionneux dans son usage qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent ?

Si les États et les grands groupes industriels disposaient enfin d’une énergie illimitée, ils s’en serviraient de la même manière qu’ils l’ont fait ces cinquante dernières années : la logique d’accumulation abstraite de puissance propre à ces organisations démesurées prendrait un nouvel essor, et les tendances destructrices que l’on a vues à l’œuvre depuis les débuts de l’ère nucléaire seraient portées à leur paroxysme. Ces grands appareils seraient alors totalement affranchis des puissances — la nature et la société — qui limitaient jusqu’alors tant bien que mal (et en réalité de plus en plus mal) leur ambition et leur prétention à détenir la toute-puissance. Plus aucune contrainte ne viendrait limiter leur capacité à transformer le monde, c’est-à-dire à exploiter la nature et à dominer les hommes pour leur avantage. ITER serait alors réellement la fabrique du capitalisme et de l’État sous leur forme absolue, c’est-à-dire totalitaire[4]. »
Sur le plan social, effectivement, toutes les technologies modernes, toutes les machines (y compris celles qui servent à générer ou obtenir de l’énergie), sont autant de produits du système économique, politique et technologique issu de la conjonction de la puissance de l’État et de celle du capitalisme. Système qui, comme beaucoup l’ont remarqué, écrase et dépossède les êtres humains, partout sur Terre. Or, selon toute probabilité, toute logique, toutes les technologies modernes, toutes les machines (y compris celles qui servent à générer ou obtenir de l’énergie), sont indissociables de l’existence de ce système — du moins d’un certain nombre de ses caractéristiques fondamentales (démesure, division hiérarchique et technique du travail, complexité sociotechnique, etc.) — et par-là même incompatibles avec la démocratie réelle, la justice, l’équité, la liberté. La question est donc : souhaitons-nous la perpétuation d’un tel système ? Le génie d’Osons Causer répond : oui. L’important, à ses yeux : « assurer nos systèmes sociaux, relancer l’économie après la crise du Covid[5] ». Bien entendu, si l’économie n’était pas relancée, si le système s’effondrait, il perdrait sa clientèle. Le drame.

La réponse que donnent nombre de populations indigènes de par le monde, souhaitant simplement qu’on les laisse tranquilles, pouvoir continuer de vivre et de se gouverner comme elles l’entendent : « Nous nous battons pour ne pas avoir de routes et d’électricité — cette forme d’autodestruction qui est appelée “développement” c’est précisément ce que nous essayons d’éviter[6]. »
La cheffe Caleen Sisk, de la tribu Winnemem Wintu, originaire de Californie du Nord, souligne :

« Croyez-le ou non, nous pouvons vivre sans électricité, c’est ainsi que nous avons vécu pendant de nombreuses années, avant qu’elle n’arrive. L’électricité est accessoire. Cependant, personne au monde, rien au monde, ne saurait vivre sans eau, sans une eau propre[7]. »

***
Dans le monde industrialisé, les principaux opposants au nucléaire dénoncent depuis longtemps le fait qu’il requiert et favorise tout particulièrement la domination étatique. Comme on pouvait le lire dans la Plateforme du comité « Irradiés de tous les pays, unissons-nous ! » en 1987 :

« […] l’exploitation et la gestion des installations nucléaires, tant civiles que militaires, renforcent la mainmise totalitaire de l’État sur la société et ce quelle que soit la nature affichée des régimes considérés, à l’Ouest comme à l’Est. »
Et ainsi que le notait Roger Belbéoch, ingénieur antinucléaire, le développement massif du nucléaire en France est issu de « la structure particulièrement centralisée de l’État français, la formation de ses cadres techniques et de ceux de la grande industrie par le système des grandes écoles (Polytechnique), l’existence des corps d’ingénieurs (corps des Mines)[8] ».

Autrement dit, la spécificité du nucléaire, en regard des autres formes de production industrielle d’énergie, c’est qu’il incarne, du fait de ses implications sociales et matérielles (complexité technique, déchets hautement dangereux, sensibles, catastrophes potentielles à prévoir et gérer, etc.), la technologie autoritaire par excellence[9].

La plupart des partisans du nucléaire reconnaissent d’ailleurs sans ambages qu’il requiert des structures organisationnelles rigides, hiérarchiques, autoritaires. Dans leur livre plaidoyer en faveur du nucléaire[10], Dominique Louis et Jean-Louis Ricaud, ingénieurs et dirigeants de l’entreprise Assystem (spécialisée en ingénierie et gestion de projets d’infrastructures critiques et complexes), célèbrent l’exemple de la Chine et remarquent que les défis que pose le nucléaire « ne peuvent être relevés sans une gouvernance internationale indépendante et dotée d’autorité, pierre angulaire de la sûreté et de la sécurité d’un secteur par essence transnational ».

En encourageant l’acceptation du nucléaire, les « youtubeurs » nucléaristes encouragent, outre la poursuite du ravage industriel du monde, l’acceptation de l’État, du capitalisme, la soumission au système social, économique, politique et technologique contemporain, aux faux besoins et aux contraintes qu’il nous impose.

Sans nucléaire, sans panneaux solaires photovoltaïques, sans éoliennes, sans réfrigérateurs, sans radiateurs, sans fours et sans machines à laver — n’en déplaise à Onfray et aux adorateurs du « confort bourgeois » — l’espèce humaine a prospéré durant des centaines de milliers d’années. En revanche, en à peine un siècle de technologisation, d’industrialisation du monde, la planète a été ravagée, d’innombrables écosystèmes ont été détruits, tandis que la plupart des autres sont endommagés ou pollués. Et la majorité des êtres humains se sont retrouvés sous le joug d’un impitoyable système de dominations impersonnelles[11] organisé à l’échelle planétaire.

La question que tout cela devrait nous amener à nous poser est moins : « êtes-vous pour ou contre le nucléaire ? », ou « pour ou contre les renouvelables ? » — que : l’humanité et la nature survivront-elles au développement technologique ? Quoi qu’il en soit, si vous souhaitez que tout continue, n’hésitez pas : aux prochaines mascarades électorales, votez pour un maître industrialiste — qu’il soit pour une société industrielle nucléaire ou carburant au « 100% renouvelables » importe peu.

Post de N Casaux

1. https://journal.ccas.fr/ludovic-torbey-osons-causer-lenergie-na-jamais-ete-un-sujet-aussi-sexy
2. Onfray, « Catastrophe de la pensée catastrophiste », Le Point, 2011
3. https://polemos-decroissance.org/le-prix-de-lelectricite-essai-de-contribution-a-lencyclopedie-des-nuisances
4. https://sniadecki.wordpress.com/2011/11/22/iter-01/
5. https://journal.ccas.fr/ludovic-torbey-osons-causer-lenergie-na-jamais-ete-un-sujet-aussi-sexy
6. Ati Quigua, Arhuacos de « Colombie », lors d’un évènement onusien. https://atiquigua.co/united-nations-indigenous-women/
7. https://www.youtube.com/watch?v=U4KFKWYfQa8
8. Roger Belbéoch, « Société nucléaire », 1990.
9. Cf. : « De la cuillère en plastique à la centrale nucléaire : le despotisme techno-industriel » : https://www.partage-le.com/2020/04/25/de-la-cuillere-en-plastique-a-la-centrale-nucleaire-un-meme-despotisme-industriel-par-nicolas-casaux/
10. Énergie nucléaire, le vrai risque, Dominique Louis, Jean-Louis Ricaud, 2020.
11. https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2016-2-page-59.htm

Décision insensée de Macron de s’orienter vers une relance du nucléaire en France, sous couvert de décarboner.

L’industrie nucléaire, sans oublier son origine militaire, reste une technologie autoritaire sur laquelle la population n’a pas son mot à dire, se basant sur une dimension colonialiste (pour les mines d’uranium), esclavagiste (les populations autour des mines sont vouées à la maladie et la mort, ceux qui y travaillent d’autant plus) et anti-écologique (les déchets du nucléaire ne trouvent aucune autre solution qu’un stockage dévastateur pour l’environnement et la santé des population).
Vert Résistance propose un documentaire éclairant sur le sujet, entre la France et le Niger, avec une rencontre des luttes ici et là-bas.
https://www.france.tv/france-5/vert-de-rage/2769821-l-uranium-de-la-colere-du-niger-a-narbonne.html

Les années de lutte des associations anti-nucléaires n’y change rien et au final, seules les actions contre l’installation de centrales, tel que la mobilisation populaire de Plogoff (1978-1981) se sont terminé sur des victoires.
Lors de la construction de ces futures centrales, si cela advient malgré la privatisation d’EDF et son bilan financier catastrophique, nous saurons nous souvenir de ce qu’il sera nécessaire de faire pour stopper ce projet de relance.

- Plogoff, des pierres contre des fusils (1980)
https://www.youtube.com/watch?v=Dn3Wb4h7moY
- Documentaire « Plogoff mon amour, mémoire d’une lutte »
https://www.youtube.com/watch?v=38OjYPAXxL8

Post de Deep Green Resistance France


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