Alors que les couvre-feux et les interdictions en tout genre se généralisent, en attendant de francs reconfinements, voici un article qui éclaire les soubassements fondementaux du conflit entre protection de nos vies OU de l’économie de marché.
Protéger la vie ou l’économie ? Pris en étau dans ce dilemme, nous cherchons des individus responsables : macron, le régime, les fêtards, les travailleurs, les écoliers... Au lieu de verser dans la quête de boucs émissaires et de thèses conspirationnistes qui profitent éventuellement à l’extrême droite, mieux vaut analyser le phénomète à sa racine :
Lire : Couvre-feu : le message brouillé - Post-scriptum à De virus illustribus
Extraits :
Cessons d’y voir une malveillance particulière et voyons-y plutôt le mandat essentiel de ce gouvernement-ci et de tous les autres gouvernements. Angela Merkel ne dit pas autre chose – il est vrai sans toutes ces contorsions. Comment comprendre autrement que le sénat de Berlin confronté à la hausse des cas d’infection autorise actuellement des événements en salle fermée jusqu’à 1000 personnes, tandis que les réunions privées ne doivent plus excéder 10 personnes ? Les uns font tourner l´économie, les autres non. Les gestionnaires de crise sont mis en demeure pour la première fois par la pandémie de trancher en temps réel entre sauver les vies et sauver l’économie. Or comme chacun sait, « la bourse ou la vie » est un choix impossible dans un monde où précisément la vie dépend de l’économie et menace de mettre des millions de gens sur le carreau, ce qui revient indirectement à leur ôter la vie. Que n’entendrait-on pas si Macron disait aux gens de faire la fête mais d’arrêter de travailler, advienne que pourra ! Beaucoup le traiteraient d’assassin devant les conséquences directes qu’ils devraient essuyer, car l’économie s´effondrerait encore plus rapidement. Les gouvernants sont dans une position où ils ont tort quel que soit leur arbitrage. Ce qui prouve que le saint peuple partage les mêmes options fondamentales que ses représentants pris entre l’enclume sanitaire et le marteau économique.
L’arbitrage effectué par Macron entre une économie moribonde, d’une part, et une vie menacée de tous côtés, d’autre part, représente un avant-goût des crises qui nous attendent. Il ne faut pas s’attendre à autre chose qu’à une réponse politique de plus en plus répressive : tant que le capitalisme et son dilemme constitutif ne seront pas dépassé s comme tels, les crises n’offriront aucun autre scénario de sortie que des tours de vis toujours plus serrés. Il s’agit que la reproduction de la vie cesse radicalement – et pas seulement par temps de corona – de dépendre de l’économie, afin qu’un tel arbitrage n’ait plus lieu d’être. Cela ne se fera pas « en renforçant les pouvoirs publics », qui eux-mêmes dépendent intrinsèquement de la croissance économique, et sont donc pris dans le cycle de dépendance infernale dont nous sommes en train de réaliser les effets les plus intimes à l’échelle planétaire. Même la santé des gens n’y est qu’une fonction de la santé de l’économie (car seuls des travailleurs en bonne santé peuvent faire tourner l’économie). Cela ne pourra se faire qu’en se réappropriant l’organisation de nos reproductions physiques et sociales.
Accuser le cynisme des dirigeants, c’est oublier qu’ils ont été élus exactement pour remplir cette mission. Ceux, donc, qui dénoncent le couvre-feu au nom du refus « de voir un pervers présidentiel jouir obscènement de nous serrer la vis » (dixit le collectif des Cerveaux non disponibles) persistent à personnifier la situation de manière infantile. Les mêmes qui affirment que « tout gouvernement n’a de principal souci que le contrôle de la population » ne veulent rien savoir de la nature fondamentale du mandat politique, quel que soit la couleur du gouvernement, et qui est de préserver l’économie quoi qu’il en coûte, sans quoi aucune des promesses de l’État moderne ne tient cinq minutes. Il n’y a évidemment ni sécurité publique, ni santé publique, ni éducation publique, ni routes publiques, et certainement pas des masques et des tests gratuits si l’économie s’effondre. Emmanuel Macron est bien conscient de la gravité de la situation (économique). Mais pas plus lui que ses critiques de gauche ne sont prêts à nommer et dépasser le dilemme dans lequel le système capitaliste nous tient en étau. Peut-être ne sont-ils pas prêts à renoncer à ses promesses en toc : plein-emploi, villa, bagnole, vacances pour tous… Tous préfèrent se réfugier dans le discours régressif consistant à chercher à qui la faute d’une telle situation générale, certains désignant les jeunes fêtards ou les réunions de famille, les autres désignant le soi-disant pervers qui nous dirige. De telles cristallisations constituent un terrain favorable aux grands mouvements anti-élite et conspirationnistes de tous bords qui fleurissent en ce moment et jettent le monde dans une barbarisation intellectuelle aussi dramatique que la barbarisation économique : c’est un feu croisé d’incriminations ciblées qui évitent de remettre en cause les catégories fondamentales d’un système auquel chacun participe à des places différentes.
Remarques persos
Pour compléter :
- Continuer de produire et travailler, quitte à reproduire la pandémie - « Les couvre-feux sont vains quand c’est le monde entier qui brûle »
- Nous sommes (presque) tous des macronistes zombies ? - Se plaindre de certaines conséquences tout en adhérant viscéralement à ce qui les cause ?
De gré (les macronistes, la droite et l’extrême droite, l’ex gauche type PS) ou de force (Les insoumis ?, le NPA ?), l’ensemble des politiciens, syndicats et partis se voient contraints de préserver la méga-machine économique capitaliste.
L’économie de marché (et, plus largement, la civilisation industrielle) a tout englobé, tout avalé, elle est partout aux manettes directement ou en sous main, son idéologie imprègne les fibres de pratiquement tout le monde (souvent inconsciemment d’ailleurs, et c’est là le pire), elle est donc trop grosse pour chuter (too big to fall, comme les banques) puisqu’elle a presque totalement phagocyté la vie, y compris la vie politique. Sa chute brutale signifierait de gros gros problèmes (mais on peut aussi se demander si ces problèmes ne pourraient pas être moins pires que la continuation à l’identique ?).
De ce fait, il est un peu vain de s’énerver contre tel ou tel (ir)responsable dirigeant, d’espérer que les pyromanes pourraient devenir pompiers par magie.
Dans le cadre de la civilisation industrielle et de son économie capitaliste, même les chefs (politiciens, technocrates, PDG...) doivent obéir à la méga-machine sans tête, ils doivent suivre ses mouvements, la nourrir, lui fournir ce qu’elle demande, ils sont soumis intégralement à ses désirs même quand ils miment un semblant de prise en main. Les dirigeants, tout comme les employés et serfs, sont des pions interchangeables, remplaçables.
Ils profitent du pouvoir et de l’argent apportés par leur position supérieure dans la hiérarchie de la Machine, mais ils sont autant esclaves de cette méga-machine que l’ouvrière de base d’une manufacture chinoise ou étasunienne.
Au "mieux" (ou au pire ?), les dirigeants apportent leur petite touche personnelle, ils repeignent la Machine en vert ou en brun, lui mettent des lampions colorés, mais le fonctionnement, les buts et les ravages du Monstres restent globalement les mêmes. Il y a juste des variations dans qui se remplit le plus les poches, qui se les faits vider le plus vite, ou le degré et les méthodes de gestion autoritaire des foules.
Voir Acceptation de la gestion autoritaire et policière des catastrophes et pandémies produites par la méga-Machine sans tête ? OU luttes acharnées pour la liberté, l’autonomie et la démocratie directe ? pour plus de développements.
Voir aussi :
- Cinq siècles de capitalisme et de destruction de la Terre. À quand la fin de la mégamachine ? (livre de Fabian Scheidler) - Des structures de domination nées il y a cinq mille ans, et renforcées depuis cinq siècles de capitalisme, voilà ce qui a constitué un engrenage destructeur de la Terre et de l’avenir de l’humanité raconte Fabian Scheidler dans « La Fin de la mégamachine ».
- Stop à la mégamachine : guide pratique pour éviter l’effondrement
En l’état, le système va donc continuer à piller et détruire tout ce qu’il pourrra jusqu’à son auto-anéantissement (le problème c’est que plus ça tardera à se faire, et plus il détruira en même temps plein d’autres choses, dont le vivant). Les jolis discours, les belles séances de libre expression individuelles ou collectives, les gestes barrières, les refuges de contestataires, les îlots culturels, les éco-gestes, les éventuelles pauses ou ralentissements à base de gouvernements plus ou moins de gauche, les actes symboliques, les critiques acerbes ou mesurées, et les mesurettes n’y changeront rien, ou pas grand chose.
Dans ce cadre contraint et clos, les ravages, les mesures autoritaires tournant au néo-fascisme et à la dictature vont donc continuer et s’aggraver.
Pour les catastrophes climatiques/écologiques/sociales à venir, la civilisation industrielle (son étatisme et son capitalisme totalitaires) appliquera exactement les mêmes « recettes » que pour la pandémie de covid-19. Ce sera donc l’autoritarisme et les brutalités policières à outrance, les problèmes et les contrôles les plus forts en direction des plus pauvres (et des exclus, des exilés), la surveillance numérique automatisée via drones et caméras à reconnaissance faciale partout, la répression permanente de toute forme de contestation, les couvre-feux, les tickets de rationnement pour la nourriture et l’essence quand il y aura pénurie, l’armée dans les rues, la préservation jusqu’au bout de l’économie de marché, la stigmatisation de certaines catégories de population, la dictature durcie, etc.
Seule option pour espérer avoir une chance d’échapper à toutes ces horreurs, pour pouvoir avoir la simple possiblité de décider de nos vies, de faire de la politique via des démocraties (directes, pas représentatives) : sortir pour de bon du système capitaliste et du modèle culturel délétère dit de « la civilisation », provoquer son effondrement choisi et « contrôlé », mettre fin radicalement au règne de l’économie, des infrastrutures, dogmes, institutions, habitudes, lois, qui vont avec (y compris l’Etat). Et donc, parralèlement construire des activités et modes de vie non-capitalistes, démocratiques, solidaires et soutenables.
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