Dépossédé de tout pouvoir de choisir les orientations sociales, l’envie de défendre la nature et les territoires s’estompe

Etat, communes, entreprises, propriétaires, élus, institutions, décident de tout et dirigent tout à notre place - Comment retrouver le goût de l’autonomie et de la lutte ?

jeudi 28 octobre 2021, par Camille Pierrette.

Etats, communes, entreprises, propriétaires possèdent tout ce qui est matériel : infrastructures, machines, terres, bâtiments...
Tandis que les élus et les institutions se sont appropriés toutes les décisions politiques.

Même l’espace médiatique est largement trusté par des milliardaires et des organes étatiques. Les gens ordinaires n’y ont qu’une place de figurant, un rôle subalterne, où leur parole est soumise à la loi de l’audimat, des sondages et du conformisme récréatif.
On est comme un grain de sable ballotté dans des espaces politiques, matériels, géographiques contrôlés qui nous échappent.

Collectivement, les habitant.e.s de France et des autres Etats industriels n’ont aucune autonomie politique ou économique. Il n’y pas de démocratie réelle, l’Etat autoritaire et l’Economie totalitaire (deux faces du monstre, qui marchent ensemble) règnent sans partage.
Il n’y a pas, très peu, de « communauté de vie », d’espace commun autonome, on trouve donc surtout des agrégats d’individus, des êtres qui se croient libres alors qu’ils sont entièrement soumis aux besoins et aux ordres du capitalisme et de la gestion étatique.
Alors on se raccroche en compensation à des « communautés internet », des groupes virtuels, des identités flottantes parfois exacerbées.

Dépossédé de tout pouvoir de choisir les orientations sociales, l’envie de défendre la nature et les territoires s’estompe
Comment des individus anonymes isolés dans leur cocon numérique et le techno-monde industriel pourraient se soucier de la nature ?

On est complètement dépossédé de toute prise sur les orientations collectives des lieux où on vit

On n’a aucun pouvoir de décision sur les orientations collectives, et même nos « choix » de vie personnels sont très largement contraints par le système en place : logement et travail rémunérateur dépendants des fluctuations du marché économique et du bon vouloir d’agents privés, réglementations des banques et des assurances, dépendance envers des institutions étatiques anonymes pour des droits sociaux, ballottage entre des bureaucraties numérisées, etc.
Glisser un bulletin de temps en temps dans une urne pour désigner X ou Y, c’est l’acte dérisoire et avilissant que nous laissent avec mépris les institutions et la technocratie qui servent la civilisation moderne.

Il ne nous reste plus rien où avoir prise sur la réalité et le cours de nos vies quotidiennes.
Si, il nous reste quelques trucs inoffensifs, comme des défilés de rue encadrés de flics, des villes quadrillées de caméras et d’espaces marchands où on est « invités » à circuler d’un point à l’autre, ou des secteurs annexes : un peu de culture, des concerts et des blablas artistiques qui n’ont aucun effet direct sur le réel et les choix société.
Alors on est parfois obligé de faire grève, de se mettre en difficulté, pour essayer de peser via des rapports de force, mais ça devient de plus en plus difficile, voir impossible pour les grandes orientations collectives.

De plus, on est souvent déplacé d’une ville à l’autre, d’un espace anonyme à un autre. Tous les centres commerciaux et les zones commerciales se ressemblent.
Qui voudrait défendre ces moches zones périurbaines ou alternent périphériques, parkings, hangars, pubs, ronds-points, immeubles béton et lotissements empilés ?

- Pour ces raisons et les suivantes, les résistances écologiques, les luttes contre la civilisation industrielle qui détruit méthodiquement le vivant et fait dériver inéluctablement le climat vers une zone invivable sont très faibles et très minoritaires. Les civilisés ne luttent plus guère pour l’écologie, mais pour que la civilisation industrielle techno-capitaliste puisse perdurer malgré ses ravages croissants.

Même les imaginaires et la pensée sont colonisés et atrophiés

A force de propagande par les politiciens, les médias dominants, l’Etat, l’éducation nationale, la publicité, les produits culturels industriels, etc. nos pensées et nos désirs sont largement orientés sur le modèle de la civilisation industrielle, du consumérisme, des loisirs, du chacun pour soi, de la soumission à la Machine de l’Etat et du Capital.

A force de baigner dans cette mixture hautement toxique, on est forcément contaminés, et puis c’est tellement facile et confortable de se laisser porter par le courant, tandis que résister demande quelques efforts et sera mal vu.

La pire colonisation de la mégamachine (capitalisme, techno-industrie, technocratie bureaucratique et Etats) n’est pas celle des terres, des océans, des bâtiments et des espaces politiques, c’est la domestication des esprits. Car il ne reste plus grand monde pour se battre.

La grande majorité des dominés ont fait leur les principes et les objectifs du système qui plaît tant aux dominants, ils pensent à l’intérieur du cadre de la civilisation industrielle, il leur est donc impossible d’imaginer autre chose ou de se battre pour le construire. Dominés et dominants, pauvres et riches, salariés et grands patrons sont donc totalement complices, en accord sur le fond. Ils se chicanent parfois juste pour déterminer la quantité de miettes et de droits attribuée aux dominés, mais jamais ou presque sur la nature profonde du modèle social en vigueur qu’ils approuvent tous et désirent continuer.

Souvenons-nous que les empires conquérants malins s’évertuaient à « assimiler » les populations envahies, à les intégrer dans leur système social plutôt qu’à les exterminer.

Dépossédé de tout pouvoir de choisir les orientations sociales, l’envie de défendre la nature et les territoires s’estompe
Les civilisés défendent en priorité leur habitat techno-industriel numérisé, pas les animaux et les plantes, le vivant c’est sale et ça pue, le virtuel c’est beau et propre

Le biotope des civilisés n’est plus la nature, la forêt, la prairie

La plupart des civilisés vivent en ville ou en zones périurbaines, la nature n’est pour eux qu’un décors mystérieux, inquiétant et inconnu dont ils sont séparés. Leur biotope n’est plus la forêt, la prairie, le village connecté au paysage et la rivière, mais le centre commercial, le magasin en ligne, la livraison ubérisée, le smartphone et les applis rassurantes, la cybernétique infantilisante, en attendant les univers synthétiques type « metavers ».

Non seulement, les espaces naturels sont-seront remplacés par des assemblages industriels (à part quelques îlots récréatifs et des parcs protégés), mais l’expérience « humaine » des civilisés se fera bien davantage dans des mondes virtuels numériques qu’en contact charnel avec les altérités animales, végétales, minérales, ...et même humaines (voir confinements et son accélération du monde sans contact).
Ainsi les civilisés ne défendront pas les loutres, les baobabs ou les bergeronnettes, mais plutôt l’accès à internet mobile partout, les véhicules électriques autonomes, le streaming gratuit, l’interopérabilité des métaverses...
Ils défendront leur monde Machine plutôt que la nature détruite par ce système.

Dépossédé de tout pouvoir de choisir les orientations sociales, l’envie de défendre la nature et les territoires s’estompe
Avec les métavers, univers numériques persistants, projetés par Facebook & co, la séparation et la coupure avec le vivant s’accentueraient

Alors comment pourrait-on se sentir concernés par la destruction systématique des biotopes, des écosystèmes, des terres, des forêts, des rivières, de l’air ... ?

Seules quelques personnes très motivées, des naturalistes, des paysans, quelques écolos « véritables » (les « faux » écolos se soucient surtout de comment faire durer à tout prix la civilisation industrielle grâce au numérique et aux énergies alternatives)... se préoccupent de défendre la nature.
Des habitants des campagnes ou de certains quartiers non gentrifiés ni voués au tourisme international restent liés aux territoires où ils vivent, et arrivent encore parfois à se liguer pour lutter.
Dans d’autres régions du monde, des peuples autochtones (indiens Mapuche, zapatistes...) défendent souvent ardemment leurs espaces de vie, ils en font partie, ils y sont profondément attachés et ils savent qu’ils en dépendent.

La plupart du temps, les autres, les civilisés, ne défendent que leurs intérêts individuels directs, et encore, seulement quand ils sont fortement menacés. Ils s’inquiètent notamment de leur « pouvoir d’achat », ils se rebellent, avec raison la question n’est pas là, quand ils ne peuvent plus manger à la fin du mois, mais le reste ne les motive pas. Que le système délétère qui leur octroie quelques miettes vit en partie grâce au pillage de matières premières ailleurs et de l’exploitation honteuse d’êtres humains dans d’autres pays ne les fait pas se soulever.
Après moi le déluge ? Narcissisme ? Les capacités d’empathie et d’altruisme semblent sérieusement entamées ?
Bien sûr, à l’instant T on n’a pas le choix, on est victime, on est pris dans l’engrenage. Mais alors pourquoi l’instant T s’étire à l’infini et pourquoi pas grand monde n’essaie de sortir du cercle vicieux ?

Les civilisés n’ont aucune prise sur la vie du territoire et les décisions politiques/économiques qui le concerne, mais ils se préoccupent parfois de mini-sujets qui les touchent directement.
En temps ordinaire, certains s’occupent par exemple des crottes de chien sur le trottoir de leur rue, des tags sur les murs d’à côté, des ordures qui débordent de la poubelle d’en face, du bruit des voisins ou des fêtards, de la forte baisse de leur salaire ou de leur licenciement, de ramasser les déchets dans la rivière d’à côté.
D’autres, tels des shadocks, luttent sans fin pour corriger certaines conséquences du système, sans pouvoir/vouloir toucher aux causes, c’est flagrant pour les questions sociales comme pour l’écologie.
Quand l’Etat et les médias dominants font jouer à fond l’émotion sur les morts d’un attentat terroriste (bizarrement ils ne le font jamais pour les morts au travail), de nombreux civilisés vont en masse défiler temporairement dans les rues, ...ce qui soutient les politiques sécuritaires et renforce leur allégeance à l’Etat et au système policier.
On ne les voit pas bouger le moindre petit doigt pour des faits pourtant plus graves, structurels, qui touchent davantage de monde (les inégalités et précarités croissantes, la destruction du vivant et du climat par la civilisation industrielle...), parce que les médias dominants ne leur ont pas donner l’ordre de se lever du canapé ?

La plupart des civilisés ont accepté avec soulagement de laisser les choix de société aux entreprises et aux politiciens, « c’est leur job, jouissons plutôt de nos loisirs et de notre consommation ». A nous le travail et le job de la consommation, aux patrons, aux experts et aux politiciens de guider la vie sociale".
On voit le résultat.
Malgré des révoltes parfois héroïques, le rouleau compresseur continue. Manque de monde ou de détermination ? Manque d’analyses et d’objectifs cohérents ? Visées d’aménagements et de faire son trou dans la Mégamachine au lieu d’une volonté de la détruire ?

Comment sortir de cette impasse ?

Comment (re)prendre conscience de notre lien vital aux lieux où on vit, comment (re)prendre la main sur ces espaces, se les « réapproprier », et, peut-être, (re)retrouver le goût de la lutte déterminée pour les défendre contre la Mégamachine, le goût libérateur et ludique de la destruction de la civilisation industrielle tueuse de mondes ?

En faisant à nouveau corps avec les mondes humains et non-humains dans lesquels on s’inscrit ?
En étant attentif à la géographie, à l’histoire des lieux, aux enjeux, aux écosystèmes, aux menaces spécifiques ?
En prenant le temps de parcourir les lieux où on habite et de rencontrer leurs habitants ?
Faire des séjours immersifs, des « stages » prolongés et actifs pour retrouver des racines ?
En ne se considérant plus comme un individu isolé entrepreneur de lui-même qui ne doit ni de demande rien à personne ? En sortant de l’idéologie libérale du chacun pour soi et en nouant des amitiés, des complicités, des entraides, des interdépendances ?
En retrouvant le chemin de l’artisanat, de la paysannerie, de la coopération au lieu de tout acheter des produits industriels en supermarché ou sur le net ?

Occuper l’espace public, le faire vivre et bouillonner ?
Mener des actions collectives soutenant les biens communs ?
Soustraire des lieux petits ou grands de l’emprise du Capital et de la Propriété pour en faire des communs ?
Ejecter les Maîtres et les élus pour multiplier les espaces de délibération et d’actions autonomes ?
Créer des temps et des dispositifs d’entraides et d’interdépendances pour en finir avec l’illusion de la toute puissance de l’individu roi et consommateur ?

Attaquer et affaiblir la Machine pour desserrer son étreinte et libérer des possibilités nouvelles ?

La tâche est immense, on a tellement été pacifiés et domestiqués par l’Etat-capitalisme, par le consumérisme et la propagande, qu’il faudrait pour s’en sortir la conjugaison d’une forte révolte instinctive, un réflexe de survie, et d’une profonde réflexion introspective radicale.
Tout dépendra du nombre de personnes pas encore transformées en zombies ou en cyborg docile, du nombre déterminé à quitter et détruire la Matrice. Il ne faudra pas compter sur de fortes majorités ; une forte minorité, plus ou moins largement soutenue, pourrait suffire.


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