Le 28 juillet 2017, un supermarché bio La Vie Claire a ouvert sur la zone commerciale Intermarché à Aouste-sur-Sye à l’emplacement de « Pro et cie », tout près de Crest. C’est un magasin de produits biologiques pour l’alimentation, la santé et le bien être.
On pourrait de prime abord se réjouir de voir l’essor du bio et l’apparition de nouveaux magasins.
Mais on peut aussi s’interroger sur le type de produits bio proposés, sur le type de magasins qui les proposent, et sur le type de système économique qu’ils perpétuent.
Sur le côté écologique des produits bio proposés
Vous pouvez lire une petite enquête de Reporterre : Dans les chaines bio, les fruits et légumes sont-ils toujours écolo ? Pas si simple
On voit que la concurrence et la nécessité de répondre aux souhaits des consommateurs pour vendre peut faire parfois pencher les pratiques vers le même modèle que les grandes surfaces : ce sont les consommateurs, plus ou moins bien informés, qui choisissent.
Avec le risque de vendre des produits pas très éthiques ou écologiques pour suivre les désirs des acheteurs.
Lire aussi « Les fausses promesses du bio industriel »
Dans les magasins sur Crest, à l’Etincelle ou à l’Epicerie Nouvelle, on trouve beaucoup de produits importés qui viennent de loin. Parce que les productions locales sont sans doute insuffisantes ou inexistantes dans certains domaines, mais aussi parce que les produits venant de l’étranger sont moins chers, permettent plus de marges de bénéfices pour le propriétaire du magasin, et sont peut-être plus accessibles aux consommateurs pauvres ou non fortunés. Ce sera sans doute similaire à La Vie Claire
L’Epicerie Nouvelle semble faire davantage d’efforts pour avoir des produits locaux.
A Crest il y a aussi les marchés et le magasin de producteurs. L’offre commerciale est donc variée.
Sur la structure économique de la Vie Claire et des autres magasins bio à Crest
Tous ces magasins (La Vie Claire, L’Etincelle, l’Epicerie Nouvelle), bien que se voulant bio, écologiques et éthiques, s’inscrivent dans l’économie de marché. Ils font du commerce, vendent des produits à des consommateurs contre de l’argent, ce qui permet des bénéfices pour les gérants/propriétaires et de payer des salaires.
Il est vrai qu’il n’est pas si facile de faire autrement car il n’y a pas d’autres modèles économiques en place, et il faut payer les loyers, les cotisations, etc.
Néanmoins, je relève quand même la contradiction. En effet, si on creuse un peu, on comprend que l’économie de marché (le capitalisme, hou le gros mot !) et l’écologie « véritable » ne sont pas très compatibles.
La mise en concurrence permanente des producteurs et magasins de produits bio dans l’économie de marché entraîne fatalement une recherche de baisse des coûts, une concentration des acteurs, et donc une baisse de qualité et d’exigences écologiques, une production de masse de type industrielle, l’importation de produits venant de loin où les travailleurs sont moins chers et moins protégés, la tentation de pousser à la consommation, le développement de la publicité et des emballages, sans parler des risques accrus de fraudes quand le circuit s’allonge.
Tandis que l’écologie devrait plutôt appeler à la modération, à la production locale, à la collaboration non marchande.
Certains diront que c’est positif, que les supermarchés permettent l’accès à tous aux produits bio... Peut-être, mais à quel prix écologique et social ? Pour quels produits ?
Tous les magasins bio s’inscrivent donc paradoxalement dans le capitalisme (= antithèse de l’écologie), mais certains ont des fonctionnement qui tentent quand même de s’en éloigner plus ou moins :
# La chaîne Biocoop a un conseil d’administration composé de producteurs, salariés, association de consommateur, et 40% de ses magasins sont des coopératives. Faudrait voir comment ça se passe dans les décisions courantes ?
# Localement, à Die, on trouve la Carline, une coopérative SCIC à but non lucratif, qui a plus de latitude pour travailler avec des producteurs locaux et pour pratiquer des prix accessibles à tous.
A la Carline, pas de capitalisation, pas de marge pour un dirigeant ou des actionnaires, pas de fausse promo, pas de produit d’appel, amplitude des salaires limitée à 1.7, etc.
C’est un fonctionnement plus éthique qui s’éloigne de la doctrine capitaliste.
# Voir aussi l’épicerie associative à Beaufort sur Gervanne, qui est prometteuse également.
# « Les supermarchés coopératifs » peuvent aussi être un début de sortie du modèle de l’économie de marché. Les clients sont remplacés par des coopérateurs bénévoles. Voir par exemple « La Louve » à Paris.
Les exemples de la Carline et des supermarchés coopératifs sont nettement plus intéressants que les magasins commerciaux. On aurait bien besoin sur Crest d’une coopérative de ce type plutôt que d’une énième surface commerciale !
Pour aller plus loin que ces coopératives, s’émanciper davantage de la concurrence et du problème insoluble de donner une valeur aux biens et services, il faudrait entre autre sortir des systèmes d’échanges basés sur l’euro, sur le temps de travail, voire ne plus utiliser de monnaie du tout. Mais ça implique la création d’un vrai réseau économique avec de multiples activités pour que chacun.e puisse s’y retrouver, ce qui impliques aussi des changements politiques et sociaux.
Il est possible d’inventer aussi des systèmes mixtes et inclusifs de type « coopérative intégrale ».
De tels systèmes économiques soutenables permettraient de satisfaire les besoins réels de tous, dans la sobriété et le bien vivre, et dans une vraie prise en compte des très graves crises écologiques. Car on voit bien que l’économie de marché, étant une des causes majeures des catastrophes écologiques, ne peut pas apporter de remèdes sérieux.
Sur Crest, le réseau « Autonomie Crest » s’est constitué fin 2016 pour avancer dans le sens de l’autogestion et de la construction de formes d’échanges économiques coopératifs hors marché.
Sur l’accessibilité des produits bio aux plus pauvres
Pour l’instant, les produits bio et locaux sont plus chers que les autres.
De ce fait, même en changeant les modes de consommation et en considérant les bénéfices du bio, ce n’est pas toujours facile pour les plus pauvres d’acheter beaucoup de bio (j’en suis !). D’autant qu’il y a aussi les barrières des classes sociales.
Des magasins coopératifs à but non lucratif permettraient déjà d’améliorer cette situation.
Mais il faudrait aussi des changements plus structurels.
Par exemple, une part de plus en plus importante de nos revenus est utilisée pour nous loger, pour l’immobilier.
De ce fait, la part d’argent disponible pour l’alimentation diminue. Veut-on continuer à tous vouloir être propriétaires, à autoriser/favoriser la spéculation et la gentrification, à vouloir placer de l’argent dans la Pierre ? Ou préfère-t-on pouvoir facilement payer des aliments et productions de qualité pour tous ? Et ainsi permettre aux producteurs de vivre moins durement.
Plus généralement, on retrouve le problème d’une économie de marché qui écrase tout, utilise et perpétue les inégalités, génère crises et chômage, favorise la précarité et l’individualisme, privilégie le profit à l’épanouissement individuel, au respect de la Terre et à la satisfaction des besoins réels, etc.
Dans une autre économie, soutenable et solidaire, plus besoin de multiples labels et contrôles, tout serait bio ou quasi, et personne n’aurait envie ni intérêt à « tricher » puisque qu’il y n’aurait ni échanges marchands ni recherche du profit, ni consommateurs ni actionnaires.
Conclusion : le bio, simple business ou support d’une autre forme d’économie ?
Le supermarché La Vie Claire d’Aouste, comme les autres magasins bio commerciaux de Crest et de la région, est dans un modèle archaïque qui nous enchaîne à l’économie de marché, à la déresponsabilisation sur l’écologie et l’économie, à la concurrence et à l’exploitation de travailleurs d’ici et d’ailleurs.
Ces magasins commerciaux sont donc globalement néfastes, mieux vaudrait développer des structures coopératives telles que La Carline à Die ou les « supermarchés coopératifs ».
Ou aller plus loin encore dans la rupture avec l’économie de marché pour se tourner vraiment vers la création d’une autre économie, en s’inspirant par exemple des coopératives intégrales et initiatives similaires.
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