Protégeons les lanceurs d’alerte, exigeons la libération de Julian Assange et son asile politique en France
Dans ce monde où le profit est loi et où l’injustice règne, certaines personnes ont le courage, tout en sachant les risques qu’elles prennent, d’adresser un signal d’alarme et, ce faisant, d’enclencher un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation collective. Ce risque est réel car ceux qui ont le pouvoir ou qui l’achètent, sont intraitables quand ils perçoivent l’éventualité d’un danger pour leurs intérêts à travers une dénonciation publique ou un scandale.
Et plus on s’attaque à gros, plus le risque est grand comme l’a bien montré le cas de Julian Assange, le créateur de WikiLeaks, qui s’est attaqué aux exactions de l’armée américaine. Les Etats-Unis n’ont en effet pas hésité à mettre une pression maximum sur tout pays ou organisation (1) pour discréditer le personnage et à polluer son message par des accusations mensongères, trafiquées et détournées de leur contexte.
Accusé injustement de viol par la justice et les médias suédois, ses ordinateurs portables « disparus » entre Suède et Allemagne, n’ayant reçu aucune assurance de sa non extradition par la Suède vers les Etats Unis, Julian Assange poursuit d’abord son voyage vers Londres et lorsque la Suède demande son extradition à la Grande Bretagne en 2012, il se réfugie dans l’ambassade équatorienne.
Jusque-là l’Equateur sous la présidence de Rafael Correa avait pu protéger Julian Assange de 2012 à 2018, mais le nouveau président, Lenín Moreno - mis en cause lui aussi par Wikileaks pour une affaire de corruption - l’a livré aux autorités britanniques.
Le Royaume-Uni et la Suède se sont entendus dans une campagne stratégique pour détenir Julian Assange, le priver d’une procédure régulière et saboter ses chances de liberté. En conséquence, Assange et son équipe juridique ont été confrontés à une suite d’injustices flagrantes. Le Royaume-Uni n’a pas agi de manière impartiale. Par exemple en Grande-Bretagne, les violations de la liberté sous caution entraînent rarement des peines de prison et elles ne sont généralement passibles que d’amendes. En revanche, Assange a été condamné - dans le cadre d’une procédure sommaire - à 50 semaines dans une prison de haute sécurité, une peine clairement disproportionnée qui n’avait qu’un seul but : détenir Assange suffisamment longtemps pour que les États-Unis puissent préparer leur dossier d’espionnage contre lui. Assange a donc été privé d’années d’innocence présumée, de santé, de liberté de mouvement, de capacité à communiquer avec le monde et de temps avec ses enfants et sa famille. Sa réputation a été détruite et l’opinion publique s’est progressivement détournée.
A noter que la France (François Hollande comme Emmanuel Macron) a refusé l’asile politique à Julian Assange. Cette affaire met en lumière la nécessité de protection des lanceurs d’alerte, qu’en est-il actuellement ?
Selon Jean-Philippe Foegle (2) : « Si la loi Sapin II a le mérite d’exister elle comporte quelques défauts qui ne protègent pas assez les lanceurs d’alerte. La loi exige d’alerter d’abord sa hiérarchie : ça revient à se jeter dans la gueule du loup ! Car bien souvent, la hiérarchie est impliquée dans les faits dénoncés par le salarié. Et cela crée en plus un risque de destruction de preuve. En effet, ce n’est seulement qu’en cas d’absence de réaction de la direction que le lanceur d’alerte peut prévenir la justice puis, dans un troisième temps, rendre publique son alerte. Les juridictions étant encombrées, les procédures prennent du temps et la personne se retrouve souvent très vite licenciée, elle doit aussi faire face à des intimidations. Même si le lanceur d’alerte gagne en justice, le mal est fait. »
Une directive européenne a été adoptée en avril dernier, afin de protéger les lanceurs d’alerte dans l’ensemble des pays de l’UE. Mais cette directive doit encore être transposée en droit français. Une procédure qui pourrait prendre jusqu’à deux ans. (Voir synthèse dans dernier paragraphe)
Par ailleurs, une initiative citoyenne, la Maison des lanceurs d’alerte (3) initialement portée par Sciences Citoyennes et Transparency France et créée le 22 octobre 2018, est une organisation de la société civile, mise en place à l’initiative de 17 organisations s’engageant à œuvrer conjointement à la protection des lanceurs d’alerte en les accompagnant au quotidien et à plaider pour une amélioration de leur protection.
L’affaire Julian Assange est un symbole de la lutte pour la transparence, la démocratie et la liberté d’expression. L’enjeu est d’importance : plier devant les goliaths des multinationales ou garder l’espoir que le courage des opinions peut finir par s’imposer. Se battre pour la libération de Julian Assange - et son accueil comme réfugié politique - c’est lutter contre une classe qui appuie son pouvoir et ses profits sur l’opacité de l’information, sur la force brute, sur les mensonges. Pour laisser aux générations à venir un monde plus juste, ne passons pas à côté de ce combat.
Notes :
(1) Organisations : des associations de défense de la presse, de la liberté d’expression, de la transparence comme Acrimed, FreeAssange, Reporters Sans Frontières, Fondation Courage, Aipazcomun, le Comité international Lula Livre-Genève, Didepu et de nombreuses ONG
(2) Jean-Philippe Foegle : doctorant en droit public, spécialiste de l’encadrement juridique des lanceurs d’alerte, coordinateur de la Maison des lanceurs d’alerte
Sources :
https://mlalerte.org/ (Maison des lanceurs d’alerte)
https://fr.wikipedia.org/wiki/WikiLeaks
https://www.france24.com/fr/tag/wikileaks/3/#pager
https://www.legrandsoir.info/+-julian-assange-+.html
Directive européenne
La création de canaux de signalement au sein des entreprises et des administrations : le texte prévoit l’obligation de mettre en place des canaux de signalement effectifs et efficaces dans les entreprises de plus de 50 employés ou les villes de plus de 10 000 habitants. Le développement d’une culture d’entreprise saine sera ainsi favorisé ;
Une hiérarchie des canaux de communication : les lanceurs d’alerte sont encouragés à utiliser en premier lieu les canaux internes à leur organisation, avant de se tourner vers des canaux externes que les autorités publiques sont obligées de mettre en place. En tout état de cause, les lanceurs d’alerte ne perdront pas la protection dont ils bénéficient s’ils décident de recourir en premier lieu à des canaux externes ;
La protection d’un grand nombre de profils par les nouvelles règles : la protection est accordée à des personnes aux profils très variés qui sont susceptibles d’acquérir des informations sur des infractions dans un contexte professionnel, par exemple des employés, y compris des fonctionnaires au niveau national/local, des bénévoles et des stagiaires, des membres non exécutifs, des actionnaires, etc. ;
Un large champ d’application : les nouvelles règles couvriront des domaines tels que les marchés publics, les services financiers, la prévention du blanchiment de capitaux, la santé publique, etc. Par souci de sécurité juridique, une liste de l’ensemble des instruments législatifs de l’UE couverts figure en annexe de la directive. Lorsqu’ils appliquent les nouvelles règles, les États membres peuvent aller au‑delà de cette liste ;
Des mesures de soutien et de protection en faveur des lanceurs d’alerte : les règles introduisent des mesures visant à protéger les lanceurs d’alerte contre les représailles, telles que la suspension, la rétrogradation ou l’intimidation. Les personnes qui aident les lanceurs d’alerte, tels que des collègues ou des proches, sont aussi protégées. La directive contient aussi une liste des mesures de soutien qui seront mises en place pour les lanceurs d’alerte ;
Des obligations de retour d’information incombant aux autorités et aux entreprises : les règles créent une obligation, pour les autorités et les entreprises, de réagir aux rapports des lanceurs d’alerte et d’y donner suite dans un délai de 3 mois (ce délai pouvant, dans des cas dûment justifiés, être porté à 6 mois pour les canaux externes) ;