Mégamachine : décortiquer et comprendre les gigantesques infrastructures électriques et numériques, insoutenables et indésirables

Aller au bout des flux, là où se révèle la matérialité des machines et des câbles

vendredi 7 octobre 2022, par Les Indiens du Futur.

Le numérique a besoin de beaucoup d’électricité et la production électrique a besoin du numérique. L’accumulation d’infrastructures complexes et mondialisées participe à l’extension de la mégamachine, une machine techno-industrielle géante puissante qui dévore tout pour ses propres besoins croissants et boulimiques.
Un livre décortique le système industriel numérique/électrique, de quoi comprendre le fonctionnement de cette « mégamachine ».
Si on vise des sociétés soutenables qui ne soient plus destinées à servir la Machine et la technocratie sur fond de destruction du tissu vivant et de grave dérèglement climatique accéléré, la question des infrastructures lourdes et complexes se pose, et pas seulement la question de leur usage et de leur mode de gestion (capitaliste, étatique, auto-géré).

A présent les impératifs de la technologie semblent bien dicter au capitalisme un certain modèle de société.

Technologies et innovations ne résolvent pas du tout les problèmes posés par les technologies, au contraire, de nouvelles couches de complexité, d’administration centralisée, de besoins énergétiques et en matières premières s’empilent.

Mégamachine : décortiquer et comprendre les gigantesques infrastructures électriques et numériques
Schéma simplifié des réseaux électriques

Le pouvoir des infrastructures - Comprendre la mégamachine électrique - Rencontre avec Fanny Lopez

- Le pouvoir des infrastructures - Comprendre la mégamachine électrique - Rencontre avec Fanny Lopez
Dans À Bout de Flux, qui vient de paraître aux Éditions Divergences, l’historienne de l’architecture Fanny Lopez poursuit un travail qui s’attache à décortiquer les dimensions politiques et spatiales des infrastructures énergétiques. L’auteur y déploie une double histoire du numérique et des réseaux de production, d’acheminement et de transmission électrique : un éventail de prises pratiques par lesquelles comprendre le fonctionnement de cette « mégamachine ».
A l’heure où les appareils gouvernementaux présentent la sobriété individuelle comme réponse à la crise de l’énergie, et où Ursula Von Der Leyen nous apprend comment nous laver les mains sans gaspiller de l’eau en sifflant l’hymne européen, Fanny Lopez revient avec clarté et finesse sur les aspects matériels de ces infrastructures, et met en relief différentes propositions pour les mettre en déroute : leur opposer d’autres formes de réseaux, d’autres rapports à la technique.

« Le numérique a un double : l’infrastructure électrique. Le rapport immédiat aux objets connectés (smartphone, ordinateur) invisibilise le continuum infernal d’infrastructures qui se cachent derrière : data centers, câbles sous-marins, réseaux de transmission et de distribution d’électricité. Alors que le numérique accompagne une électrification massive des usages, le système électrique dépend lui-même de plus en plus du numérique pour fonctionner. Pour comprendre ce grand système et imaginer comment le transformer, il nous faut aller au bout des flux, là où se révèle la matérialité des machines et des câbles. »

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Infrastructure électrique pour alimenter le numérique dit « immatériel »

+ Bonnes feuilles sur : À bout de flux - Fanny Lopez :

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Doublé en extérieur d’une sécurité infrarouge, le mur d’enceinte de six mètres est auréolé de barbelés et d’une ribambelle de caméras de très haute précision. Au sol, sous le bitume, tout autour du bâtiment, une technologie israélienne de fibre optique détecte les mouvements. À l’intérieur, la circulation est sans cesse interrompue par des sas, caméras thermiques, vitres blindées, double, triple codages, surveillant·es de couloirs. 25000 points de sûreté, presque autant que dans une centrale nucléaire. Les centres de données (ou data center) sont aujourd’hui les infrastructures les mieux surveillées et les plus efficientes de France, avec des moyens capitalistiques inégalés pour des objets d’une incomparable technicité.
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Rien n’est trop cher pour protéger et optimiser le lieu d’échange de la valeur. Car ce n’est ni au moment de sa création, ni durant son traitement, ni pendant son stockage que la donnée prend de la valeur. Ce qui crée de la valeur c’est sa circulation
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À l’échelle de la région Île-de-France, on compte 130 sites pour 155 bâtiments, soit l’équivalent en consommation des deux réacteurs à eau pressurisée de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine
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Le phénomène d’accroissement exponentiel de la data se poursuit à un rythme de 130 à 160 % par an. Soit une multiplication par dix tous les six ans. D’ici 2024, l’ensemble des deux mille plus grandes sociétés par actions mondiales (Forbes Global 2000) aura accumulé assez de données pour qu’il soit besoin d’accéder à un calcul quantique afin de les gérer efficacement. Les industriels du numérique réservent foncier et MW en prévision.
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le secteur numérique pourrait représenter 25 % de l’électricité mondiale en 2025. La consommation avoisinerait toutefois aujourd’hui 10 % de la production électrique mondiale.
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Le secteur public (collectivités, opérateur de fibre, d’électricité) est KO face aux géants du numérique. Aucune création d’infrastructure n’a rapporté autant d’argent aux actionnaires de ce secteur privé et si peu aux collectivités. Pour ce qui est des services rendus à la société civile, ils doivent aussi se mesurer à l’aune de la remise en cause de l’ultraconnexion généralisée comme mode de vie, de l’excès d’écran et de la collecte des données personnelles. Comme s’il y avait une impérieuse nécessité à être connecté 24 heures sur 24 à du très très haut débit sur plusieurs écrans en simultané. Ce numérique-là est morbide, il n’est en rien une nécessité vitale, il n’est pas non plus un service public comparable à celui que fut un temps celui de la santé, de l’assainissement ou de l’électricité
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À l’heure où ce qui est en jeu est l’habitabilité de la planète, l’hégémonie néolibérale nous presse encore à croire que le dépassement de la crise organique du capitalisme viendrait par le salut de ses forces techniques internes que sont l’innovation, la transition orientée croissance verte et le tout numérique. Le système numérique apparaît comme le parangon dystopique de la modernité (surconsommation électrique, traçage, fusion, contrôle en temps réel). La fuite en avant des GAFAM24 et des grands industriels de centres de données s’illustre comme l’un des plus cuisants symptômes de cette dramatique fantasmagorie. Ils déploient dans une vertigineuse débauche de flux ce qui est le nœud même de la logique du capitalisme : l’expansion infinie. L’accumulation et l’ivresse technologique du secteur numérique apparaissent en contradiction totale avec la décroissance énergétique et le tournant technique dans lesquels il faudrait radicalement s’engager.

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Livre « A bout de flux » de Fanny Lopez

CHRONIQUE LECTURE : POUR PENSER ET BLOQUER LES FLUX

Cette semaine en librairie : A bout de flux de Fanny Lopez aux éditions Divergences. Alors que la crise énergétique est au cœur de l’actualité et que plane la menace de coupures d’électricité, Fanny Lopez signe un essai fascinant sur les infrastructures électriques qui jalonnent notre territoire.
Historienne de l’architecture et des techniques, Fanny Lopez, travaille notamment sur les liens qui s’opèrent entre urbanisme et histoire de l’électricité. C’est donc dans une approche matérialiste qu’elle questionne la place des infrastructures électriques et l’impact grandissant du numérique. Ces structures, et tous le réseaux qui se déploient autour de nous, pour nous permettre de nous éclairer et d’allumer notre ordinateur, nous n’y prêtons pas forcément attention. Et pourtant ce système réticulaire ne cesse de grossir. Concrètement, tous les ordinateurs, smartphones et objets connectés nécessitent une quantité gigantesque d’énergie, donc des structures et des centres de données de plus en plus importants. Et le fonctionnement du système électrique devient lui-même de plus en plus dépendant du numérique. Cette année au moins six nouveaux câblages sous-marins de fibre optique ont été installés dans le monde.

Le câble 2africa déployé par Facebook devient le plus long du monde avec 45 000km de longueur : « il fait littéralement le tour du continent africain et de tous les pays limitrophes jusqu’à l’Arabie Saoudite, revenant s’interconnecter à Marseille, qui confirme sa place de gateway mondial. » Le numérique est très gourmand en électricité, RTE, le gestionnaire de transport de l’électricité en France « prévoit pour 2050 une multiplication par trois de la consommation des centres de données ».

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Système de refroidissement lourd pour data center du numérique dit « immatériel » et propre

La dynamique de croissance imposée par les GAFAM a un impact sur les réseaux avec des infrastructures qui deviennent de plus en plus coûteuses. Mais cela pose évidemment d’autres problèmes : spatial, urbain, environnemental, paysager, foncier, etc. Cette logique capitaliste s’impose en plus à un secteur qui relève de financements publics : « Le secteur public (collectivités, opérateur de fibre, d’électricité) est KO face aux géants du numérique. Aucune création d’infrastructure n’a rapporté autant d’argent aux actionnaires de ce secteur privé et si peu aux collectivités. Pour ce qui est des services rendus à la société civile, ils doivent aussi se mesurer à l’aune de la remise en cause de l’ultraconnexion généralisée comme mode de vie, de l’excès d’écran et de la collecte de données personnelles. Comme s’il y avait une impérieuse nécessité à être connecté 24 heures sur 24 à du très haut débit sur plusieurs écrans en simultané. Ce numérique-là est morbide, il n’est en rien une nécessité vitale, il n’est pas non plus un service public comparable à celui que fut un temps celui de la santé, de l’assainissement ou de l’électricité. » Fanny Lopez nous rappelle que les infrastructures électriques n’ont rien de neutre, que la façon même de les concevoir et de les gérer, avec une centralisation très forte en France et une grande opacité, relève de choix politiques. « Déjà en 2011, le rapport de Greenpeace Battle of the Grids (La bataille des réseaux électriques) avait montré qu’une intégration à large échelle de l’électricité renouvelable dans le réseau européen (68% pour 2030 et 99,5% pour 2050) était faisable tant sur le plan technique qu’économique. Le scénario garantissait un niveau élevé de sécurité d’approvisionnement, même dans les conditions climatiques les plus extrêmes (avec peu de vent et un faible rayonnement solaire). »

Pourtant, le président de RTE est très clair : « Arrêtons d’opposer les énergies renouvelables et le nucléaire quand on peut avoir les deux. » Nous sommes loin de la sobriété. C’est plutôt l’accumulation qui est encouragée - « il faut produire plus d’électricité » - avec des investissements colossaux et des structures de plus en plus visibles. L’essai de Fanny Lopez, nous fait pénétrer les dessous du système électrique et nous encourage à questionner les configurations structurelles existantes. Les crises (géopolitique, climatique et technique) que nous traversons frappent toutes les infrastructures de l’énergie. Il y a donc un véritable enjeu à repenser leur gestion et le maillage territorial qui en découle.

(un post FB)

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Infrastructure électrique

Pas seulement sortir la technologie du capitalisme pour en faire des communs

Sortir du capitalisme pour mettre en gestion commune ou en services publics les technologies et infrastructures du système techno-industriel ne permet pas d’éviter les systèmes centralisés et autoritaires, ni même de stopper la destruction de la biosphère.
Les améliorations éventuelles apportées par une gestion non-capitaliste (surtout si on reste avec l’Etat et des sociétés de masse) seraient loin de résoudre les problèmes.
Il faudrait envisager la question à l’envers : au lieu de voir comment réduire, gérer mieux et modifier les technologies/infrastructures existantes, plutôt élaborer un modèle de société soutenable, désirable et vivable, et voir quelles techniques sont nécessaires et compatibles avec ce modèle.

Car le problème c’est aussi la technologie en elle-même, les infrastructures techno-industrielles en elles-mêmes, les flux de matières et d’énergies qu’elles absorbent pour fonctionner (ne pas oublier les écrans et terminaux utilisateurs, très gourmands), et ce à quoi sert l’énergie et le numérique (à faire tourner des usines et à augmenter le volume d’argent et la puissance au profit des Etats et du productivisme). L’extractivisme forcené nécessité par ce système industriel détruit les mondes vivants, même avec moins d’utilisation d’énergies fossiles (ce qui en réalité ne se fait pas à l’échelle planétaire, puisque les nouvelles énergies s’ajoutent aux anciennes et ne les remplacent pas).

- Voir par exemple :

- Sur Ricochets :

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Transformateur électrique

P.-S.

Invitation en vue de créer un groupe/mouvement d’écologie sociale et radicale en Drôme

- Pour se sortir du système techno-industriel productiviste, parmi les actions indispensables possibles, rejoignez ce mouvement qu’on essaie de faire naître : invitation en vue de créer un groupe/mouvement d’écologie sociale et radicale en Drôme
- Prochaine réunion prévue mi-octobre
- Contact


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