Le député Fauvergue, ancien chef du RAID, super-flic recyclé En marche, nous ordonne d’oublier Malik Oussekine. « Il faut oublier l’affaire Malik Oussekine » a-t-il martelé dans l’une de ces émissions de propagande que diffuse la télé, sans qu’autour de lui les serveurs de soupe appointés, chroniqueurs du pouvoir ou soi-disant journalistes, n’y voient rien à redire.
Plus franc du collier que le grand poulaga de la préfecture ou que son chef du ministère, le député balance sans ambages l’objectif inavoué de la réactivation des voltigeurs, ces flics à moto allant par paire : l’un conduit tandis que l’autre, assis à l’arrière cogne sur le manifestant. À la matraque hier, au tonfa et au LBD aujourd’hui.
« Il faut oublier l’affaire Malik Oussekine. »
Oublier Malik, mort à 22 ans sous les coups de tels policiers un soir de manif en décembre 1986. Oublier l’affaire, oublier que les voltigeurs l’ont coursé, suivi jusque dans le fond d’un hall d’immeuble, frappé à mort, sans aucune raison. Oublier que le FN a clamé qu’un « Français comme Oussekine on peut s’en passer », un Français avec une histoire aussi algérienne, un Arabe, un gauchiste. Oublier que le ministre d’alors avait considéré que Malik souffrant des reins n’avait pas « à faire le con la nuit » et que d’affaire, donc, il n’y aurait pas lieu d’avoir puisque c’était de sa faute à Malik et pas celle des flics-qui-font-un-travail-difficile. Comme Geneviève Legay aujourd’hui, ces deux-là, l’Arabe sous dialyse et la vieille aux cheveux gris, auraient dû faire preuve de « sagesse » en restant chez eux tant la rue est pleine de dangers quand elle est pleine de flics.
Oublier. Le bras du député balaye la table d’un geste ample et le blanc de la table qu’on avait pas plus remarqué qu’un autre élément du décor insipide, soudain déchire l’écran, aveugle. Il faut oublier l’affaire Malik Oussekine, à la place de Malik : un blanc. Un blanc dans la mémoire collective, pour que les voltigeurs qu’on appellera autrement renouent avec les vieilles traditions de la course à moto et du manifestant passé à tabac jusqu’au fond d’un hall d’immeuble obscur. Ah mais c’est qu’il faut défendre la république, les braves gens et les petits commerçants, explique le député Fauvergue. Depuis les Versaillais, la réaction ressert éternellement les mêmes mensonges.
En marche vers l’oubli des victimes de la répression, de la violence légitime de l’État qui envoie ses fonctionnaires fracasser les crânes de leurs concitoyens avec permis d’y aller franco. Pour les flics, c’est open bar depuis cinq mois, les mutilations et les blessures se suivent et se ressemblent d’un samedi l’autre et les juges condamnent les manifestants. Il faut oublier Malik Oussekine et taper encore plus fort, si c’est possible, pérore le député Fauvergue, ce représentant dévoué de celleux qui l’ont élu, qui vote aussi les lois.
Mais nos crânes sont plus durs que vos matraques. Non, pas nos crânes d’os qui pètent et qu’il faut recoudre en essayant de restaurer ce qu’il y a dessous, pas l’œil ou la main de chair et de sang irrémédiablement perdus, mais nos têtes qui résistent aux assignations à l’oubli du député Fauvergue, aux machines à décerveler montées partout même (surtout ?) dans les écoles. Non, nous n’oublierons pas la mort de Malik Oussekine, pas plus que celle de Madame Redouane et chaque nouvelle victime fait immédiatement resurgir la mémoire de toutes les autres : le souvenir de Maria Blondeau morte à 18 ans avec huit comme elle, le 1er mai 1891, sous les balles de la troupe tirant au fusil Lebel sur les manifestants à Fourmies.