Malgré les catastrophes sociales, écologiques et climatiques, nous continuons ...à reproduire et soutenir le même système destructeur

Nous vivons décidément une époque bien spéciale - A quand des engagements massifs et permanents dans les luttes collectives ?

dimanche 20 octobre 2019, par Camille Pierrette.

Nous vivons décidément une époque bien spéciale.

D’une part, nous sommes pour la plupart conscients que le monde vivant tombe en lambeaux : les espèces animales et végétales disparaissent toujours plus vite, le climat se réchauffe encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne puisse bientôt même plus héberger la vie, les glaciers et la banquise fondent et s’amenuisent jusqu’à en faire déborder les océans,…

Et d’autre part, nous continuons.

Pour la plupart, nous continuons à travailler, assis, dans nos bureaux étroits et aseptisés. Ou dans nos grands buildings et nos hôpitaux. La journée réglementaire se terminant, nous nous déplaçons, assis toujours, dans un véhicule hermétique, jusqu’au supermarché, puis jusqu’à notre domicile. Nous retrouvons parfois notre famille, ou pas, nous mangeons puis nous dormons. Et le cycle recommence. Chaque jour.

Les jeunes, pour leur part, sont envoyés à l’usine de formatage : l’école.

Primaire, puis secondaire, et enfin… l’école supérieure, ou « université ». Cette grande et indispensable institution qui nous « prépare au marché du travail ». Envisager s’y rendre pour « apprendre » est dépassé désormais. Tout le monde sait que ça ne sert pas à ça. On y apprend oui, mais à « travailler ». Cette usine scolaire, littéralement, où les gens se croisent par milliers, le regard concentré sur le chemin vers l’« auditoire », grande salle où l’on écoute en patience celui ou celle qui « sait ». C’est à ça que se résume quasiment la seule interaction sociale que vit l’étudiant au sein de l’usine universitaire. Le cours terminé, les masses d’étudiants sortent de l’auditoire, pour s’en rendre à un autre. Tels des robots.

En bref, l’école est ce lieu où s’apprend avant tout la reproduction des automatismes individualistes et des réflexes de sécession intellectuelle : ceux et celles qui y sont passés auront un « diplôme », les jetant ainsi dans le grand jeu de la concurrence, entre eux et « ceux qui ne sont rien ».

Sortis de l’université, on s’envole pour le monde du « travail », donc. On y exerce le savoir acquis au cours du passage à l’usine universitaire, en appliquant celui-ci sur les touches d’un ordinateur, dans des laboratoires, dans des bureaux, ou en le transmettant à d’autres qui suivront la même trajectoire par la suite. C’est un continuum subis par tout un chacun, et qui structure la vie de toutes et tous au sein du monde moderne.

Nous continuons à suivre ce fil structurant nos vies, donc. Et ce, malgré ce « mal qui vient ». Ou plutôt ce mal bien présent, et déjà bien installé. Mais loin de nous. Car on le sait, on le sens : la catastrophe plane, elle est dans l’air, elle flotte au-dessus de nos têtes tout en se manifestant directement dans d’autres espaces terrestres. Ici, on la sait ; là-bas on la ressent. Tel est le drame de ce « en même temps » : nous sommes coupés de l’essentiel pourtant menacé, comme si l’essentiel se trouvait en dehors de « notre monde ». Nos corps ne sont pas en contact avec ce qu’il se passe vraiment, avec les mondes vivants extérieurs à « notre monde ».

Voilà donc ce dont nous sommes coupés : le monde vivant. Ce monde que l’on se doit de considérer comme étant l’« essentiel », au sens où le nôtre n’est qu’artifice.

L’enjeu, non pas de ce siècle, mais bien du présent, est de nous défaire de l’artifice afin de nous retrouver à notre place : le monde des vivants. Car à force d’avoir bâti et laissé s’étendre un monde artificiel, mythifiant un humain tout-puissant, nous avons soumis le monde vivant à des logiques qui contredisent son existence même. Ce monde, dans lequel nous nous laissons porter avec ivresse et complaisance, nous devons lui faire la peau. Nous devons en sortir, et nous battre pour que le monde reste, voire redevienne vivant. Nous devons arrêter l’anéantissement de l’essentiel en interposant nos corps entre ce qui compte, et ce qui ne compte pas.

L’écologie, si elle a bien été absorbée en tant que valeur de légitimation du monde moderne, la vidant alors de toute substance réelle, doit en être extirpée. L’écologie n’est pas compatible avec notre monde, avec la société industrielle, avec le capitalisme. L’écologie est un ensemble de relations vivantes, de corps à corps, d’égal à égal, de sujet à sujet, entre êtres du même monde. Inutiles les intermédiaires, les hiérarchies, le « sommet » au-dessus de la « base ». Ce sont des notions héritées d’un monde qui se doit révolu, et qui travestissent les possibilités d’un rapport au monde sensible, véritablement vivant.

C’est maintenant un choix, que nous, vous, toi, moi devons faire : continuer dans ce nexus destructeur, ou le combattre jusqu’à nous sentir vivant, afin de permettre que la vie continue, tout simplement.

Piero Amand
- A retrouver sur l’excellent Journal d’écologie critique.

Remarques persos

Dans la Drôme comme partout, on observe le même phénomène.
A part les gilets jaunes, des personnes qui essaient quelque chose avec Extinction Rebellion, la masse des gens n’a rien changé ou presque à ses engagements dans indispensables les luttes collectives.
On voit toujours les mêmes personnes qui s’acharnent à lutter, peu ou pas du tout soutenues par les autres.
On voit toujours des foules qui se pressent aux concerts, aux terrasses des cafés, aux supermarchés, mais toujours aussi peu de monde pour organiser et participer aux actions engagées.
On voit toujours des gens qui râlent violemment quand ils sont empêchés 10 minutes d’accéder à leur magasin écocidaire favori.
On entend toujours les mêmes phrases méprisantes, répliques de la propagande politico-merdiatique, adressées aux contestataires : « moi je travaille ! », « fainéants », « allez plutôt travailler »...
On observe toujours les mêmes illusions sur la supposée puissance de l’addition des petits gestes individuels d’alter consommation.

Malgré le fait que les problèmes écologico-climatiques et sociaux commencent à davantage nous toucher de près (quand ça touchait le monde vivant ailleurs ou d’autres peuples on s’en foutait encore plus), l’indifférence, la résignation et la servitude volontaire demeurent. Parfois on a même l’impression que le déni et l’acharnement à ne rien changer augmentent par contrecoup pour fuir la nécessité d’agir.

Que faudra-t-il qu’il se passe pour voir un réveil plus large ?
Des famines ici ? Des milliers de morts à cause d’inondations ou de sécheresses ? Des dizaines de catastrophes Lubrizol (Rouen) avec des milliers de morts ? Que le cataclysme soit à deux mètres de notre face ?

Le problème qu’on ne veut pas voir avec les catastrophes écologico-climatiques, c’est que la plupart de effets sont décalés dans le temps. Si on attend d’avoir les catastrophes en pleine poire pour réagir c’est trop tard !
C’est comme un tsunami, quand la vague s’est levée, c’est trop tard, on ne peut que courir en vain et se faire engloutir par les eaux en furie.

Historiquement, on voit que seules des minorités ont résisté, donc il faudra malheureusement faire avec, voir Pourquoi ne résiste-t-on pas ? La psychologie de la résistance

Les habituels militant.e.s et lanceureuses d’alerte continueront à se battre, mais comprenez bien qu’ils-elles auront du mal si la masse des gens restent complètement passive et même s’oppose à tout changement radical en restant solidaire des maîtres et des tyrans.
C’est fini de compter sur les autres, sur des minorités et des activistes pour faire tout le boulot !
Un max de monde doit participer régulièrement aux luttes collectives (pour la démocratie plus ou moins directe, pour la fin du capitalisme et de la civilisation industrielle, pour des sociétés autonomes vivables soutenables) d’une manière ou d’une autre, y en a pour tous les goûts.

Pour commencer, les « non-actifs » pourraient au moins faire des choses faciles :

  • affirmer publiquement et médiatiquement leur solidarité aux luttes existantes
  • soutenir matériellement et financièrement ces luttes

Ensuite, finie la passivité et le soutien de loin, les « non-actifs » devront réorganiser leurs vies, travailler moins et autrement, aller moins souvent en vacances et aux concerts, moins traîner aux terrasses des bars et restaurants, pour faire plus de place à leur engagement dans les luttes collectives. Les actions collectives c’est moins bien noté socialement et dans les cercles du pouvoir, mais ça peut être tout aussi excitant que les loisirs, et en plus on touche la richesse, la complexité et les difficultés des relations humaines au lieu de fuir dans les paradis artificiels vantés par la publicité et les normes sociales de l’éclate et du « pas de prise de tête ».


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