elon le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, « lorsque les manifestations deviennent violentes, [ce n’est] pas de la part des policiers. C’est eux les victimes des violences. » C’est ainsi qu’il a répondu à un auditeur qui l’a interpellé sur France Inter le 23 septembre. Le déni des violences policières n’a donc pas évolué. Et le le nouveau schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) en est une preuve supplémentaire.
Mais qui pourra témoigner des violences policières ? Parmi les mesures contestées, l’obligation pour les journalistes d’être titulaires d’une carte de presse et accrédités auprès des autorités pour couvrir les manifestations. Une atteinte dénoncée dans une lettre signée par près de quarante sociétés de journalistes (à lire ici). « C’est un gros malentendu, assure le ministre. On n’a jamais demandé une carte de presse pour pouvoir être journaliste sur une manifestation. »
Pourtant, le texte du maintien de l’ordre stipule bien qu’afin d’améliorer « la prise en compte de la présence des journalistes au sein des opérations de maintien de l’ordre […] un officier référent peut être utilement désigné au sein des forces et un canal dédié mis en place, tout au long de la manifestation, avec les journalistes, titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités ».
Le ministre s’est engagé à dialoguer, en particulier sur un autre point d’achoppement qui porte sur la protection des journalistes au cours des opérations de maintien de l’ordre. Le SNMO prévoit que lors de la dispersion d’un attroupement, et « après sommation, […] aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations » ne sera faite. En d’autres termes, les journalistes ne pourront plus documenter le recours à la force et ses dérives, sans risquer d’en être eux-mêmes la cible.
Unités en civil armées de LBD place de la Bastille © Karl Laske
Passée inaperçue et également inquiétante, l’intensification de la communication ministérielle au service des forces de l’ordre : « Les opérations d’ordre public, en raison de leur complexité grandissante mais également de l’environnement médiatique dans lequel elles s’inscrivent, doivent faire l’objet d’une communication externe dynamique, destinée à expliquer l’action de l’État, à rétablir les faits et à lutter contre les fake news. »
Cela n’est pas sans rappeler la polémique qu’avait suscitée, en avril, la sélection par le gouvernement d’articles jugés « sûrs et vérifiés », issus de cinq médias et proposé sur son site à la rubrique « Désinfox coronavirus ». Le ministère de l’information a pourtant disparu depuis 1974.
Peu importe. Concernant les manifestations, cette communication peut être « portée par les porte-paroles du ministère et des directions opérationnelles. L’embarquement de journalistes au plus près des forces [de l’ordre] est également possible ». Le schéma national envisage également de doter « les forces de l’ordre de matériels et d’équipes permettant de réaliser ces prises de vues ».
L’objectif ? Encourager « la diffusion de photos des matériels dangereux saisis [sur les manifestants] et d’images illustrant la réalité des violences contre les forces de l’ordre ». En somme, montrer que les violences ne sont pas policières mais que ce sont les policiers qui en sont les victimes.
D’ailleurs, quelques jours avant la publication du nouveau schéma du maintien de l’ordre, le ministre qui intervenait le 10 septembre au congrès du syndicat Unsa-Police n’a pas caché ses convictions.
En présence notamment du Directeur général de la police nationale Frédéric Veaux et du préfet de police de Paris Didier Lallement, il a commencé son allocution par cette déclaration : « Dans les propos publics, dans les propos privés, dans les actes que j’ai commis depuis que j’ai l’âge d’être élu […] dans ma vie de citoyen, comme dans ma vie publique […] je serai toujours du côté des policiers. […] Il n’y a pas deux paroles qui se valent entre celui qui conteste l’autorité et celui qui a l’autorité. Il y a d’abord l’autorité des policiers. Par nature, par construction et par définition, sa parole vaut plus que celui qui n’est pas policier. »
De ce point de vue, Gérald Darmanin va s’employer à mettre en œuvre toutes les mesures propres à défendre les policiers. Lors de cette réunion, il a aussi annoncé vouloir proposer rapidement au Parlement une loi rendant obligatoire le floutage de leurs visages lors de la diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Mais ce n’est pas tout. « Je souhaite que ce soit inscrit dans la loi, a déclaré le ministre, que les images des drones que nous devons généraliser et que le préfet de police a courageusement commencé à utiliser, qui doit être généralisé partout sur le territoire national notamment dans les manifestations, puissent être rapidement utilisées et diffusées pour démontrer que l’image montrée par certains ou par certains médias était plus complexe que celle qu’on a vue […] que le niveau de tension et parfois les gestes effectivement inacceptables doivent être recontextualisés. Et l’opinion doit avoir l’ensemble des faits et pas seulement les cinq secondes qui arrangent les personnes qui veulent vous attaquer ou vous salir. »
Un « geste effectivement inacceptable » deviendra-t-il acceptable du fait du contexte ? La formule interpelle, tout comme le recours aux drones. Leur usage pour contrôler le déconfinement, par le préfet Didier Lallement, avait déjà posé problème.
Très tôt, des associations comme la Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’homme avaient alerté sur l’illégalité de leur utilisation et saisi le tribunal administratif de Paris.
En mai, le Conseil d’État avait en effet ordonné la suspension de leur utilisation, estimant que le traitement des images filmées par les autorités ne garantissait pas, en l’état, la protection des données personnelles. Interrogé sur l’utilisation des drones et de leurs images, le cabinet de Gérald Darmanin n’a pas répondu à nos questions.
Et les pratiques de Didier Lallement n’ont pas fini d’inspirer le ministre de l’intérieur. Ce qui était de l’ordre de l’expérimentation devient désormais la règle. Ainsi, le nouveau schéma national du maintien de l’ordre entérine les brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV) qui vont au contact des manifestants.
Créés par le préfet Didier Lallement, en février 2019, ces binômes de policiers à moto, autrefois appelés les voltigeurs, avaient pourtant été interdits depuis le décès de Malik Oussekine le 6 décembre 1986.
Le nouveau schéma du maintien de l’ordre loue la « mobilité et capacité d’interpellation » des brigades et souhaite, là aussi, les voir étendues sur tout le territoire. Cette doctrine plus répressive du maintien de l’ordre vise, selon le ministère, à garantir aux manifestants « le droit de s’exprimer sur la voie publique » en s’attaquant à « l’infiltration plus systématique de casseurs au sein des cortèges ».
Comme nous l’avions relaté dans une enquête sur les pratiques illégales du préfet Didier Lallement, l’action de ces unités pose pourtant problème, et cela au sein même des forces de l’ordre. Comme l’écrivait un CRS sur une messagerie interne partagée au sein de sa compagnie, lors de la mobilisation des « gilets jaunes » du 18 janvier 2020, « les black blocs ne bronchaient pas. Ça a commencé à dégénérer quand les BRAV ont commencé à intervenir ». À la fin de la manifestation, à la gare de Lyon, « les BRAV se sont mis à foncer dans le tas. […] C’est incroyable de foncer dans le tas comme ça alors que ce n’était pas conflictuel ».
Concernant les armes, peu, voire pas de changement. Les lanceurs de balle de défense (LBD) pourtant à l’origine de nombreuses mutilations ne sont pas retirés comme l’avait demandé à plusieurs reprises l’ancien Défenseur des droits Jacques Toubon, des associations comme la Ligue des droits de l’homme, et des syndicats, la CGT et le Syndicat des avocats de France, notamment.
Seule nuance : au sein des unités urbaines, le tireur de LBD devrait être désormais accompagné d’un superviseur, binôme qui existe déjà chez les CRS et les gendarmes.
Enfin, l’utilisation de la grenade à main de désencerclement (GMD) est remplacée par une grenade similaire, la GENL, dont le bouchon allumeur est moins dangereux mais qui est « quasiment aussi violente », nous a expliqué un spécialiste du maintien de l’ordre.
Les devoirs des policiers ? Porter leur numéro d’identification, le référentiel des identités et de l’organisation (RIO), obligation déjà prévue depuis 2014 et pas souvent respectée.