En plein jour, je vois cinq hommes tout de fluo vêtus, suivis d’une voiture et d’un énorme tracteur. Celui-ci est muni d’un bras dépliable, surmonté d’un rouleau métallique denté de lames et de pointes semblable aux instruments de torture que l’on voit en gravure dans les encyclopédies.
Mais qui veut-on punir ? Et pourquoi ?
Leur mission consiste à maintenir la route dégagée de toutes branches d’arbres qui dépassent ou de touffes d’herbe trop hautes, afin de rendre la conduite plus sûre. L’ambiance a l’air plutôt bonne, de loin j’ai l’impression qu’ils font joujou avec leurs instruments.
Pourtant, de près, ce qui se passe sous mes yeux est d’une brutalité telle que je me sens témoin d’une violence faite à autrui. Un massacre de végétation, les arbres saccagés, leurs écorces arrachées, les buissons broyés, l’herbe détruite jusqu’à la terre. La route est jonchée d’éclats de bois et de feuillage. Dans sa lenteur abrutissante de bruit et de gaz d’échappement, le groupe laisse derrière lui un morceau de monde mutilé, agonisant. Quel est le motif de cette cruauté quand on sait que deuxcantonniers avec faux, scie,cisailleet tronçonneuse bien employée,auraient fait l’affaire ?Se soulager d’une masse de travail trop importante est compréhensible, mais c’est d’une bonne utilisation des outils dont il est question.
Le Diois regorge de femmes et d’hommes qui connaissent sur le bout des doigts chaque arbre, chaque variété, chaque fleur, chaque graminée, qui connaissent mieux que personne la manière de s’en occuper et la bonne période pour la taille. Comment se fait-il que les cinq personnes désignées pour cette tâche si spécifique soient ignorantes de la plante, de son nom, de son essence, de sa vie ? Ignorantes du procédé d’élagage, ignorantes du vivant qu’elle contient dans ses branches ; les oiseaux, les nids, les insectes. Ignorantes surtout de la souffrance qu’elles lui infligent ? Comment respirer face à une telle atrophie du sens de la vie, du beau, de la sensibilité, de la joie, de la honte ?Pire que la méchanceté, l’ignorance.
Cette loi du désespoir, fruit de la perte totale du sens du sacré, est appliquée à la lettre par des personnes ignorant tout de la terre et de ses richesses. Elle installe son nouveau monde en les amenant à remplacer ce qui est irremplaçable.
Il semble qu’à cet instant l’écriture reste la seule arme, écrire pour ne pas mourir, écrire ce que je vois, écrire ce que je ressens. On nous parle du devoir de mémoire, mais là, où est-il le devoir de mémoire ? L’horreur banalisée au service de quoi ? D’une route défigurée ; la justification d’une dépense d’argent monumentale et d’emplois —car ici il est impossible de parler de métiers — absurdes et avilissants pour tout le monde.Ces actions immorales ne peuvent qu’engendrer un monde immoral.
Ne trouvons-nous pas que les abords de nos communes dioises sont déjà suffisamment abîmés pour ajouter encore un mal à un mal ? Que ce soit en Amazonie ou Route de Romeyer, nous assistons à un génocide légal, une atteinte à la vie, à nos vies et aussi à la vie des acteurs de ce cauchemar. Car nous le savons, la Vie Bonne sur cette terre dépend du soin, de l’attention et de la douceur que nous portons à ce qui nous entoure ; les hommes, les animaux, les plantes, la nature.
Mais alors — et là je pose une question qui nécessite un temps de réponse immense auquel je tenterai de m’atteler bientôt — qu’est-ce qui, tout à coup, prend tant d’espace dans les cœurs et les esprits pour qu’une génération entière d’hommes et de femmes, solides et vaillants, se conforme intentionnellement à des actions aussi abjectes sans aucun scrupule ni recul sur les conséquences de ses actes ? Et tout cela au détriment des autres aspirations humaines.
Mesdames et messieurs qui décidez des équipes pour l’entretien de nos routes Dioises, sachez qu’il y a une quantité incroyable de génies aux pouces verts qui seraient ravis de partager leurs compétences pour accompagner vos agents ou être employés par vos services, et mettre en œuvre leur savoir-faire pour l’amour des arbres et des plantes.
« Heureux les doux, ils auront la terre en héritage. »
(Matthieu 5, 3)
Aymeric HAINAUX
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