Un livre qui s’annonce passionnant et primordial par les temps qui courrent :
La collapsologie, ou l’écologie mutilée - Un livre de Renaud Garcia, aux éditions L’Echappée
Des feux ravageant des milliers d’espèces animales et végétales aux pandémies, en passant par le dérèglement climatique, tout conspire à signer la faillite du projet moderne de contrôle intégral de la nature par l’ingénierie humaine. L’effondrement des sociétés industrielles deviendrait sinon certain, du moins probable. À l’ombre de ce curieux futur sans avenir, les nouvelles sensibilités politiques sont façonnées par un discours écologiste effondriste, qui ne cesse de s’étendre.
Cette prise de conscience paraît encourageante. À ceci près que cette collapsologie, autrement dit l’étude des effondrements passés, présents et à venir, et des moyens de s’y préparer, pourrait bien n’être qu’une énième recomposition du Spectacle. Cet ensemble de constats scientifiques, de grandes orientations éthiques et de conseils pratiques de survie participe de l’occultation d’une part de l’écologie politique. Celle qui a pourtant mené la critique la plus pertinente du capitalisme industriel, et a proposé les voies les plus sûres pour en sortir. En ce sens, la collapsologie est l’écologie mutilée.
- Livre : La collapsologie, ou l’écologie mutilée
Autres écrits de Renaud Garcia :
- Le Sens des limites - Contre l’abstraction capitaliste - L’échappée
- Renaud Garcia : « Renouer avec les gens ordinaires » - Renaud Garcia est anarchiste. C’est-à-dire qu’il « refuse de parvenir », selon l’heureuse expression de l’écrivain et syndicaliste Albert Thierry : privilèges, honneurs et ambition ne sont pas l’affaire des libertaires. Mais un anarchiste qui ne fait pas toujours l’unanimité parmi les siens : Garcia — avec l’essai Le Désert de la critique, paru l’an passé aux éditions L’échappée — mit les pieds dans le plat de la pensée radicale contemporaine. Dans le sillage du Britannique George Orwell, il s’interroge : pourquoi le socialisme ne parvient-il pas à convaincre plus largement alors qu’il relève du « bon sens » ? Et le professeur de philosophie de répondre : les espaces contestataires, trop occupés à « déconstruire » et à dénoncer les opposants en leur sein, ont souvent perdu de vue le noyau dur de la tradition émancipatrice : construire une alternative à même d’affranchir le très grand nombre des servitudes sociales et économiques. Mais comment recentrer (faire « converger ») sans silencier certaines luttes, minoritaires mais capitales ? Débattons-en.
- Renaud Garcia est interviewé dans le journal La Décroissance d’octobre 2020
LA COLLAPSOLOGIE, CETTE MAUVAISE BLAGUE
Certains ont vu passer la vidéo d’une intervention de Renaud Garcia que j’avais filmée, dans laquelle il présentait succinctement ce livre, qui n’était pas encore sorti à l’époque. Il est désormais disponible. Et il est (évidemment) bien plus riche que la conférence.
Je suis récemment tombé sur une interview de Pablo Servigne sur le site de la revue l’ADN, laquelle « décrypte la culture numérique, les nouveaux usages, les technologies et les business les plus inspirants ». Une nouvelle fois, j’ai pu constater le double discours du pape de la collapsologie, et l’inconséquence de son analyse critique.
Il y affirme : « Beaucoup de scientifiques nous expliquent qu’il est trop tard pour créer un grand système durable tel qu’on pouvait l’imaginer dans les années 1970, une société en équilibre avec la biosphère, laquelle est déjà trop dégradée. Aujourd’hui, il faut s’adapter, se préparer aux chocs. » Comme s’il avait un jour été possible ou souhaitable de créer un « grand système durable en équilibre avec la biosphère » — cela dit, une affirmation aussi floue peut signifier tout et n’importe quoi. Un grand système durable de chasseurs-cueilleurs confédérés, ou un grand système durable techno-industriel mais biodurable/écologique ? Allez savoir. Peu importe, de toute façon c’est trop tard.
En effet, on constate aussi son insistance sur le mot d’ordre qui domine désormais partout : IL FAUT S’ADAPTER au monde qui change, au désastre que constitue le développement, la civilisation (mais qu’un Servigne ne présentera jamais comme tel, bienveillance oblige). Comme le CIC, cette banque d’un monde qui bouge. Il « faut s’adapter, se préparer aux chocs » que garantit le Progrès qu’on n’arrête pas (parce que c’est trop tard, et qu’il faut s’adapter).
Le Servigne affirme aussi, tranquillement, que : « Toutes les techniques commencent par nous libérer, puis atteignent un seuil au-delà duquel elles nous aliènent. La voiture a commencé par nous libérer, avant de nous aliéner ne serait-ce que par le temps passé dans les embouteillages. L’école libère, jusqu’au moment où elle fabrique des moutons. Les réseaux sociaux créent des liens, mais en détruisent finalement beaucoup plus. »
Bon sang, mais c’est bien sûr, Ô grand analyste du phénomène technologique. La voiture de Monsieur Ford a commencé par « nous » libérer, d’ailleurs tout le monde en voulait et rêvait d’aller bosser à l’usine à en produire. L’école aussi, à ses débuts, sous le joug émancipateur du dictateur Napoléon, était libératrice, elle visait à former des citoyens libres d’adorer l’Empire et de se conformer aux structures étatiques qu’il mettait en place, structures dont, par un heureux hasard, nous avons héritées (lesquelles comprennent une « éducation nationale », c’est-à-dire étatique, c’est-à-dire un ensemble de « programmes scolaires » élaborés par un ministère en vue de former de futurs laquais de l’État, de fabriquer des « ignorants mystifiés qui se croient instruits », comme disait l’autre). D’ailleurs, la kalachnikov aussi a commencé par nous faire beaucoup de bien, on s’en servait pour se gratter le dos quand ça nous démangeait, c’est seulement après, quand on s’en est servi pour tirer sur des gens, qu’elle a dépassé le fameux seuil-à-ne-pas-franchir et est devenue problématique. Sans parler de la formidable bombe atomique, au début, c’était super, ça faisait d’incroyables explosions très photogéniques, spectaculaires, ça dépannait quand on ne savait pas quoi faire un dimanche après-midi, ou quand on avait trop froid l’hiver, seulement, après, il y a eu CE FOUTU SEUIL...
Comme quoi, c’est en disant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui dans le grand cirque médiatique. (On constate là encore, à travers cette interview du Servigne, que la collapsologie est vraiment une écologie mutilée, dans le sens où la collapsologie, c’est l’écologie expurgée du meilleur, du plus important de tout ce que le mouvement écologiste du passé et ses précurseurs comme Charbonneau, Ellul, Mumford, etc., nous ont légué.)
Quelles adaptations ? Quelles résistances ? Quelles sociétés ?
S’il est important de s’adapter autant que possible aux désastres déjà produits (et ceux inévitables prévisibles) par la civilisation industrielle, il est encore plus important de stopper ce système et de faire radicalement autre chose, dans une optique de démocratie directe, de solidarité, de sociétés vivables.
De plus, de quelle adaptation parle-t-on ? Par qui et pour qui ?
S’agit-il pour chaque individu et chaque classe sociale de faire de la résilience isolément et égoïstement selon ses moyens sans rien toucher au système écocidaire et antidémocratique en place (inégalités sociales, misère, pollutions, destruction du vivant, emballement dramatique du climat, patriarcat, etc.) ?
Ou s’agit-il collectivement de construire de l’entraide, dans l’égalité sociale, du partage, dans une optique d’émancipation du capitalisme et de l’Etat ?
S’agit-il de rendre résilients le capitalisme et l’étatisme ou s’agit-il de les effondrer et de les remplacer par bien mieux ?
L’adaptation pourrait n’être qu’une variante du libéralisme transposée à la survie dans la compétition générale et la consommation, et pas du tout une transformation radicale de la politique et des rapports sociaux pour que tout le monde puisse chercher comment vivre au mieux en fonction des contraintes, avec un élan vers la qualité de vie, la convivialité...
1. Une adaptation aux désastres dans le cadre inchangé et mortifère de la civilisation industrielle, de ses Etats et de son capitalisme ? Ce qui conduit alors à la continuation des carnages et à une planète plus ou moins inhabitable.
2. Ou une transformation radicale, une écologie de rupture, des résistances, des luttes, pour à la fois s’adapter aux désastres déjà produits, stopper les causes de ces désastres, et collectivement construire des société vivables hors du capitalisme et de l’étatisme ? Ce qui pourrait permettre d’enrayer l’accroissement des désastres et leur caractère hors de contrôle, et limiteraient fortement les carnages humains et des autres vivants.
« L’écologie » médiatique, le capitalisme « vert », la croissance « verte », le développement « durable » des gouvernants... ont opté pour le premier point.
Les collapsologues balancent entre les deux, souvent de manière ambigüe. Les bourgeois collapsologues semblent opter le plus souvent pour le premier point. Et les autres ?