Au sujet de votre édito paru dans le Lien n°3 de juillet 2022
M. Mariton, je ne vous remercie pas : j’ai failli m’étouffer à deux reprises en lisant votre édito du Lien de juillet 2022 pendant mon petit déjeuner. Et ce n’était pas de rire.
Je dois vous avouer que j’ai trouvé le début plutôt sympathique : le changement climatique, le niveau des élèves. Arrive alors la défense de la liberté : c’est là que ma biscotte est mal passée connaissant votre ardeur à lutter il y a quelques années contre la liberté de certains de nos concitoyens à s’unir en mairie... Une fois la biscotte avalée, je me suis dis « Tiens il a peut-être changé d’avis. En fait, il est plutôt cool Hervé et il a dû s’habituer ». Bon, ça a recommencé à se gâter à partir du mot « idéologue », et lorsque vous nous annoncez qu’un groupuscule de fanatiques prolifère littéralement à tous les étages de la société dont tous les pans seraient infestés (là, le croissant est resté bloqué entre œsophage et trachée). J’ai tout de suite été soulagé en lisant entre les lignes et en en arrivant à la conclusion que vous parliez des méchants écolos-qui-veulent-sauver-la-planète-ET-éliminer-les-humains. Étant rassuré, le croissant a poursuivi sa route.
Personnellement, je ne connais pas les personnes fanatiques dont vous parlez, qui voudraient attenter à la liberté humaine pour le « plaisir » (car elles en « rêvent ») : peut-être celles que notre Luc Ferry national se délecte à appeler les « Khmers verts » ou encore les « Ayatollahs de l’écologie » pour les discréditer ? Mais peut-être suis-je moi-même sans le savoir l’un de ces fanatiques, prêt à tuer de sang froid mes semblables ? Si c’est le cas, je voudrais juste corriger : les méchants écolos ne veulent pas seulement sauver la planète comme vous le dîtes, mais aussi ses habitants, dont l’homme fait partie (sans toutefois « revenir au temps des grottes ou des bougies », caricature immanquablement dégainée par les ultra-libéraux-technophiles-qui-veulent-continuer-à-s’en-mettre-plein-les-poches, les Ayatollahs de l’ultralibéralisme et qui, eux, sont bien prêts à et près de tuer leurs semblables). Ces méchants écolos pervers sont plutôt remplis d’empathie pour les êtres vivants en général, et voudraient juste laisser les choses vivables pour les générations à venir, ce qui, vous l’admettrez si vous êtes bien informé, est déjà très compromis. Votre idéologie est manifestement celle de Luc F. sus-cité, thuriféraire de l’ultra-libéralisme, qui ne voit en la nature aucune valeur intrinsèque. Je vous cite : « Que nous vaut la planète sans les hommes ? ». Au-delà de cette question qui n’a pas de sens (si l’homme n’est plus, la planète ne peut plus rien valoir à nos yeux que nous n’avons plus), c’est bien cette idéologie, qui infeste tous les pans de la société, qui nous conduit droit dans le mur à vitesse grand V. Je préfère nettement le début de votre phrase : « Il n’y a pas d’hommes sans planète ».
Bon, soulignons quand même que je souscris complètement à l’idée que les règles sont indispensables à la stabilité des sociétés, en particulier en luttant contre l’égoïsme (inné ou acquis, c’est un autre débat) des êtres humains et tout en maintenant pour chacun la plus grande liberté possible (liberté qui, comme vous le dîtes, est une valeur première, mais ne peut exister sans règles). Or qui dit règles, dit contraintes et droits. C’est justement là que nos visions divergent. Je suis certainement ringard, mais j’en suis resté au B.A.B.A : « Ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui ». Apparemment, pas vous. Sans vouloir paraître condescendant, c’est pour cette raison que les cigarettes sont désormais interdites dans les espaces publics, et que ces mêmes cigarettes sont désormais taxées, que la vitesse est limitée sur les routes, qu’il existe un délit de tapage nocturne, et qu’il est interdit de jeter ses détritus dans la nature. Je pense que la grande majorité des gens ne s’offusque pas de ces règles, qu’on peut toujours (comme toute interdiction) qualifier de liberticides. Tiens, à propos de détritus : qui aimerait retrouver des déchets devant son pas-de-porte ? Ni vous (j’imagine), ni moi (j’en suis sûr). Le CO2 en est un aussi. C’est pour cela que des lois, et donc ici des contraintes limitant les émissions de CO2, ne sont pas aberrantes pour le bien commun et pour les générations futures. Cela s’appelle la solidarité inter-générationnelle. Cela peut passer par (horreur !) : la taxation des gros véhicules (SUV) (voire leur interdiction si l’on n’était pas hypocrite), mais aussi la limitation des vols aériens (tant que l’avion vert n’aura pas été inventé, ce qui arrivera sûrement quand les poules auront des dents), le développement du train, les économies d’énergie, une réduction de la consommation, et j’en passe et des meilleures... J’espère que vous ne vous serez pas étouffé en lisant cette liste. Apparemment, je vous accorde que beaucoup de nos concitoyens semblent malheureusement privilégier leur mort ou celle de leurs descendants par dessèchement ou cuisson dans un avenir pas si lointain, plutôt qu’à renoncer maintenant au plaisir et au prestige de conduire leur SUV ou à leur voyage de 10 jours en Australie pour y faire des selfies devant le dernier aborigène vivant, avant de les envoyer à tous leurs « amis » sur Facebook. Certes il faut d’abord rechercher l’adhésion de la population aux contraintes avant qu’elles soient mises en œuvre, mais ce n’est pas avec des discours tel que le vôtre que nous pourrons y arriver.
Bref, la considération du bien commun et la vision d’un futur viable implique de facto l’adoption de contraintes que vous nous dites abhorrer, mais qui sont justifiées par la liberté de chacun de pouvoir vivre correctement, ce qui me semble être un droit fondamental de tout être humain, non seulement maintenant, mais aussi dans les décennies et siècles à venir. Bref, votre vision est populiste au sens strict du terme : faire plaisir au peuple, le bercer de douces illusions en le laissant croire qu’il pourra continuer sans limite à vivre comme il le fait actuellement.
Ah, j’oubliais, j’ai trouvé très juste de souligner la baisse du niveau scolaire des élèves. Des cours de rattrapage seraient bien nécessaires, tout comme des cours à l’attention de nos édiles et des citoyens sur le devenir prévisible de la planète si nous poursuivons sur le même chemin. Car, à moins d’avoir des pulsions autodestructrices, c’est lorsqu’on sait vraiment ce qui vient que l’on est prêt à revoir ses exigences et à accepter que, non, décidément non, on ne peut pas tout se permettre sur notre planète.
Bien à vous,
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