Les vivants comme les morts sont des marchandises dans cette civilisation capitaliste

Avec le confinement, l’assignation à résidence surveillée, la surveillance dystopique, la grande prison se révèle, la vie aussi ?

lundi 20 avril 2020, par Camille Pierrette.

Avec le confinement généralisée, l’assignation à résidence surveillée, l’accentuation du tout répressif, la prison géante de notre impuissance politique et économique se révèle, au centuple, un peu comme les cachetons qui dévoilent la matrice dans la fameuse triologie cinématographique Matrix.

Partons de ça :
- Témoignages, Rite funéraire - « Je ne sais pas comment on en est arrivé là : mettre les cendres des morts dans des sacs plastiques » - Danielle est décédée du Covid-19. Sa fille n’a pas pu voir sa mère à l’hôpital, avant son décès. Elle n’a pas pu accompagner le cercueil de sa mère. Elle va récupérer ses cendres, dans une zone commerciale. Dans un sac en plastique.

Les vivants comme les morts sont des marchandises dans cette civilisation capitaliste
Dit autrement : la civilisation capitaliste transforme la totalité de la vie en marchandises mortes

Avec Amazon et d’autres qui se moquent de la santé des travailleurs, les injonctions indécentes au travail de Pénicaud and co, les vieux et autres qui meurent seuls, les sacs plastiques contenant un défunt en cendres à aller chercher dans un garage pourri, on ressent avec effroi que nos vies ne valent rien, que seuls les profits et la continuation inchangée de la civilisation capitaliste compte.
On pourrait dire que c’est la faute l’épidémie, de l’urgence, des mesures de sécurité et des services débordés, mais en réalité on se rend compte que dans cette civilisation capitaliste avancée, les humains vivants comme morts sont traités comme des marchandises, des numéros jetables, des pions, des êtres substituables, des machines faillibles jamais assez surveillées et contrôlées.

On le voit chez Amazon, une des pointes avancée du capitalisme moderne, les humains fusionnent avec les drones et les codes barres, ils servent des robots et sont aiguillonnés en permanence à la performance totale par des injonctions numériquement enregistrées.
Dans la vie, à l’usine, on doit de plus en plus se comporter comme les robots mus par des intelligences artificielles, toujours à la traîne derrière la perfection calibrée du numérique.

En temps de pandémie, les barreaux de la prison sociale apparaissent davantage à la lumière, les dorures rouillent, le clinquant moisi, la propagande étatique et merdiatique sonne creux et résonne faux.
La situation présente met en exergue la violence extrême des exclusions diverses, de la misère, des inégalités sociales, de la morgue cynique des capitalistes, de la servilité empressée des gouvernements à les satisfaire, de la répression des quartiers populaires.
Prisons, sans papiers, SDF, violences contre les femmes, folie, dépendance, prostitution..., la folie d’une société qui engendre la plupart de ces problèmes ressort. La fragilité, l’insuffisance, parfois l’inhumanité, des dispositifs sociaux apparaissent davantage.

Avec la pandémie et ce qui s’en suit, la grande machinerie étatique et capitaliste est passée au karcher, décapée à l’acide, les jolies peintures et les petits amortisseurs sont dissous, il ne reste que l’os, la mécanique, les rouages froids et sans pitié. Le monstre est à nu.

Les vivants comme les morts sont des marchandises dans cette civilisation capitaliste
Les humains fusionnent avec les drones et les codes barres, ils servent des robots et sont aiguillonnés en permanence à la performance totale par des injonctions numériquement enregistrées

Tout ce que d’habitude les institutions et une bonne partie des gens préfèrent oublier et cacher pour continuer sans trop de problèmes de conscience « la normalité-qui-est-le-problème » nous saute à la figure, comme quand les égouts débordent dans les rues par temps d’orage. La merde est là, elle pue, elle est sale, on ne peut plus l’ignorer et regarder ailleurs.

Heureusement, la crise, la révélation pour qui veut voir de la brutalité structurelle de la méga-machine font aussi ressortir les possibilités et les élans de solidarité, de soins, de bienveillance mutuelle, d’auto-organisation, toute l’humanité encore là qui vit et agit malgré tout et à la place des structures étatiques et capitalistes.
Quand les voiles d’acier trempé du système de coercition permanent se déchirent, les humains et leurs actions aussi sont à nu, pour le pire comme pour le meilleur.
Et on voit d’ailleurs que le pire vient le plus souvent des instances et des personnes qui se prétendent dirigeantes et gouvernantes.
Tandis que la population assignée à résidence et les travailleuses-travailleurs en première ligne tiennent le choc, assument, font le job.

Les catastrophes sociales, sanitaires, politiques et économiques révèlent de manière plus crue et plus visible le fonctionnement quotidien, dit normal, de la sinistre machinerie étatiste et capitaliste.
Les jolies déclarations sur l’importance de chacun.e, sur le « vivre ensemble », sur le « lien social », sur « la-démocratie », sur le ruissellement des richesses pondues par les premiers de cordée, sur les droits de l’homme... deviennent d’un coup ce qu’elles sont en réalité, des mots creux masquant des réalités sordides.
Les institutions nous appellent des « citoyens » alors que nous subissons une impuissance grandissante sur les plans politiques et économiques. Elus et grands capitalistes ont légalement tout pouvoir sur nos vies. Notre autonomie s’étiole à mesure que la toile de la marchandisation et de la dépossession de tout s’étend.
Nous ne sommes aucunement des citoyens, juste des moucherons dans une grande toile totalitaire, des granulés préfabriqués destinés à nourrir le monstre glouton de la civilisation industrielle, broyés entre ses deux mâchoires acérées, le capitalisme et l’Etat.

En réalité, pour la civilisation capitaliste, les travailleurs et le monde vivant ne sont que des moyens pour extraire de la valeur. Les systèmes capitalistes ne produisent pas de richesses, ils encaissent de la valeur (du fric et du pouvoir) en exploitant des humains et en détruisant la nature. Ils créent des marchandises mortes en détruisant la richesse des vies humaines, animales et végétales.
Pour le capitalisme, les consommateurs ne sont que des cibles, des récepteurs comme le disait la firme Dupont de Nemours dans le film Dark Waters, auxquels on peut mentir en les empoisonnant sciemment si les profits attendus sont importants.
Quantité de scandales le démontrent : amiante, tabac, pesticides, produits pharmaceutiques, silicose des mines...

Pour notre santé, nos vies, notre avenir vivable, on ne peut compter que sur nos forces individuelles, nos luttes collectives, alliances et coopérations.
On ne peut compter sur la civilisation industrielle, ses capitalismes, ses Etats, leurs gouvernements et leurs polices que pour nous pourrir davantage la vie.

Et maintenant, qu’allons-nous faire ?

P.-S.

- Le système capitaliste et étatiste ne peut pas encore contrôler totalement nos pensées, mais il contrôle de plus en plus totalement nos corps et les cadres matériels dans lesquels ils se situent. Il prendra prétexte des crises qu’il crée pour nous enserrer toujours plus, comme on le constate en ce moment.

- Pour finir, des extraits, noirs et hélas assez lucides, de réflexions de Simone Weil en 1934 - La suite lui a donné raison jusqu’à aujourd’hui :

AVEC LES MASQUES À GAZ, LES ABRIS, LES ALERTES, ON PEUT FORGER DE MISÉRABLES TROUPEAUX D’ÊTRES AFFOLÉS, PRÊTS À CÉDER AUX TERREURS LES PLUS INSENSÉES ET À ACCUEILLIR AVEC RECONNAISSANCE LES PLUS HUMILIANTES TYRANNIES, MAIS NON PAS DES CITOYENS

« Il apparaît assez clairement que l’humanité contemporaine tend un peu partout à une forme totalitaire d’organisation sociale, pour employer le terme que les nationaux-socialistes ont mis à la mode, c’est-à-dire à un régime où le pouvoir d’État déciderait souverainement dans tous les domaines, même et surtout dans le domaine de la pensée. […] Cette évolution ne fera que donner au désordre une forme bureaucratique, et accroître encore l’incohérence, le gaspillage, la misère. […] Quand le chaos et la destruction auront atteint la limite à partir de laquelle le fonctionnement même de l’organisation économique et sociale sera devenu matériellement impossible, notre civilisation périra ; et l’humanité, revenue à un niveau de vie plus ou moins primitif et à une vie sociale dispersée en des collectivités beaucoup plus petites, repartira sur une voie nouvelle qu’il nous est absolument impossible de prévoir.

[…] Se figurer que l’on peut aiguiller l’histoire dans une direction différente en transformant le régime à coups de réformes ou de révolutions, espérer le salut d’une action défensive ou offensive contre la tyrannie et le militarisme, c’est rêver tout éveillé. Il n’existe rien sur quoi appuyer même de simples tentatives. La formule de Marx selon laquelle le régime engendrerait ses propres fossoyeurs reçoit tous les jours de cruels démentis ; et l’on se demande d’ailleurs comment Marx a jamais pu croire que l’esclavage puisse former des hommes libres. Jamais encore dans l’histoire un régime d’esclavage n’est tombé tous les coups des esclaves. La vérité, c’est que, selon une formule célèbre, l’esclavage avilit l’homme jusqu’à s’en faire aimer ; que la liberté n’est précieuse qu’aux yeux de ceux qui la possèdent effectivement ; et qu’un régime entièrement inhumain, comme est le nôtre, loin de forger des êtres capables d’édifier une société humaine, modèle à son image tous ceux qui lui sont soumis, aussi bien opprimés qu’oppresseurs.

[…] Il n’y a pas de secours à espérer des hommes ; et quand il en serait autrement, les hommes n’en seraient pas moins vaincus d’avance par la puissance des choses. La société actuelle ne fournit pas d’autres moyens d’action que des machines à écraser l’humanité ; quelles que puissent être les intentions de ceux qui les prennent en main, ces machines écrasent et écraseront aussi longtemps qu’elles existeront. Avec les bagnes industriels que constituent les grandes usines, on ne peut fabriquer que des esclaves, et non pas des travailleurs libres, encore moins des travailleurs qui constitueraient une classe dominante. Avec des canons, des avions, des bombes, on peut répandre la mort, la terreur, l’oppression, mais non pas la vie et la liberté. Avec les masques à gaz, les abris, les alertes, on peut forger de misérables troupeaux d’êtres affolés, prêts à céder aux terreurs les plus insensées et à accueillir avec reconnaissance les plus humiliantes tyrannies, mais non pas des citoyens. Avec la grande presse et la T.S.F., on peut faire avaler par tout un peuple, en temps que le petit déjeuner ou le repas du soir, des opinions toutes faites et par là même absurdes, car même des vues raisonnables se déforment et deviennent fausses dans l’esprit qui les reçoit sans réflexion ; mais on ne peut avec ces choses susciter même un éclair de pensée. […] Il en est ainsi pour tout. Les moyens puissants sont oppressifs, les moyens faibles sont inopérants. […] L’unique possibilité de salut consisterait dans une coopération méthodique de tous, puissants et faibles, en vue d’une décentralisation progressive de la vie sociale ; mais l’absurdité d’une telle idée saute immédiatement aux yeux. Une telle coopération ne peut pas s’imaginer même en rêve dans une civilisation qui repose sur la rivalité, sur la lutte, sur la guerre. En dehors d’une telle coopération, il est impossible d’arrêter la tendance aveugle de la machine sociale vers une centralisation croissante, jusqu’à ce que la machine elle-même s’enraye brutalement et vole en éclats. Que peuvent peser les souhaits et les vœux de ceux qui ne sont pas aux postes de commande, alors que, réduits à l’impuissance la plus tragique, ils sont les simples jouets de forces aveugles et brutales ? Quant à ceux qui possèdent un pouvoir économique ou politique, harcelés qu’ils sont d’une manière continuelle par les ambitions rivales et les puissances hostiles, ils ne peuvent travailler à affaiblir leur propre pouvoir sans se condamner presque à coup sûr à en être dépossédés. […] Dans une pareille situation, que peuvent faire ceux qui s’obstinent encore, envers et contre tout, à respecter la dignité humaine en eux-mêmes et chez autrui ? Rien, sinon s’efforcer de mettre un peu de jeu dans les rouages de la machine qui nous broie ; saisir toutes les occasions de réveiller un peu la pensée partout où ils le peuvent ; favoriser tout ce qui est susceptible, dans le domaine de la politique, de l’économie ou de la technique, de laisser çà et là à l’individu une certaine liberté de mouvements à l’intérieur des liens dont l’entoure l’organisation sociale. C’est certes quelque chose, mais cela ne va pas loin. Dans l’ensemble, la situation où nous sommes est assez semblable à celle de voyageurs tout à fait ignorants qui se trouveraient dans une automobile lancée à toute vitesse et sans conducteur à travers un pays accidenté. Quand se produira la cassure après laquelle il pourra être question de chercher à construire quelque chose de nouveau ? C’est peut-être une affaire de quelques dizaines d’années, peut-être aussi de siècles. Aucune donnée ne permet de déterminer un délai probable. Il semble cependant que les ressources matérielles de notre civilisation ne risquent pas d’être épuisées avant un temps assez long, même en tenant compte de guerres, et d’autre part, comme la centralisation, en abolissant toute initiative individuelle et toute vie locale, détruit par son existence même tout ce qui pourrait servir de base à une organisation différente, on peut supposer que le système actuel subsistera jusqu’à l’extrême limite des possibilités. »

— Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1934) (post de Nicolas Casaux)

Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale

Forum de l’article

  • Les vivants comme les morts sont des marchandises dans cette civilisation capitaliste Le 22 avril 2020 à 11:01, par Camille Pierrette

    SAUVER DES VIES ? POUR QUOI FAIRE ?

    Depuis qu’elle est obsédée par la reproduction de son cheptel humain, de multiplier ses « ressources humaines », la civilisation dégrade inversement le monde naturel. Cependant, elle n’a que faire d’imposer à ses sujets des conditions de vie exécrables, des vies misérables, indignes. Nous constatons tous la misère dans laquelle beaucoup sont confinés en temps normal. Les sans-abris. Les familles entassées dans des cages de béton. Les violences conjugales. Les viols et les violences contre les femmes et les enfants. Etc.

    La qualité de la vie humaine ne lui importe en rien. Ce qui lui importe, c’est l’augmentation abstraite du nombre d’êtres humains. « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ».
    (...)
    En moins de 100 ans de médecine high-tech moderne (et de toute la société techno-industrielle qui va avec), nous avons détruit la planète et avons été ravalés au rang d’engrenages d’une mégamachine autant constituée de rouages humains que de machines et d’usines. Cela en vaut-il vraiment la peine ? On dirait davantage un pacte faustien que quelque soi-disant « Progrès ».
    (...)
    - Suite de ce post de Nicolas Casaux

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