Les plantations et monocultures sont la « nature » du capitalisme, son horizon est l’agro-industrie hors sol

Très loin des écosystèmes et de la biodiversité, il s’agit de cultiver de l’argent

lundi 6 novembre 2023, par Antitech 26.

Les plantations sont une forme d’extractivisme ancien, lié au colonialisme, et sont un des moteurs du capitalisme.
Mais les plantations sont encore trop liées à l’imprévisible vivant et sujettes à perturbations. La production d’argent exige des modes de production du végétal monétisable encore plus contrôlés et clos...

Les plantations et monocultures sont la « nature » du capitalisme, son horizon est l’agro-industrie hors sol
ici des palmiers à huile

Plantation, par Sophie Chao

- Plantation, par Sophie Chao
Comment penser et critiquer les plantations et les monocultures sans écraser les violences et les dominations faites aux humains et aux non-humains ? Une synthèse précieuse et riche en références sur le Plantationocène et ses implications politiques et écologiques.

En tant que formation matérielle et concept analytique, la plantation offre un terrain fertile pour réexaminer la « nature » comme lieu et sujet de la violence de l’activité anthropique. Établies tout d’abord dans l’Europe féodale du 14e siècle, les plantations ont vite été liées à la diffusion de la modernité coloniale et racialisante des paysages caribéens et sud étatsuniens du sucre, tabac, chanvre et coton2. Aujourd’hui les monocultures de palmiers à huile, les plantations forestières ou la prolifération du soja dans le Sud global sont promues par divers facteurs à de multiples échelles : des impératifs de sécurité alimentaire mondiaux, des prérogatives nationales de développement, des objectifs internationaux en matière d’énergies renouvelables, des certifications de durabilité et des traités exclusifs de libre-échange, des calendriers de modernisations planifiés ou des alliances népotiques entre États, entreprises multinationales et pouvoirs militaires.
(...)
Elles rendent compte des principes de la simplification écologique, de l’homogénéisation et de l’instrumentalisation qui caractérisent le « Plantationocène », cette formation spatio-temporelle décrite depuis longtemps par des universitaires noires comme Sylvia Wynter et Katherine McKittrick et articulée récemment par Donna Haraway, Anna Tsing et d’autres. En tant que projets de mise à l’échelle et de recherche de profits, les plantations sont enracinées dans des logiques de domination, de discipline et de contrôle d’environnements qui ne sont jugés utiles qu’en tant qu’ils servent des finalités humaines singulières.
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Parallèlement aux mouvements populaires de résistance et de lutte, les protagonistes plus qu’humains continuent à revitaliser les plantations en cours. Champignons, rongeurs et reptiles sabotent les rêves de la plantation en parasitant les cultures marchandes. Les plantes modifiées génétiquement deviennent vulnérables aux plantes résistantes aux herbicides ou perdent leur capacité à se reproduire sans l’aide de pollinisateurs humains ou de machines.
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L’importance significative de ces questions s’étend bien au-delà de la matérialité des paysages agro-industriels contemporains. Comme les universitaires critiques de la race le soulignent, les séquelles de la plantation perdurent dans les formes de violence étatique et policière, dans les infrastructures carcérales et dans la normalisation de la mort précoce des noir·es. Non moins innocente est la présence dominante des institutions et concepts académiques occidentaux, qui président et reflètent dans leur ordonnancement, comme dans leur manière de narrer-historiciser-s’autoriser, le contrôle et la gestion de la plantation elle-même. La production du savoir académique est un processus systématique de ratissage, criblage, élagage, réagencement, classification, organisation, abstraction, généralisation, simplification et extraction. La logique de la plantation ne façonne pas uniquement la « nature » du monde, mais également la manière avec laquelle le « nous » occidental dominant se le représente à travers ses concepts et théories.
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Vers les productions en salles climatisées sous régime cybernétique - La smart "agriculture", ici nommée « French AgriTech »

Pour le techno-capitalisme, les plantations sont encore beaucoup trop soumises aux aléas météorologiques, climatiques, naturels et humains. Avec la destruction des sols et les catastrophes climatiques de plus en plus graves qu’elle a provoqué (qui feront chuter la rentabilité des monocultures), la civilisation industrielle ne s’échinera plus à transformer/régimenter la nature selon ses besoins vampiriques, mais créera des systèmes productifs entièrement artificiels à son image, des systèmes morts et mécaniques.

Le stade d’après, si des révoltes d’envergure ne l’empêchent pas, sera donc la généralisation de la production animale et végétale totalement hors sol, la monoculture sous espace contrôlée. Comme les salles blanches aseptisées des industries du numérique ou, déjà, des élevages sous « biosécurité » des industries de la viande (animale ou moléculaire), les mondes vivants et leur complexité « gênante » seront totalement exclus au profit de productions spécialisées, sélectionnées génétiquement, perfusées et managées par logiciels dits (frauduleusement) intelligents et robots plus ou moins autonomes. Exit les derniers paysans qui ont survécu à la « modernisation agricole ».

Le capitalisme techno-industriel ne développera pas la permaculture, les jardins-forêts, l’hydrologie regénérative, les complexités de l’agroécologie, car ces procédés productifs écologiques ne sont pas industrialisables et robotisables, ils consomment beaucoup trop peu d’intrants et de machines complexes et ne sont pas compétitifs, ils utilisent trop de main d’oeuvre coûteuse, ce qui ne fait pas « vivre » les banques, les usines à robots et à tracteurs modernes, les fabricants d’engrais et de pesticides. Une agriculture (réellement) écologique généralisée serait une catastrophe pour le capitalisme et son développement économique.
Le techno-capitalisme aime la complexité, celle des machines et des robots autonomes, mais pas celle des écosystèmes en inter-relation avec les humains et la sensibilité des savoirs paysans.

- La « souveraineté agroalimentaire », la résilience et l’écologie serviront de prétextes utiles pour justifier ce mode de production « AgriTech » qualifié de « durable », « innovant » et « compétitif » par les autorités et leurs start-ups.
Déjà, il est question d’« écosystèmes » industriels, de cultures pour méthaniseurs géants et d’agrivoltaïsme... Les usines à viande, à végétaux ou à objets seront toutes bâties sur le même modèle : des hangars géants fermés vidéosurveillés et protégés des intempéries, avec des panneaux photovoltaïques sur le toit, des productions automatisées assurées par la robotique et l’informatique.

Après les grandes surfaces et les Drive, la livraison rapide par camions ou drones, les entrepots logistiques, les cargos et containers, voici « enfin » le maillon manquant. Les « smart usines à production végétale/animale » complèteront et achèveront la domination totale de la chaîne logistique intégrée du commerce mondial.

Ainsi, dans ces usines cybernétiques, il n’y aura plus ni humains ni bactéries ni animaux ni graines ni pluies ni canicules à même de perturber ou ralentir l’ordre industriel contrôlé voué à la production croissante de produits industriels « organiques », et donc d’argent, but réel et principal du capitalisme.

Il suffira de disposer de l’énergie et des matières premières indispensables. D’une manière ou d’une autre, la civilisation industrielle y pourvoiera (quitte par exemple à se « séparer » d’une grosse partie de la population humaine - Les autres vivants étant déjà passés par « pertes et profits »).
La « transition » énergétique avec électrification généralisée est un des éléments qui permettra la mutation et l’adaptation du volet « agro-industriel » de la civilisation techno-capitaliste.

Pour les humains (s’il en reste) du futur (s’il y en a un), la nature (s’il en reste) sera considérée comme un vestige archaïque à fuir, dangereux, à éradiquer ou à mettre sous cloche dans des musées, des parcs clôturés à accès restreint via QR codes ou des laboratoires. Pour eux, se nourrir de quelque chose qui sortirait du sol sera un acte impensable, sale, risqué (tous ces microbes et ces composants multiples non labellisés !), impossible.
A la rigueur, certaines terres resteront utilisées (sur le modèle automatisé évoqué dans le film « I am Mother ») pour produire des agro-carburants, des nutriments pour usines à viande ou de la biomasse pour centrales thermiques et usines à bois.
Les paysans et jardiniers amateurs qui trouveraient et investiraient des terres cultivables pour faire pousser de la nourriture humaine seront pourchassés, amendés et jetés en prison pour mise en danger irresponsable d’autrui et défaut de traçage/certification. Cultiver la terre pour se nourrir pourrait devenir un acte clandestin, interdit pour entrave aux normes, dangereux vu la pollution généralisée.

Ainsi, la dépendance et donc la soumission, déjà très forte, au système techno-industriel, sera totale.


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