Les canicules annoncent une bascule vers un autre monde : ressentir pour agir

Voir et reconnaître les souffrances des autres vivants et des lieux

mardi 19 août 2025, par Les Indiens du Futur.

Parce que l’écologie c’est en fait d’abord une émotion, des liens aux lieux et à leurs habitants non-humains, pas des calculs de pertes et profits, des statistiques ou des évaluations bénéfices/problèmes, des visions technocratiques des aménageurs.
Pour qu’on agisse et se révolte vraiment pour l’écologie, il faut renouer avec la réalité, faire corps avec la nature détruite et agressée par la civlisation industrielle et ses conséquences.

« Les canicules sont une bascule vers un autre monde »

La canicule amène à un vrai « silence de sécheresse », qui conduit à la mort des animaux et des plantes. L’autrice Irène Gayraud a choisi de montrer ces souffrances par la poésie, pour mobiliser sur l’écologie.
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En plein mois de juillet, les arbres avaient déjà perdu leurs feuilles, ou elles avaient déjà roussi. Le ruisseau avait quasiment disparu, lui qui avait toujours été si présent, si sonore, presque comme un être vivant à nos côtés. Dans certains villages plus au sud, par souci d’économie d’eau, ce sont les fontaines qui avaient cessé de gargouiller — un vrai « silence de sécheresse » s’était abattu, une sécheresse conduisant à la mort.
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Les souffrances animales, et même végétales, sont généralement passées sous silence. C’est pourtant poignant de voir, d’entendre des sangliers, des chevreuils aussi, s’aventurer près des zones habitées à la tombée de la nuit pour trouver de l’eau. C’était eux qui souffraient le plus, dans cette ruralité où je me trouvais, les animaux, les arbres, les plantes que nous voyions mourir et que nous n’avions pas le droit d’arroser…

Bien sûr, nous, humains, souffrions aussi de la canicule. Comme je l’ai écrit : « À 8 heures c’est midi / À midi c’est impraticable / On reste à regarder le monde inaccessible par la fenêtre »… Mais, pour la plupart, nous allions quand même nous en sortir, avec l’eau en bouteille, les joggings de nuit en forêt avec une lampe frontale, etc.
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Il est dommage que ces souffrances des autres espèces ne soient pas davantage éclairées, parce que beaucoup de personnes, même sans affinité avec l’écologie, ont une vraie sensibilité pour les animaux, les plantes, le milieu dans lequel elles vivent. Plusieurs lecteurs et lectrices m’ont d’ailleurs dit que les poèmes qui les avaient le plus touchés dans Passer l’été étaient ceux qui parlent des animaux et des plantes. Peut-être que montrer ces souffrances amènerait davantage de gens à se mobiliser sur les questions écologiques… Qui sait ?
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Les médias mainstream ne déplacent pas la focale, ils restent sur une focale humaine. Ils disent : « Voilà, c’est terrible, il y a des bois qui sont partis en fumée », presque comme si l’on ne sentait pas que c’étaient des arbres qui avaient brûlé.

Il n’y a pas de prise en considération qu’un arbre, ce n’est pas une chose. C’est un organisme vivant et un lieu d’habitation pour de multiples espèces. Parfois même ce sont des écosystèmes pluricentenaires qui disparaissent ! Notamment quand ce sont des forêts de chênes, et pas des forêts de pins industrielles. Mais les grands médias n’ont aucune hauteur de vue sur cette question. Ils continuent de traiter les incendies selon le point de vue humain, prométhéen
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Ne faudrait-il pas se demander, par exemple, si elle n’est pas en train de devenir immaîtrisable, justement, la nature, et pourquoi ?
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Il me semble que c’est une bascule vers un autre monde. Cet été-là, on avait encore de l’eau, mais on sentait très bien que l’on était à deux doigts d’en être privé complètement. Cela signifiait la mort de tout : des animaux, des oiseaux, des arbres… Il y avait vraiment quelque chose de préapocalyptique, si je puis dire, à l’échelle du lieu.

J’ai voulu faire sentir cette bascule au lecteur de manière assez sensorielle, notamment en montrant que la sécheresse ne conduit pas seulement à la destruction d’êtres vivants, mais aussi de tout leur environnement, même sonore. Progressivement le monde se vide de ses habitants, de ses sons… Notre langue elle-même se modifie.
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Les conflits commençaient aussi à germer autour des restrictions d’eau. Si beaucoup de gens n’ont d’autre choix que de les respecter, les plus riches, qui peuvent payer les amendes, peuvent utiliser plus d’eau. Tout comme les touristes aisés installés dans des gîtes ou hôtels peuvent profiter de l’eau qui manque aux habitants du lieu. C’est très problématique ! D’ailleurs, cela a engendré de la violence : des jacuzzis, par exemple, ont été vandalisés. L’ordre social était chahuté, l’écologie politique appelée à plus de justice sociale.
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Avec l’essor de la société industrielle capitaliste, notre monde s’est beaucoup désincarné. La presse, par exemple, affectionne les chiffres : « 80 % des insectes auraient disparu en Europe sur les trente dernières années », a-t-on pu lire il y a quelque temps. C’est bien de prendre la mesure de la catastrophe avec des chiffres, mais ça reste abstrait. Il n’y a pas d’émotion autour d’un chiffre, même vertigineux.

Si les citoyens sont coupés de leurs émotions, comment pourraient-ils s’engager pour défendre un monde commun plus viable ? Bien sûr, cette question des émotions n’est pas le problème essentiel — qui est beaucoup plus large, géopolitique —, mais, à mes yeux, elle est quand même très importante.

- Livre "Passer l’été", d’Irène Gayraud, aux éditions La Contre allée, 2024, 80 p., 15 euros.
- Article complet : https://reporterre.net/https-reporterre-net-Les-canicules-sont-une-bascule-vers-un-autre-monde

L’Espagne débordée par des feux incontrôlables

- « Ils nous ont complètement abandonnés » : l’Espagne débordée par des feux incontrôlables - La vague d’incendies qui ravagent l’Espagne depuis début août suscite la colère contre les autorités, débordées, dans un pays pourtant habitué aux feux de forêt.
« Je n’ai jamais vu un feu comme celui-là », dit au bout du fil Eva Maria Valez Fernandez, une habitante de Molinaseca, en Castille-et-León. Cette région du nord-ouest de l’Espagne est l’une des plus touchées par la vague de gigantesques incendies qui affecte le pays depuis début août.
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« Ça fait dix jours que cet incendie ravage tout, ça me terrifie. Je vois le feu qui avance, mais aujourd’hui [le 18 août] je n’ai entendu aucun avion ou hélicoptère. Où sont-ils ? Ils nous ont complètement abandonnés », se désole Eva. Des images de citoyens luttant contre les flammes avec des moyens du bord, comme des pelles ou des tuyaux d’arrosage, circulent de plus en plus avec à chaque fois le même slogan : « Solo el pueblo salva al pueblo » (« Seul le peuple sauve le peuple »).
(...)

« Cette combinaison de facteurs crée une sorte de cocktail explosif, explique Cristina Santín, scientifique spécialiste des incendies. On voit maintenant des feux de sixième génération. Ils sont immenses et dépassent nos capacités d’extinction. On ne peut donc pas les contrôler, il faut simplement attendre que le temps change, que le vent tourne ou que le feu atteigne un endroit où il n’y a plus de combustible. »


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