Le nucléaire, c’est la dépendance énergétique, les systèmes autoritaires, le colonialisme et la collaboration avec des dictatures

Le nucléaire c’est s’enchaîner aux causes des désastres

mardi 8 août 2023, par Antitech 26.

En plus du problème des déchets et des risques d’accidents, le nucléaire c’est s’enchaîner aux causes des désastres politiques, climatiques, sociaux et écologiques, c’est s’enfoncer avec la civilisation industrielle dans des sociétés autoritaires et destructrices.
Etre écologiste et défendre (se raccrocher à) le nucléaire parce que ce serait une énergie dite « décarbonée » est absurde et suicidaire.

Le nucléaire c’est la dépendance envers quelques dictatures fournisseuses d’uranium, c’est une accumulation de « technologies autoritaires » complexes incompatibles avec toute forme de démocratie, c’est une énergie industrielle qui alimente le système techno-industriel et son monde marchand, c’est un système centralisé imbriqué avec le complexe militaro-industriel...
Comme l’Etat son berceau, le nucléaire est lié à la guerre et à l’autoritarisme.

Les luttes anti-nucléaires sont donc indispensables, et indissociables du combat contre l’Etat, la tyrannie politique, le productivisme et le militarisme.

Critiquer le nucléaire sans rejeter l’ensemble de la civilisation industrielle est plutôt inconséquent. Les tenants de la civilisation industrielle auront alors beau jeu de promettre une énergie nucléaire propre et sûre fournissant une énergie dite « verte » à d’autres machines (elles-mêmes proclamées « vertes, propres et sûres...). Ils diront aussi que les centrales nucléaires sont un moindre »mal" si on veut maintenir le fonctionnement et le confort typique de la civilisation industrielle.
Rejeter l’énergie nucléaire sans rejeter l’Etat est plutôt inconséquent, car l’Etat a besoin de toujours plus de puissance, donc d’énergies industrielles massives. Et (même si on considère qu’il est possible de les utiliser sans graves dommages) les énergies industrielles alternatives habituelles (solaire, éolien, hydraulique, qui elles-mêmes sont aussi des « technologies autoritaires ») ne peuvent pas suffire à assurer la puissance des Etats et du productivisme qui va avec.

Le nucléaire, c’est la dépendance énergétique, les systèmes autoritaires, le colonialisme et la collaboration avec des dictatures
Le nucléaire c’est l’autoritarisme et le dépendance

☢️ « LE NUCLÉAIRE, C’EST L’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE »

Le coup d’État au Niger rappelle la dépendance française à l’extraction d’uranium

L’uranium qui sert de combustible aux centrales nucléaires ne pousse pas dans les arbres. La France est totalement dépendante des pays qui possèdent ce minerais dans leur sol. C’est le premier mensonge des nucléocrates : « l’indépendance énergétique » n’a jamais existé. La totalité de l’uranium servant aux 56 réacteurs nucléaires françaises vient de l’étranger, importé du Niger, du Kazakhstan, d’Australie… ou de la Russie. Macron, qui veut relancer la filière nucléaire, rendrait donc la France encore toujours plus tributaire des aléas géopolitiques.

Ces derniers jours, le Niger, pays d’Afrique de l’Ouest, a été touché par un coup d’État. L’armée, soutenue par la Russie, y a renversé le président de ce pays sahélien, qui était proche du gouvernement français. Le Niger est un pays aride, une ancienne colonie française, et les putschistes tiennent un discours hostile à l’ancienne puissance coloniale qui trouve un écho légitime dans la population. Le Niger bénéficie d’importantes richesses dans son sol, notamment des mines d’uranium, mais reste extrêmement pauvre à cause de décennies de domination néocoloniale.
Rappelons qu’un tiers de l’uranium utilisé en France provient du Niger. En 2021 et 2022, le Niger représentait près d’un quart de l’uranium importé par toute l’Union Européenne selon Le Monde.

Selon un rapport de l’ONG OXFAM, le Niger représente donc 30% de l’importation d’uranium mais seulement 7% des versements. C’est du néocolonialisme : au Niger, la France bénéficiait d’un minerai peu cher pour ses centrales nucléaires. Le comble, c’est que seulement 13% des Nigériens ont accès à l’électricité. 80% de la population vit en milieu rural et ne bénéficie pas d’accès au courant.

Plus grave encore, l’extraction d’uranium au Niger par l’État français est un désastre humain et écologique. D’immenses collines de déchets radioactifs contaminent les sols et irradient les populations. Les millions de tonnes de déchets rejetés par Orano, le nouveau nom de Areva, vont perdurer des centaines de milliers d’années. Ils contaminent les eaux souterraines et dispersent dans l’air des particules radiotoxiques.
En novembre 2021, des manifestants nigériens s’opposaient à un convoi de l’armée française. Les images diffusées par l’armée montraient les soldats tricolores tirer sur des civils à la fois des grenades lacrymogènes et explosives, les mêmes modèles que ceux utilisées en maintien de l’ordre par la police française, mais aussi avec des fusils d’assaut. La France a longtemps cru qu’elle resterait « propriétaire » des richesses du Niger, mais à force d’abus, de mépris, de vol, le Niger tombe dans l’aire d’influence de Poutine. À présent, une guerre risque d’éclater en Afrique de l’Ouest entre les états qui restent liés aux occidentaux et ceux qui sont désormais proches de la Russie.

"Oui, mais l’uranium du Niger ne représente qu’une part minoritaire de la consommation française", répondront les lobbyistes du nucléaire. C’est vrai, mais le reste vient notamment de Russie. Le 29 novembre, EDF reconnaissait une livraison d’uranium de retraitement enrichi (URE) russe, car le pays dispose d’usines qui permettent de « recycler » l’uranium déchargé des réacteurs français.
Malgré la guerre et les embargos, notre pays continue de recevoir des livraisons en provenance de la firme Rosatom. « Des dizaines de fûts d’uranium enrichi et dix containers d’uranium naturel en provenance » sont arrivés par cargo dans le port de Dunkerque en décembre dernier. Au mois de mars 2022, en pleine guerre, la France renforçait même ses liens avec le groupe russe. EDF et Rosatom ont négocié un contrat. La Russie détient 36% du marché mondial d’enrichissement de l’uranium et fournit plusieurs pays européens.

La France importe également de l’uranium du Kazakhstan, ancien pays soviétique, autre État situé dans l’orbite du pouvoir russe.
Autrement dit, le nucléaire nécessite pour fonctionner une gestion coloniale et la mondialisation capitaliste. Même si elle arrêtait de s’approvisionner au Niger, la France resterait dépendante de ces importations de minerais.

L’industrie nucléaire est à la fois dangereuse, polluante pour des millénaire alors qu’on ne sait toujours pas traiter les déchets, mais qui met aussi la France en situation d’assujettissement. Les nucléocrates se moquent des considérations écologiques ou de la menace existentielle que constitue l’industrie atomique. Leur ultime argument est celui de « l’indépendance énergétique » : celui là aussi est totalement mensonger.

(post de Contre Attaque)

Le mouvement antinucléaire s’est réunifié au Larzac

- Le mouvement antinucléaire s’est réunifié au Larzac - Le mouvement antinucléaire français s’est rabiboché aux rencontres des Résistantes après une décennie de querelles. Il affiche la volonté de redevenir une composante incontournable de la lutte écologiste.

"FUITE EN AVANT DU TOUT NUCLÉAIRE"

☢️⚛️🌎 C’est finalement le site nucléaire du Bugey, dans l’Ain, qui a été choisi comme troisième lieu pour accueillir de futurs réacteurs EPR2 (1670MW), jugé « davantage prêt » que celui de Tricastin . Situé à une quarantaine de kilomètres de Lyon ( 2 millions d’habitants), le Bugey dispose déjà des quatre plus anciens réacteurs encore en service du pays, tous refroidis à l’eau du Rhône.
D’après ses dires, le gouvernement prépare la mise en service de six EPR 2 - d’ici 2035 à Penly (Seine-Maritime), 2038 à Gravelines (Nord) et 2042 pour la troisième paire au Bugey - et envisage d’en bâtir encore huit autres. Des chantiers estimés a 51,7 milliards d’euros dans un scénario gouvernemental "médian" qui s’ajoutent au budget estimé - mais régulièrement revu à la hausse - de 25 milliards d’euros par an pour l’entretien et le recarenage des 56 autres réacteurs du parc français, dont beaucoup ont déjà largement dépassé leur limite de fonctionnement.
« Jamais, dans l’histoire, le groupe EDF n’a eu à investir autant dans plusieurs domaines », a affirmé son PDG. Un casse-tête financier qui ne sera résolu que « d’ici à fin 2024 », d’après Bruno Le Maire. Or, le financement du nucléaire français est au cœur de la bataille européenne sur les renouvelables. Mardi, les eurodéputés de la commission industrie ont réduit la possibilité pour les pouvoirs publics de financer la prolongation des centrales existantes en réduisant le champ d’action des contrats de différence (CFD), censés garantir les prix aux consommateurs et permettre des investissements à long terme.
Le gouvernement a, par ailleurs, annoncé relancer la fusion contestée des organismes de sécurité nucléaire - passé à la trappe en février devant la levée de bouclier de l’IRSN - et devrait présenter un projet de loi « à l’automne » afin de mettre la supervision du nucléaire « au meilleur niveau » pour s’atteler aux chantiers du recarenage, de la construction des nouveaux EPR2 mais aussi du développement des mini-réacteurs modulaires (SMR). Secteur qui n’est actuellement composé que de 5 personnes, chargées d’autoriser les startups à manipuler des combustibles radioactifs...

"FUITE EN AVANT DU TOUT NUCLÉAIRE"
Seulement, au delà de l’aspect financier, l’ambition nucléaire française s’apparente de plus en plus à du bluff. Les centrales en bord de fleuves fleurtent déjà régulièrement avec les limites de ce qui est écologiquement acceptable en termes de rejets d’eau chaude et doivent régulièrement arrêter leur production. EDF a déjà arrêté le réacteur Bugey 3 (900MW) ce weekend et annonce de nouveaux arrêts à partir d’aujourd’hui – des restrictions imposées « exceptionnellement tôt dans l’été », selon l’analyste énergétique Kpler, interrogé par Reuters. L’année dernière déjà, EDF avait bénéficié d’un régime de dérogations sur 5 sites, au détriment de la biodiversité. Au delà d’un renvoi à d’hypothétiques innovations, le gouvernement ne semble prévoir que de relever la température limite des eaux d’un degré et éloigner les prélèvements, normalisant de fait l’exception. Continuera-t-on comme ça jusqu’au dernier poisson, à mesure que les étés se réchauffent ? Alors que l’on sait déjà que le débit du seul Rhône - 88 % de l’eau potable lyonnaise - devrait baisser de moitié d’ici 2050 et qu’il fait partie des stratégies de réduction de la chaleur urbaine pour éviter les climatiseurs.
Pour le président de l’association Sortir du Nucléaire Bugey c’est toute la politique énergétique qu’il faut revoir. « C’est comme si le nucléaire était une sorte de panacée, de réponse vertueuse au problème climatique, déplore-t-il. Or on voit bien que les choses sont beaucoup plus compliquées que cela. Il y a le problème des pollutions radioactives, il y a le problème de l’eau... (...) C’est préjudiciable pour la biodiversité et l’environnement. Tout ça fait que pour nous, c’est une aberration que de vouloir poursuivre coûte que coûte dans le nucléaire. »

DESCHETS ENCOMBRANTS
Question déchet, c’est la même incertitude. EDF a prévenu que les piscines de refroidissement de la Hague risque d’être saturées d’ici 2030, ce qui met d’autant plus de pression sur l’avancée du projet Cigéo, dont la sûreté est pourtant loin d’être garantie. La question du financement et des délais de construction restent là aussi en suspens. Et, alors que l’on loue les EPR2 pour leur capacité à générer moins de déchets, les mini-réacteurs modulaires sont eux suspectés de créer jusqu’à 30 fois plus de déchets radioactifs par unité d’électricité que les réacteurs conventionnels, d’après une étude publiée dans les Actes de l’Académie nationale des sciences (PNAS), l’année dernière.

OMERTA SUR LES EPR
La plus grosse zone d’ombre reste tout bonnement leur conception, censée être une version améliorée des EPR de première génération déjà construit à Taishan, Flamanville et Olkiluoto en Finlande. Ces derniers - non contents d’afficher des surcoûts et retards faramineux - ont enchaîné les avaries et défauts de fabrication. Mais chez EDF, c’est l’omerta.
Début juillet, le Canard enchaîné révélait que l’EPR de Taishan est de nouveau à l’arrêt depuis février - sans que personne ne relaie l’information en France - l’intégrité des gaines de combustibles étant de nouveau menacée, une pièce essentielle à la sûreté du réacteur. Le Canard révélait qu’outre des frais de pénalités supplémentaires aux Chinois, cette avarie pourrait concerner d’autres réacteurs en France et contraindre EDF à de nouvelles vérifications dispendieuses sur le reste du parc. Seulement, là encore, « pas de commentaire », a déclaré EDF.

INSTABILITÉS MONDIALES
Les menaces croissantes concernant la sécurité de la centrale de Zaporoijia ne semblent pas non plus remettre en question les ambitions françaises. Sans compter la menace de frappes directes, la question de l’approvisionnement en eau reste au cœur des préoccupations depuis que, le 6 juin dernier, le barrage de Kakhovka a été détruit, entrainant une baisse importante du niveau d’eau du lac de retenue servant au refroidissement de la centrale. D’après l’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA), les responsables du site prévoient, pour l’heure, de forer des puits supplémentaires pour reconstituer l’eau des bassins d’arrosage.
À mesure que le dérèglement climatique érodera la puissance des Etats, l’instabilité géopolitique devrait faire peser de nouvelles menaces sur les infrastructures stratégiques mondiales. Or, outre l’augmentation généralisée des budgets militaires, de nouvelles capacités de réquisitions civiles et un nouvel hôpital militaire pour « préparer la France à une éventuelle guerre de haute intensité », la réduction de la vulnerabilité d’un secteur nucléaire français qui ne cesse d’enfler semble relever de la méthode Coué.

TOUT UN SYMBOLE
Le 11 juillet dernier, le rapport Net Zero Australia, partenariat entre universitaires et prospectivistes, concluait que l’énergie nucléaire est « trop chère et trop lente pour faire partie des plans de décarbonation de l’Australie ». Considéré comme secteur stratégique d’État depuis le plan Messmer de 1974, le nucléaire français ne bénéficiera pas de la même transparence. À la remise de son rapport 2022, qui appelle à mieux anticiper le réchauffement climatique « pour éviter l’impasse au sein du système nucléaire », Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, alertait, fin mai, sur « un ensemble d’aléas sur le nucléaire jamais vus jusqu’alors ». Il recommandait tout au plus « de résorber le passif du nucléaire existant » avant de « développer le nouveau nucléaire ». Manifestement sans effet.
Quelque peu écornés après Fukushima, la gloriole et les intérêts du secteur bénéficient au contraire d’un engouement renouvelé vantant le mythe d’une énergie "propre et souveraine", condition sine qua none des ambitions climatiques hexagonales, lors même que les vicissitudes de l’approvisionnement en Russie et au Niger et l’entassement de déchets pour le moins encombrants le disputent désormais aux constats de plus en plus implacables d’un régime économique intenable.

La France semble plus que jamais déterminée à courir plusieurs lièvres à la fois, entre démantèlement de la puissance publique et résurrection de projets impossibles sans elle. En témoignent les doutes sur sa capacité même à recruter et former la main d’oeuvre nécessaire à ses ambitions. Entre dépendance au sentier, démesure et "entropocène" - période de production massive créatrice d’entropie théorisée par Bernard Stiegler , dans laquelle les savoirs et la biodiversité se perdent à mesure d’une automatisation et d’un extractivisme croissants - elle semble être un symbole absolu de nos errements civilisationnels.

L.C

Le nucléaire, c’est la dépendance énergétique, les systèmes autoritaires, le colonialisme et la collaboration avec des dictatures
Le nucléaire est liée aussi aux bombes, aux massacres et aux ruines

LE NUCLÉAIRE, EXEMPLE ULTIME DE TECHNOLOGIE AUTORITAIRE

Il y a 78 ans, une bombe atomique était larguée sur Hiroshima.

Dans un discours prononcé quelques mois après, en 1946, Julius Robert Oppenheimer, « le père de la bombe atomique », observait qu’il existait un « parallélisme technique étroit » et une « interdépendance » entre « les applications pacifiques et militaires de l’énergie atomique ». La bombe atomique venait alors d’être développée par l’État qui était et qui est toujours la première puissance militaire du monde, les États-Unis d’Amérique. Oppenheimer remarquait l’évident.
Comme l’a écrit l’auteur et activiste états-unien Jerry Mander, « si vous acceptez les centrales nucléaires, vous acceptez également une élite techno-scientifique-industrielle-militaire ». Ce qui ne vaut pas que pour les centrales nucléaires. Tout État est par définition une puissance militaire. Aucun État ne pourrait fonctionner sans force armée, sans police pour imposer les décisions des gouvernants. Et de nombreuses technologies, similaires aux centrales nucléaires, ne pourraient pas être développées par des sociétés sans État.

Orwell l’avait très justement noté : « L’anarchisme suppose, selon toute vraisemblance, un faible niveau de vie. Il n’implique pas nécessairement la famine et l’inconfort, mais il est incompatible avec l’existence vouée à l’air conditionné, aux chromes et à l’accumulation de gadgets que l’on considère aujourd’hui comme désirable et civilisée. La suite d’opérations qu’implique, par exemple, la fabrication d’un avion [ou d’une centrale nucléaire] est si complexe qu’elle suppose nécessairement une société planifiée et centralisée, avec tout l’appareil répressif qui l’accompagne. »

Le nœud du problème, c’est que, contrairement au cliché que beaucoup répètent machinalement, la technologie n’est pas neutre. Elle n’est pas « qu’un outil », qu’il ne tiendrait qu’à nous de bien ou mal utiliser. Certes, avec une fourchette, on peut manger ou blesser quelqu’un. Avec un couteau, peler une orange ou égorger son voisin. Avec un marteau, enfoncer — au choix — un clou ou un œil. Etc. Certes, les outils, les instruments techniques, peuvent — la plupart, et dans une certaine mesure —, être utilisés de différentes manières : c’est-à-dire qu’ils présentent une certaine polyvalence en matière d’usage.

Mais cette polyvalence en matière d’usage, en quoi serait-elle « neutre » ? Sur quel plan ? Moralement ? Socialement ? Écologiquement ? Politiquement ? Le fait de disposer d’une technologie aux possibilités diverses possède certainement un effet sur nous. On ne se comporte pas de la même manière, on n’envisage pas les choses de la même façon selon que l’on sait avoir accès à un couteau (une fourchette, un marteau, une voiture, etc.) ou non. Au travers des potentialités qu’elle recèle, chaque technologie altère notre rapport aux autres et au monde. Quelle « neutralité » ?

Et surtout (peut-être plus significatif encore) : d’où sortent les hypothétiques fourchettes, couteaux, marteaux (ou satellites, ou réseau internet) régulièrement pris en exemple par les défenseurs de la thèse de la neutralité de la technique ? Ils tombent du ciel ? Ils poussent dans les arbres ? Ils flottent tous quelque part dans l’espace-temps à attendre que l’on s’empare d’eux pour tel ou tel usage ? Non, il faut les produire. C’est encore pourquoi l’argument de la « neutralité » ne tient pas. La fabrication de n’importe quel outil, de n’importe quelle technologie, de la plus simple (un panier en osier) à la plus complexe (une centrale nucléaire) possède des implications sociales et matérielles. Ce qui n’a rien de « neutre ».

Le cas des objets comme le couteau est spécial dans la mesure où il en existe des versions très simples, correspondant à des basses technologies (ou technologies douces), dont les implications sociales et matérielles sont minimes, et des versions complexes, issues de la sphère des hautes technologies, dont les implications sociales et matérielles sont innumérables. En effet, un couteau ne possède pas les mêmes implications sociales et matérielles selon qu’il s’agit d’un couteau (préhistorique) en silex ou en obsidienne ou d’un couteau acheté chez Ikea en acier inoxydable (comprenant du chrome, du molybdène et du vanadium) avec manche en polypropylène : les procédés de fabrication, les matériaux nécessaires, les savoir-faire et les structures sociales impliqués ne sont pas du tout les mêmes.

C’est pourquoi certains types de technologies sont compatibles avec des formes d’organisation sociale égalitaires, non hiérarchiques, véritablement démocratiques, tandis que d’autres (les hautes technologies, par exemple) semblent difficilement concevables sans un système social rigidement et hiérarchiquement conçu.

Aucune technologie n’est « neutre ». Ne pas le réaliser, c’est passer à côté d’un élément essentiel, structurant, de la réalité humaine.
Dans la préface du livre du politologue états-unien Langdon Winner intitulé La Baleine et le Réacteur (réédité aux Éditions Libre en 2022), le philosophe Michel Puech relève :
« La technologie impose, ou plus exactement effectue une restructuration de son environnement, y compris humain, non pas en vertu d’un pouvoir occulte, mais en vertu de sa propre logique de fonctionnement, des conditions de fonctionnement des dispositifs techniques eux-mêmes ».

Quand on choisit une technologie, on choisit une politique.
Car comme le rappelle Winner, « adopter un système technique donné impose qu’on crée et qu’on entretienne un ensemble particulier de conditions sociales en tant qu’environnement de fonctionnement de ce système », parce que « certains types de technologie exigent une structure particulière de leur environnement social à peu près comme une voiture exige des roues pour pouvoir rouler. L’objet en question ne peut pas exister comme entité réellement fonctionnelle tant que certaines conditions, sociales autant que matérielles, ne sont pas remplies. Cette “exigence” désigne une nécessité pratique (plutôt que logique). »

Ainsi : « En examinant les structures sociales qui caractérisent l’environnement des systèmes techniques, on découvre que certains appareils et certains systèmes sont invariablement liés à des organisations spécifiques du pouvoir et de l’autorité. »
La technologie du nucléaire (civil et/ou militaire), par exemple, requiert une organisation du pouvoir et de l’autorité de type autoritaire. D’autres technologies, bien moins complexes, se situent dans une sorte de zone grise. Le type d’organisation spécifique du pouvoir et de l’autorité qu’elles exigent — plutôt démocratique ou plutôt autoritaire — n’est pas évident.

Autrement dit, il existe un lien entre le degré de complexité technologique d’une société et le degré de démocratie qu’elle peut incorporer. Plus la complexité technologique d’une société augmente, plus son potentiel démocratique diminue. Le degré de complexité technologique de la société dans laquelle nous vivons, la société techno-industrielle, est tel qu’il a depuis longtemps réduit à néant ce que les sociétés qui la précédaient recelaient encore de démocratique.

L’historien états-unien Lewis Mumford faisait un constat similaire en remarquant que « depuis la fin des temps néolithiques au Moyen-Orient, jusqu’à nos jours, deux types de technologies ont périodiquement existé côte à côte, l’un autoritaire et l’autre démocratique ». Les technologies démocratiques, qui remontent « aussi loin que l’usage primitif des outils », sont celles qui reposent sur une « méthode de production à petite échelle », qui favorisent « l’autogouvernement collectif, la libre communication entre égaux, la facilité d’accès aux savoirs communs, la protection contre les contrôles extérieurs arbitraires » et « l’autonomie personnelle », qui confèrent « l’autorité au tout plutôt qu’à la partie ». La technologie démocratique « exige relativement peu » et « est très facilement adaptable et récupérable ».

Les technologies autoritaires, en revanche, apparaissent bien plus récemment à l’aune de l’histoire humaine. Elles se forment « à peu près au quatrième millénaire avant notre ère, dans une nouvelle configuration d’invention technique, d’observation scientifique et de contrôle politique centralisé qui a donné naissance au mode de vie que nous pouvons à présent identifier à la civilisation, sans en faire l’éloge ». Ce qui caractérise les technologies autoritaires, c’est donc qu’elles ne confèrent « l’autorité qu’à ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie sociale », qu’elles reposent « sur une contrainte physique impitoyable, sur le travail forcé et l’esclavage », et sur « la création de machines humaines complexes composées de pièces interdépendantes, remplaçables, standardisées et spécialisées — l’armée des travailleurs, les troupes, la bureaucratie ».

La réalisation d’un panier en osier, pour reprendre cet exemple, relève donc de la première catégorie (technologies démocratiques). Elle ne nécessite pas de « contrôle politique centralisé », ni de conférer l’autorité à des individus se trouvant au sommet d’une hiérarchie sociale, etc. Sur le plan matériel, elle nécessite uniquement de récolter de l’osier (qui pousse naturellement à divers endroits). Sur le plan social, elle repose uniquement sur la transmission d’un savoir-faire d’une grande simplicité. Elle ne nécessite aucune spécialisation ni division du travail.

La construction d’une centrale nucléaire, celle d’un panneau solaire photovoltaïque ou celle d’un téléviseur (ou d’un avion, comme dans l’exemple d’Orwell), relèvent de la seconde catégorie (technologies autoritaires). Elles reposent sur le contrôle politique centralisé qui caractérise la présente civilisation techno-industrielle, sur l’esclavage salarial imposé par l’État-capitalisme, elles confèrent l’autorité à ceux qui gouvernent, impliquent un appareil bureaucratique, etc.

Le nucléaire est l’exemple-type de la technologie autoritaire. Un monde de sociétés réellement démocratiques, c’est un monde sans nucléaire

La construction d’une centrale nucléaire nécessite l’obtention (extractions minières, etc.) d’innombrables matières premières, et, en amont, l’obtention des matières premières nécessaires à la construction des outils nécessaires à l’obtention de ces matières premières, et l’existence d’un système éducatif complexe en mesure de former des ingénieurs hautement spécialisés, lequel exige également une foultitude de choses, de dispositions sociales, et ainsi de suite — les technologies modernes, les hautes technologies, sont toujours imbriquées dans un gigantesque système sociotechnique comprenant de nombreuses technologies différentes, aux implications sociales et matérielles immenses.

Mais à la différence des cellules photovoltaïques ou des téléviseurs, le nucléaire implique un autoritarisme particulièrement prononcé à cause des déchets hautement dangereux qu’il génère et du caractère hautement sensible des installations qu’il implique (des centrales). Pour gérer ces déchets, leur transport, leur stockage, et pour protéger les centrales, etc., le nucléaire a donc particulièrement besoin d’une « société planifiée et centralisée, avec tout l’appareil répressif qui l’accompagne ». D’où le slogan anti-nucléaire des années 70, « société nucléaire, société policière ».

Le nucléaire est l’exemple-type de la technologie autoritaire. Un monde de sociétés réellement démocratiques, c’est un monde sans nucléaire — et sans technologies autoritaires en général.

(post de N Casaux)


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