Pour l’ouvrier et l’artisan, l’outil de travail est sacré, c’est l’instrument pour façonner la matière, créer, échanger, relationner avec la terre et les autres, et produire de quoi se nourrir et vivre.
Seulement, que signifie « respecter l’outil de travail » dans le cadre du salariat capitaliste de masse où patrons et actionnaires possèdent les usines, les machines, les outils, et louent une force de travail humaine précarisée et mondialisée la moins chère possible en fonction des besoins fluctuants du marché ??
- Le non-respect de l’outil de travail est essentiel pour les luttes
- Respecter les robots autonomes d’Amazon ?
Le concept de « respect de l’outil de travail » dans ce contexte est un outil de pacification et d’impuissance utilisé de manière fourbe par le patronat, l’Etat et le capitalisme.
Même en temps de grève et de conflit social dur, on entend trop souvent des travailleurs poser des limites à leurs actions en disant qu’ils doivent « respecter l’outil de travail ».
Il ne faudrait pas « trop » faire grève pour ne pas impacter de trop l’usine, pour que les machines puissent redémarrer sans encombre le moment venu ??
Il ne faudrait pas casser ou brûler les machines de production ??
C’est seulement quand ils sont vraiment au bout du rouleau que des travailleures menacent parfois de détruire l’outil de travail propriété des patrons.
Le capitalisme et l’Etat ont très bien réussi à ce que le plupart des travailleurs (moins maintenant qu’avant quand même) s’identifient au travail qu’ils doivent fournir pour que le tas d’argent monstrueux du Capital grossisse encore et encore.
Ils aiment « leur » entreprise (qui pourtant ne leur appartient aucunement), ils aiment « leur » ’outil de travail qui appartient pourtant aux patrons et qui est l’outil de la valorisation de l’argent.
Ils font trop souvent corps avec les objectifs de rentabilité et de concurrence.
Même si souvent les corps et les esprits résistent, que beaucoup sont vidés par l’absence de sens de leur travail, pour l’absence de contrôle sur rien, par la concurrence et la mondialisation économique, il subsiste souvent chez les salariés « le respect de l’outil de travail ».
Si on peut le comprendre pour les artisans et artistes, pour les salariés c’est carrément une arnaque du Capital pour nous priver de vrais moyens de pression et de changements conséquents.
L’Economie utilise le penchant bien humain pour le travail bien fait et l’amour des anciens outils des artisans en nous piégeant dans l’amour des instruments théoriques et pratiques de l’asservissement des salariés et de la destruction programmée des mondes vivants.
Libérons-nous pour de bon de la fascination pour les machines, les robots, le numérique, les IA, le productivisme, le « progrès » techno-indutriel, il en va à présent de notre survie sur cette planète.
Et, de manière plus pragmatique immédiate, le non-respect généralisé de l’outil de travail pourrait fortement aider à aller très loin dans le début d’insurrection actuelle.
- Le non-respect de l’outil de travail est essentiel pour les luttes
Respecter les outils de production d’un système économique qui fait de l’argent en épuisant la Terre et les travailleurs ?!
Respecter les machines et les robots qui produisent de la chimie cancérigène par wagons, des armes de morts, des voitures qui défoncent les paysages, qui éventrent les sols pour les tuer sous le goudron ??
Respecter les machines du sytème techno-industriel qui démolit le climat, détruit les animaux, ravage la santé humaine partout, etc. ??
Respecter les robots-flics et les ordinateurs ??
Respecter les cargos pleins qui viennent d’Asie et les chalutiers usines qui achèvent la vie des océans ?
Respecter les robots autonomes d’Amazon, les péages automatiques, les robots des usines d’assemblages, les camions qui polluent partout et transportent les marchandises mondialisées, les bulldozers qui défoncent les terres agricoles et creusent des mines ultrapolluantes, les centre servers qui alimentent la mégamachine en données, etc. ??
Respecter les rouages mécaniques d’une mégamachine qui nous tue ?
Ce serait déraisonable et suicidaire.
- Le non-respect de l’outil de travail est essentiel pour les luttes
Serait-on trop dépendant du système techno-industriel pour oser vraiment s’en prendre à lui ?
Le bon état des machines et des « outils de travail » possédés par les capitalistes, le refus de les désarmer sans retour, serait-il supérieur à la dignité humaine, à la préservation de notre santé, à l’instauration de la démocratie directe, à l’intérêt de protéger le climat, les sols, l’air, l’eau, les écosystèmes, les animaux et les plantes ?
Le bon état de marche des « outils de travail » qui fabriquent H24 toujours plus d’argent pour le Capital est-il plus important que prendre nos vies en main et préserver nos moyens de subsistance ?
Observons que les Luddites d’antan avaient moins de scrupules à détruire les instruments mécaniques de l’aliénation, de la pollution et de la destruction des paysages, ils n’avaient pas de problèmes « moraux » qui les empêchaient de briser les machines et de pratiquer le sabotage.
Voir sur Reporterre : https://reporterre.net/Kirkpatrick-Sale-une-vie-contre-les-machines
La révolte luddite — Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, de Kirkpatrick Sale, traduit par Celia Izoard, aux éditions L’échappée, janvier 2023, 328 p., 13 euros.
A.