Ces temps-ci, avec la coupe du monde de football, et le retour saisonnier des compétitions sportives de tennis, vélo et autres, j’avais envie d’écrire un petit article sur la question.
En même temps je me disais, à quoi bon critiquer à contre courant, tu vas te faire encore mal voir et risquer de te faire lyncher, tout en restant incompris.e.
Car on l’impression qu’il est finalement mieux accepté de nos jours de critiquer les politiciens professionnels, l’Etat ou le capitalisme que de s’en prendre aux sports de compétition, et tout particulièrement au foot, tant ils semblent susciter partout, dans toutes les classes, tous les âges et tous les sexes, un engouement massif.
En lisant l’article « Populaire ou pas, le foot est un cauchemar », ça m’a motivé de parler quand même du Sport (IMPORTANT : voir définition du sport plus bas). Pas de raison de céder à l’unanimisme ambiant, et la réflexion critique sur le sport (idem pour celle sur le tourisme) est me semble-t-il essentielle de nos jours tant il prend une place croissante.
Par manque de temps je ne vais pas faire un article fouillé, d’autant que d’autres l’ont déjà fait très bien, voir bibliographie en fin d’article, je vais me contenter de quelques remarques personnelles. Lisez les auteurs cités pour les analyses, et des extraits en fin d’article.
Depuis le collège, j’ai plusieurs fois levé le pied sur des sports que je pratiquais (hand ball, ski de fond, voile, badminton...), mon plaisir se dégradant avec la montée en puissance de la compétition, de la violence, de la hargne de vaincre devenues nécessaires au fur et à mesure que je gravissais les échelons.
J’aime le jeu, le corps en action, beaucoup moins le sport.
Plus tard, la lecture d’un livre de Michel Caillat (voir aussi son blog), « sociologue du sport », m’a confirmé dans mon dégoût du spectacle sportif et de sa compétition.
Derrière le Sport se cache en fait tout un système de contrôle social, d’aliénation, de conformisation, d’habituation au capitalisme, de virilisme, de renforcement des logiques de compétition, d’affermissement du libéralisme le plus débridé, de diversion et de distraction.
Derrière la fête ou l’éventuelle beauté d’un geste technique se niche une entreprise mondiale d’imprégnation totale au monde de la marchandise.
Derrière la grégarité agréable entre supporters du même camp se cachent le vide des relations sociales et de la séparation en classes et en clans, la dureté du système économique qui isole les personnes et la violence de l’absence de démocratie réelle. Les bains de foule pour fêter une équipe remplacent les liesses d’une victoire sociale, de l’éjection d’un tyran, le plaisir de participer ensemble à la vie de la Cité.
Le Sport, comme le capitalisme, est totalitaire. Le Sport veut s’infiltrer partout, imbiber et contrôler de près toutes nos pratiques, éjecter la coopération, l’émulation et le jeu libre et gratuit au profit de la compétition normée, mesurée et hiérarchisée, profitable à la fois à la domination de l’Etat et aux bénéfices juteux des entreprises du secteur.
A défaut de pains véritables et nourriciers, le système nous fourgue des Jeux sportifs frelatés mais séduisants.
Ne nous faisons pas d’illusions : dans la pratique, ce ne sont pas les peuples qui détournent/subvertissent le foot, le Sport, pour en faire le terreau d’une résistance, d’une émancipation populaire, c’est plutôt le Sport qui récupère et détourne les cultures populaires pour en faire des moments inoffensifs et aliénés utiles au capitalisme et au maintien de l’ordre social existant.
Bien sûr, on peut toujours trouver quelques exceptions et des pratiques alternatives, mais c’est très marginal.
Le seul « avantage » du sport moderne serait peut-être que la violence et la compétition ritualisées, plus ou moins cironscrites dans l’arène sportive et les « rivalités » entre supporters limitent les guerres et guerres civiles ? Mais on pourrait tout aussi bien dire que le sport institutionnalisé basé sur la compétition entretient l’habitude et l’enracinement de la violence et prépare aux futures violences de masse ?
C’est peut-être d’ailleurs pour cela que le Sport plaît autant : parce qu’il est une école de la compétition généralisée à l’apparence « moderne » et « fun », du chacun pour soi (ou son équipe, son clan, « son » pays), une sorte d’université permanente du capitalisme et de son monde.
Car comme presque tout le monde a intériorisé et fait sien les buts et les fonctionnements du capitalisme, il n’est pas étonnant que les critiques se fassent rares et que le Sport soit adulé partout et par toustes, que ce soit en tant que spectateurs-trices ou en tant que pratiquant.e.s.
Comme la compétition scolaire, le Sport fait partit des éléments formateurs au monde sans pitié du capitalisme mondialisé. Et, plutôt que de remettre ça en cause et de chercher d’autres voies, la plupart des gens préfèrent y tremper à fond, espérant être mieux armés afin d’avoir une place au soleil, faire leur trou et gagner quelques miettes du gâteau énorme que se partagent les puissants, ...et les footballeurs célèbres.
Bien entendu, certain.e.s diront que tout ça est beaucoup trop « intello », que c’est de la masturbation intellectuelle. Buvons et chantons, soyons positifs, dansons plutôt sur le pont du Titanic devant les écrans géants de retransmission gratuite des matchs. Surtout pas de « prise de tête », « on » est en finale !!!!!!
« Bon match », comme disaient certains commerçants sur le marché de Crest ce matin. De mon côté, ce 15 juillet 2018 à 17h, j’irai plutôt nager « sportivement » dans la rivière, au calme.
BIBLIOGRAPHIE
Télécharger Offensive n°11 (format pdf), dossier « On hait les champions », à partir de la page 13
Voir aussi des articles et ouvrages divers :
- La critique du sport moderne par Jean-Marie Brohm
- Livre de Brohm : Théorie critique du sport - Essais sur une diversion politique
- A mort le sport-spectacle et la compétition ! Vive le Sport et l’émulation ! Critique du sport médiatique
- Et toute une série d’articles : Jean Marie Brohm et la critique du sport, où le sport moderne est abordé sous divers angles d’attaque
- L’OPIUM DU PEUPLE - Quelques citations pour une théorie critique du sport
- Le sport contre les femmes
- Le football, arme de mystification idéologique et de démobilisation - avec Jean-Marie Brohm (sociologue)
- LA BARBARIE SPORTIVE - NICOLAS OBLIN
Extraits
Extrait de l’article « UN OPIUM DU PEUPLE », une interview de Brohm, dossier d’Offensive n°11 :
Pour éviter toute incompréhension, peux-tu commencer par définir le sport ?
Toute la confusion de la critique du sport vient de là. Les gens pensent que faire un footing le dimanche matin, faire une partie de ping-pong entre copains, faire des abdominaux pour perdre le ventre Kronenbourg, c’est du sport. Courir après le bus, c’est du sport ! Non. Le sport est la compétition institutionnellement réglée dans le cadre de fédérations, de clubs : c’est une institution de la compétition généralisée, au niveau local, national et international, avec ses règlements, ses techniques codifiées, ses contraintes bureaucratiques. Souvent, les militant-e-s pensent que le sport n’est au mieux qu’une distraction populaire ou une culture du corps : bouger, faire des efforts. En réalité, ce qui est à critiquer, c’est l’institution sportive. Lorsque tu as dix ans et que tu entres dans un club, tu es inscrit-e dans des compétitions, tu es chaperonné-e par un entraîneur. On t’enseigne la logique de la réussite, de la gagne. Tu passes d’un échelon à un autre dans un système hiérarchisé dont l’objectif est de produire des champions d’État ou des mercenaires sponsorisés. Ça n’a rien à voir avec la possibilité que nous avons les un-e-s et les autres de nager, de nous balader dans la nature ou de jouer au ballon sur la plage...
et aussi :
<<ANNIHILER LA VOLONTE ADVERSE : LE SPORT EST L’INTEGRATION du conflit avec autrui, et non de l’entraide. Ceci n’est pas valable que pour les arts martiaux : le tennis de table ou le volley-ball sont rigoureusement identiques sur cet aspect. Un ancien sportif de haut niveau témoigne : « Commencer une compétition sans avoir la hargne, c’est-à-dire la volonté de gagner, ou plus exactement de vaincre, son adversaire, c’est courir au désastre ».
Sans la volonté de vaincre, un sportif n’est pas aussi efficace : il « joue » bien en dessous de ses moyens. Cette volonté n’est pas un simple trait de personnalité, une simple « qualité » psychologique propre aux sportifs.
Elle n’implique rien d’autre que de rechercher à chaque instant à battre l’autre, à profiter du moindre de ses points faibles : la volonté de vaincre vise à annihiler la volonté de l’adversaire, puisqu’il s’agit de trouver le moyen pour que celui-ci ne puisse pas. malgré toute sa « bonne volonté », échapper au funeste destin qu’on lui réserve. La mentalité sportive n’est rien d’autre qu’un apprentissage de la hiérarchie, de la domination et de la violence psychologique. >>
Présentation du livre de Brohm :
La Théorie critique du sport est une déconstruction radicale du système sportif capitaliste et de ses fondements, l’idéologie de la compétition et le principe de rendement. La saturation de l’espace public par l’impérialisme du spectacle sportif constitue non seulement une diversion sociale de masse mais aussi l’occultation de la réalité effective de l’institution sportive mondialisée : dopage organisé, violences supportéristes, main-mise absolue du capitalisme financier multinational, corruption à grande échelle, collusions avec les régimes totalitaires et les états militaro-policiers. La Théorie critique du sport s’est constituée historiquement dans une praxis-processus politique et épistémologique de démystification des « valeurs » et « idéaux » fétichisés par les meutes de zélateurs de la « culture » sportive et de la « compétition méritocratique ».
La contestation du sport-opium du peuple est l’axe central de la Théorie critique du sport.
Introduction du dossier sur Offensive n°11 :
LA COUPE DU MONDE qui anima le début d’été 2006 a confirmé plus que jamais ce propos : « le sport est partout ». Les athlètes s’affichent sur les murs, les télés dépensent des milliards pour diffuser des compétitions, « L’Équipe » est le journal le plus vendu en France, les enfants pratiquent le sport à l’école et en club si affinité, les gars comme les filles s’habillent en Adidas ou Nike, les politiques aiment sourire au côté des sportifs... et vos ami-e-s en discutent entre eux.
Loin d’être associé à la joie et au lien social, le sport, c’est avant tout la violence sur les terrains et en dehors, la compétition pour départager des êtres humains au millimètre, le dopage pour préparer des hommes-machines, le fanatisme exacerbé des supporteurs qui crient à tue-tête « enculé, enculé »,
le culte d’un corps qui doit être musclé et viril, la hiérarchie parce qu’il faut toujours un gagnant et un perdant. Vive le sport !
Pourtant, la critique du sport est absente, y compris du discours révolutionnaire : soit parce que ça n’a aucun intérêt (« c’est une affaire de sportifs »), soit parce qu’on ne souhaite pas se mettre en porte-à-faux avec une pratique si populaire. Le sport est pourtant né au milieu de XIXe siècle en Angleterre, lorsque le capitalisme prend forme. Par le sport, on institutionnalise une pratique physique qui existait auparavant sous forme de jeu. Tandis que la course au progrès débute, il s’agit de désigner les meilleurs, avec toutes sortes de classements. Tandis qu’on vante la saine concurrence du commerce international, le sport compare les performances des sportifs nationaux. Le sport n’est pas neutre ni apolitique, mais se fond à merveille dans le capitalisme pour y véhiculer la même idéologie.
Nous devons combattre le sport. Cet opium du peuple remplit les stades de dizaines de milliers de spectateurs animés d’une ferveur et d’une foi à faire pâlir d’envie n’importe quel curé. Au stade tous les dimanches ! « On arrête tout », titrait un journal pour le premier match « des Français » à la Coupe du monde, tandis que le gouvernement comptait sur cet événement pour calmer le ras-le-bol ambiant, n s’agit bien de cela : le politique et la contestation sont neutralisés par le sport. On s’en prend à l’incompétence des entraîneurs, mais pas à son patron. On s’engueule pendant des heures à parler stratégie, mais jamais on ne discute de l’avenir que nous réserve le Medef. La force du sport est de produire tout autant l’idéologie capitaliste de la performance que du spectacle pour celles et ceux qui n’auront bientôt peut-être même plus de pain. Tant qu’ils ont des jeux...
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