Sur Reporterre, une très intéressante interview de deux membres du comité Justice pour Adama :
Youcef Brakni et Édouard Louis : « La politique est une question de vie et de mort »
(voir aussi l’événement Les quartiers en gilets jaunes)
Extraits :
En ce qui concerne la ressemblance entre quartiers populaires et zones rurales, il y a quelque chose de commun, c’est la relégation géographique. Il y a des stratégies urbaines pour enclaver ces territoires, pour empêcher la libre circulation des individus. C’est encore plus violent en province qu’à Paris, mais à Paris aussi cela existe. Moi, quand j’étais adolescent en Seine-Saint-Denis, je ne bougeais pas beaucoup, parce que c’est très difficile de bouger entre banlieues, très difficile d’aller de ville en ville dans le 93. Les stratégies urbaines de transports en commun ne sont pas dues au hasard. Et avec la « gentrification », on expulse les classes populaires, noires, et arabes toujours plus loin.
Donc, il y a ces points communs mais il y a des spécificités : le fait qu’on ne peut pas circuler à cause de notre couleur de peau. Quand on est noir ou arabe, on est entravé dans notre circulation. Il y a une sorte d’« assignation à résidence ». On reste bloqué, on ne peut pas circuler. Mais la spécificité ne veut pas dire qu’il n’y a pas de possibilités de lutter ensemble. Au contraire : on va venir samedi, avec notre gilet jaune, notre tee-shirt jaune sur lequel est inscrit « Justice pour Adama ». Et on va dire : « On vit le racisme, on vit les violences policières. » Venez, on y va ensemble, on renverse Macron. « Macron démission », cela me parle !
La question qui a produit la révolte des Gilets jaunes est la question de classe : le fait qu’on exonère les grandes entreprises qui, elles, polluent énormément, beaucoup plus que trois régions ouvrières ensemble. Les gens n’ont pas envie de la destruction de la planète.
Par ailleurs, on n’est pas obligé de prendre — comment dire ? — au premier degré ce que disent les individus quand ils se révoltent. Quand des gens disent : « L’écologie, on s’en fout, ce sont nos vies qui comptent », cela exprime la situation de détresse d’un corps qui fait qu’on dit cela. Quand on est en colère, quand on est blessé par quelque chose, parfois on dit quelque chose de violent à quelqu’un qu’on aime, à la personne qu’on aime, à l’homme qu’on aime, à la femme qu’on aime… Et, après, on s’interroge, mais pourquoi j’ai dit cela ? Pourquoi j’ai été traversé par quelque chose comme çà ? Cela paraît anecdotique, mais en fait, c’est très politique. Quand on entend des déclarations violentes sur le racisme ou contre l’écologie parmi les Gilets jaunes, c’est une continuité de la violence des dominants, qui accule les gens à une situation de précarité tellement immense, tellement extrême, qu’ils finissent par exploser et dire des choses violentes.
Quand je vois que Total va exploiter le gaz de schiste en Algérie, et pomper les nappes phréatiques sous le Sahara — une immense réserve d’eau douce, millénaire — c’est inadmissible. Alors qu’en France, où il y a eu une forte mobilisation, Total arrête. Je ne comprends pas que les écolos français ne se disent pas que ce qui se passe en Algérie est inadmissible.
il y a une montée en puissance de la violence d’État, c’est-à-dire de la capacité à tuer des gens, de la volonté de tuer des gens, de mettre fin à leur vie. C’est une question essentielle. Et cela se joue à l’échelle mondiale.
Si on pose la question écologique, on pose la question de classe. C’est ce que produit le mouvement pour Adama, un mouvement à l’intérieur duquel toutes les questions sont posables parce qu’elles sont pour la première fois réellement articulées.
Le comité Justice pour Adama n’est pas seulement un mouvement politique, c’est un mouvement sur le mouvement politique. C’est-à-dire qu’il interroge radicalement les manières de penser la politique, les hiérarchies dans la politique, comment on croise les problèmes entre eux.