Le comité Adama, héritier de 50 ans de combats invisibilisés

mercredi 29 juillet 2020, par Minou.

Fer de lance de la mobilisation contre les violences policières et le racisme en France, le comité La vérité pour Adama s’inscrit dans la continuité des luttes de l’immigration et des quartiers populaires. La parole aux « anciens ».

« Nous n’arrivons pas de nulle part pour sauver le monde. » Assa Traoré le martèle à chacune de ses interventions, dans les manifestations comme dans les médias. Le combat qu’elle porte avec le comité La vérité pour Adama, contre les violences policières et le racisme en France, n’est pas un cheveu tombé dans la soupe de la militance au lendemain du décès de son petit frère Adama, après une interpellation par plaquage ventral, le 19 juillet 2016. Il s’inscrit dans la continuité des luttes de l’immigration et des quartiers populaires, des décennies de luttes invisibilisées pourtant majeures.

Samedi 13 juin, tandis que la place de la République à Paris se remplissait pour une seconde démonstration de force antiraciste, Assa Traoré, hissée sur un camion blanc et entourée des familles de victimes de violences policières, a répété qu’elle marchait dans les pas « d’hommes et de femmes qui ont tant construit et sans lesquels nous ne serions pas là aujourd’hui ».

La grande sœur d’Adama Traoré, moteur magnétique de la puissante mobilisation en France contre les brutalités policières et les inégalités raciales depuis la vidéo du meurtre de George Floyd aux États-Unis, s’est notamment réclamée de Ramata et Fatou Dieng, fondatrices du collectif Vies volées après la mort de leur petit frère, Lamine, le 17 juin 2007, asphyxié dans un car de police par cinq policiers agenouillés sur sa poitrine.

Elle était encore à leurs côtés samedi 20 juin, à nouveau place de la République à Paris, pour rendre hommage à Lamine treize ans après sa mort et alors que l’État français va verser 145 000 euros à la famille Dieng après plus d’une décennie de procédure qui s’est achevée devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Assa Traoré, place de la République à Paris, le 13 juin. © Rachida El Azzouzi
Assa Traoré, qui vient de recevoir un prix aux États-Unis pour son engagement, n’oublie jamais aussi de se revendiquer du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), créé il y a vingt-cinq ans, en 1995, qui fédère une quarantaine de groupes et d’associations issus de divers quartiers de France abandonnés. Héritier des premières grandes luttes de l’immigration, le MIB est l’une des tentatives les plus emblématiques d’organiser politiquement l’immigration postcoloniale en France, de ne plus raser les murs, courber l’échine.

Ses militants sont aujourd’hui de toutes les manifestations du comité Adama, clamant en chœur : « Pas de justice, pas de paix ! » À commencer par l’un des cofondateurs du MIB, Nordine Iznasni, 58 ans, travailleur social à Nanterre, figure de la lutte contre le racisme et les violences policières. Il a participé aux deux rassemblements à succès du comité Adama, assisté aux obsèques de Maurice Rajsfus, l’homme qui a compilé sa vie durant les violences policières, décédé le 13 juin.

Dans les années 1990, Maurice Rajsfus avait accompagné le MIB et lui avait communiqué ses archives sur la répression de la manifestation pacifiste des Algériens, le 17 octobre 1961 à Paris, contre le couvre-feu auquel ils étaient soumis.

S’entretenir avec Nordine Iznasni, c’est revisiter la longue histoire des violences policières, du racisme et des luttes avortées pour les contrer. Chaque nom, chaque date, chaque lieu précis où se sont produits des drames sont gravés dans sa mémoire et ressurgissent au détour des échanges. Lahouari Ben Mohamed, tué en 1980 à Marseille, Lamine Dieng, mort à Paris en 2007, Toufik Ouanes en 1983 à La Courneuve ou encore Sidney Manoka Nzeza à Tourcoing en 1998.

Dans les années 1980, 1990, 2000, ces histoires sont communes et ne font pas scandale au-delà d’un cercle restreint. Le MIB, avec ses membres comme Mohamed Hocine, Fatiha Damiche, Tarek Kawtari ou Farid Taalba, élabore une stratégie forgée par l’expérience et les désillusions. Le mouvement veut contourner sa crainte ultime : que les affaires soient étouffées et sombrent dans les limbes de l’oubli. « Car c’est une seconde violence », juge Nordine Iznasni.

Il a grandi dans le bidonville de Nanterre, en banlieue parisienne, où il découvre le racisme, l’injustice et la relégation. « On était abonnés aux contrôles de police. » Il fait ses premières armes militantes en luttant contre la « double peine », dont sont victimes ces étrangers expulsés après une peine de prison.

Puis, les militants réalisent que, comme dans des cercles concentriques, les problématiques liées aux quartiers populaires se surajoutent : logement, éducation, chômage… Nordine Iznasni préconise alors de miser sur l’éducation populaire pour développer des stratégies de défense et d’organisation dans les différents collectifs qui se forment alors à travers la France, à Mantes-la-Jolie, Dammarie-les-Lys, aux Mureaux, à Trappes, Lyon ou encore Montpellier.

Manifestation contre le racisme et les violences policières, à Paris, le 13 juin. © Rachida El Azzouzi
« Il fallait éviter d’être isolés parce que dans ce cas-là, on subit encore plus, observe aujourd’hui le militant avec le recul des années. On faisait des réunions, des manifestations, des rassemblements pour faire en sorte que les affaires existent et éviter que la justice relaxe les auteurs de violences policières. En étant regroupés, on est toujours plus forts. On partait toujours d’un combat local pour en faire un débat national. »

Le cofondateur du MIB insiste : il y a une méthode bien rodée à adopter. Les familles de victimes doivent s’adjoindre très rapidement les services d’un avocat, porter plainte pour pouvoir a minima avoir accès au dossier. Dans l’affaire Adama Traoré, en effet, le conseil de la famille joue un rôle déterminant en produisant des « contre-expertises » pour que l’affaire ne soit pas classée. « On conseillait aussi aux victimes de violences policières de ne pas dire au médecin qui allait les examiner que la police était l’auteure des blessures pour être sûr d’avoir un constat honnête. »

Le comité Adama s’inscrit dans ce prolongement. « Assa et le comité Adama ne font que reprendre le flambeau des luttes passées, et de manière impressionnante », témoigne Samir Baaloudj. À 47 ans, cet ancien du MIB, qui alterne avec deux métiers, travailleur social et gardien d’immeuble, est de toutes les actions du comité Adama depuis quatre ans. « Je les ai rencontrés au lendemain de la mort d’Adama, à Beaumont, où je m’étais rendu. Je me suis présenté devant une cinquantaine de jeunes qui débattaient de l’opportunité ou pas d’aller devant la mairie dire leur colère. Je leur ai raconté mon expérience au MIB, ce qui m’y avait conduit et je leur ai donné des conseils de grand frère. »

« On réalise qu’il y a une violence spécifique, qu’on meurt parce qu’on est noir ou arabe »

Samir Baaloudj a rejoint le MIB en 1997 après la mort d’Abdelkader Bouziane, un adolescent de 16 ans tué d’une balle dans la nuque par la brigade anti-criminalité le 17 décembre 1997 alors qu’il conduisait sans permis la Golf de sa mère. Une énième violence policière qui déclenchera des jours et des nuits d’émeutes dans le quartier de la Plaine-du-Lys à Dammarie-les-Lys en Seine-et-Marne, le quartier de Samir. « Le MIB, je l’ai rencontré en allant au parloir, à Fleury-Mérogis, voir mon frère incarcéré à la suite des émeutes », raconte Samir.

Quand vingt ans plus tard, en juillet 2016, il rencontre les jeunes du quartier de Beaumont puis la famille Traoré dans son salon, Samir Baaloudj insiste sur l’importance de livrer leur version des faits « avant celle de la police, du parquet, des médias qui vont criminaliser Adama Traoré ». « Je propose aux jeunes de prendre leurs témoignages et de les envoyer à un ami pour qu’on les publie le plus rapidement possible. Je leur dis aussi de monter une conférence de presse, d’appeler les journalistes. »

Samir Baaloudj, ancien du MIB, aux côtés de Fatou Dieng, sœur de Lamine, tué en 2007 à Paris par la police. © Rachida El Azzouzi
Samir Baaloudj ne fait qu’apporter là une aide, une méthodologie pour s’organiser localement, héritée des prédécesseurs. Les pionniers sont les militants du Mouvement des travailleurs arabes (MTA). Créé en juin 1972 à Paris par des militants arabes et français proches des maoïstes de la Gauche prolétarienne (GP), des chrétiens de gauche et des travailleurs immigrés, le MTA se développera dans une quinzaine de villes françaises, là où l’immigration est forte comme à Lille ou Lyon.

« Dès cette époque, on se fédère autour d’une origine, d’une culture, d’une nationalité, car on réalise qu’il y a une violence spécifique, qu’on meurt parce qu’on est noir ou arabe. La question des crimes racistes apparaît comme l’élément le plus visible du racisme et des discriminations en France, comparée à des problématiques plus feutrées comme la question du logement », explique Rachida Brahim.

Docteure en sociologie à l’université Aix-Marseille, elle a étudié 33 ans de crimes racistes en France, de 1970 à 2003, jusqu’à en recenser 731 et publie sa thèse en décembre prochain : « La race tue deux fois. Particularisation et universalisation des groupes ethniquement minorisés dans la France contemporaine, 1970-2003. »

« L’un des enjeux du MTA est d’être là avant les médias, les pouvoirs publics, pour imposer leur version des faits, avant que la vérité ne soit transformée, poursuit la jeune chercheuse. Leur lutte donne lieu à des vastes manifestations, des arrêts de travail, des grèves de la faim, des stages d’autodéfense, des enquêtes, pour montrer en quoi ces violences sont racistes. »

Le MTA est le premier mouvement massif d’immigrés depuis la guerre d’Algérie à s’organiser en France. Très surveillé par les renseignements généraux et en particulier par le SAT-FMA, le service de police créé pendant la période coloniale qui a perduré et continué à surveiller les Algériens en France après la guerre, le MTA va éprouver la répression féroce du pouvoir et de ses officines. Nombre de ses leaders seront expulsés.

Dans les années 1980, on change de génération, ce sont les descendants de travailleurs arabes qui se mobilisent, leurs fils notamment, qui sont victimes des violences policières et de crimes racistes.

« Deux types de mouvements émergent, détaille Rachida Brahim. D’un côté, les émeutes, devenues un terme péjoratif, qui sont un moyen de contester l’ordre établi et de rentrer dans l’espace public. On en trouve dès 1979 dans la banlieue lyonnaise, à Vénissieux, et elles restent une constante jusqu’à aujourd’hui. Elles sont toutes déclenchées par une violence policière ou une injustice. Les émeutes de 2005 sont les plus symboliques, après la mort de Zyed et Bouna. »

« De l’autre côté, des collectifs plus structurés naissent à partir des années 1980, 1990, comme Rock against the police, Zaama des banlieues ou encore SOS Avenir Minguettes à l’origine de la grande marche de 1983. Des familles de victimes se rassemblent aussi dans des associations comme celle des femmes maghrébines qui fédère des mères et sœurs de victimes policières. Occupations de locaux, concerts, marche pour l’égalité, grèves de la faim… Leur organisation est plus structurée. À la fin des années 1980, elles seront cassées par la récupération institutionnelle, notamment par SOS Racisme. »

Youcef Brakni, autre pilier du comité Adama, lors de la manifestation contre le racisme du 13 juin à Paris aux côtés de Assa Traoré, Samir Baaloudj ou encore le père d’une victime de violences policières. © Rachida El Azzouzi
Rachida Brahim est frappée par le message porté par le comité Adama : « Il est vraiment exactement le même que celui porté par les premiers mouvements antiracistes des années 1970, 1980, 1990. Le grand fil conducteur d’hier à aujourd’hui est le refus d’être violenté en raison de son faciès, sa filiation, ses origines. La continuité est extrêmement frappante mais aussi très gênante car elle montre que face à ce message répété depuis soixante ans, la réponse institutionnelle a été très largement insuffisante. »

« La lutte du comité Adama s’inscrit dans le passé tant par les revendications, les mêmes qu’autrefois – que la justice se fasse dans des conditions normales –, que par la composition du comité, renchérit l’historien Karim Taharount, auteur d’un livre qui prouve que les quartiers populaires ne sont pas des déserts politiques, « On est chez nous » - Histoire des tentatives d’organisation politique de l’immigration et des quartiers populaires (1981-1988) (Solnistata, 2017). On retrouve des figures de la militance comme Samir Baaloudj, une génération apparue en 1990 qui s’est rattachée au mouvement de lutte de l’immigration, ou encore la génération 2005 avec Almamy Kanouté, avec les luttes du boulevard Auriol, les mobilisations après la mort de Zyed et Bouna qui déclencheront trois semaines d’émeutes, des luttes très locales. On a aussi Youcef Brakni, un temps proche du PIR, le Parti des indigènes de la République dont l’appel de 2005 a marqué un tournant, avant de rompre les ponts. »

Quand il les écoute parler dans les médias ou à la tribune, Karim Tarahount a l’impression d’entendre « des militants qui ont 50 ans d’expérience » : « Ils sont la preuve qu’il y a une transmission de la mémoire, de la méthodologie qui se transmet d’une génération à une autre. » Il est d’ailleurs « très frappé par leur conscience de la récupération qui s’inscrit dans les histoires anciennes avec une expérience militante cumulée de plusieurs décennies. Ils sont dans la continuité des collectifs qui se veulent autonomes et indépendants de toute organisation institutionnelle, politique ».

Et la première des organisations dont ils veulent se tenir à très grande distance est SOS Racisme, ce satellite du parti socialiste. Beaucoup aiment à rappeler cette blague qui circule encore et que d’aucuns attribuent à feu l’immense artiste Rachid Taha : « SOS Baleines, c’est pour sauver les baleines. SOS Racisme, c’est pour sauver le racisme. »
En son temps, Nordine Iznasni et ses acolytes du MIB ont dû composer avec ces associations « insérées ». Il se rappelle ces manifestations silencieuses organisées alors par SOS Racisme : « Je ne comprenais pas pourquoi au contraire on n’avait pas le droit de crier et qu’il fallait qu’on reste encore silencieux. »

La marche pour l’égalité de 1983, « le mai 1968 des enfants d’immigrés post-coloniaux »

Même dissous, le MIB continue la lutte. Il a par exemple assisté la famille d’Hakim Ajimi, décédé à Grasse en 2008 après avoir été victime d’une clé d’étranglement, dont l’interdiction fait débat. Nordine Iznasni ne sait que trop les traumatismes engendrés dans les familles par ces décès soudains aux conséquences multiples. La lutte aide à mieux appréhender la douleur. « C’est très dur, au MIB on essayait d’être à la hauteur de ce que les familles nous demandaient. »

Nordine Iznasni assiste à des procès pour voir comment la justice se rend. Il se souvient de cette incursion au tribunal pour la mort d’Ahmed Bouteldja, tué le 28 septembre 1982 à Lyon de deux balles dans le dos tirées par un vigile, un « crime raciste et sécuritaire ». Le procès aura lieu en décembre 1985 et Nordine Iznasni en garde un souvenir amer.

La veuve d’Ahmed Bouteldja est dépitée par la faiblesse du verdict, cinq ans d’emprisonnement dont un avec sursis. La famille de la victime et ses soutiens sont évacués vers la salle des pas perdus, une grenade lacrymogène est lancée à l’intérieur du palais de justice, et tous sont matraqués par la police. Nordine Iznasni est lui-même blessé…

Nordine Iznasni regrette que les populations issues de l’immigration ne soient pas considérées comme les autres Français. Le militant rappelle que, par exemple, son oncle est mort en Indochine. « On est comme les autres, je n’ai pas besoin de m’affirmer plus que les autres, mais je veux qu’on nous traite comme les autres. »

C’est cette revendication qui traverse les décennies et les militants antiracistes, la quête de l’égalité réelle et de la justice sociale. Dans le livre La Marche pour l’égalité et contre le racisme (Éditions Amsterdam), le sociologue Abdellali Hajjat propose une socio-histoire sur ce qu’il nomme « le mai 1968 des enfants d’immigrés post-coloniaux » : la marche historique pour l’égalité et contre le racisme de 1983.

En se fondant sur des archives municipales et départementales parfois inédites et sur des témoignages des acteurs de l’époque, le sociologue retrace avec précision la genèse de cet événement fondateur qui « symbolise l’apparition des enfants d’immigrés postcoloniaux dans l’espace public français ».

En 1981, des rébellions urbaines éclatent aux Minguettes, à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise. Ces « rodéos de l’été chaud » préfigurent une tension à son comble entre la police et les jeunes. En mars 1983, aux Minguettes, des jeunes entament une grève de la faim et fondent dans la foulée l’association SOS À venir Minguettes.

Dans les statuts, reproduits par Abdellali Hajjat, on découvre entre autres la demande de « reconnaissance à part entière des droits des jeunes immigrés et français et une juste application des lois civiles et pénales françaises » et la volonté de « faire prendre en charge » la réhabilitation et le désenclavement des divers quartiers des Minguettes par les habitants eux-mêmes, pour lesquels « l’association cherchera à faciliter l’insertion sociale et professionnelle des jeunes par la recherche et la création d’emplois à durée limitée ».

Dans la nuit du 19 au 20 juin, un soir de ramadan, Toumi Djaïdja, le président de SOS Avenir Minguettes, sort de chez lui après la rupture du jeûne. Il voit un adolescent d’une douzaine d’années se faire mordre par un chien policier. Spontanément, le leader associatif intervient, le policier lui tire dessus. Toumi Djaïdja survit et dépose plainte pour « tentative d’homicide volontaire et non-assistance à personne en danger ».

Manifestation contre le racisme et les violences policières, à Paris, le 13 juin. © Rachida El Azzouzi
Cet événement sera le déclencheur de cette marche, organisée par une alliance improbable entre les jeunes de SOS Avenir Minguettes, le prêtre des Minguettes Christian Delorme, le pasteur Jean Costil, la Cimade de Lyon et le Mouvement pour une alternative non-violente (MAN).

Partie d’une poignée d’hommes à Marseille le 15 octobre, la Marche pour l’égalité et contre le racisme prend rapidement de l’ampleur. Le 3 décembre, ce sont près de 100 000 marcheurs qui défileront dans la capitale, un succès inouï qui déjoue tous les pronostics.

François Mitterrand, président, reçoit des marcheurs à l’Élysée et annonce la création de la carte de séjour de dix ans pour les étrangers.

Une deuxième marche est organisée l’année suivante, sous le nom de Convergence 1984 pour l’égalité. L’un des slogans de l’époque clame « La France, c’est comme une mobylette : pour avancer, il lui faut du mélange ».

Cette marche est dans toutes les mémoires de celles et ceux qui marchent aujourd’hui aux côtés du comité Adama. Nordine Iznasni, le cofondateur du MIB, voit d’un bon œil l’action du comité Adama et salue sa maîtrise des nouveaux outils de communication comme les réseaux sociaux. Il incite aussi les témoins d’arrestation, ces « lanceurs d’alerte courageux », à filmer. Les images permettent d’attester d’une réalité et d’accréditer les récits.

Il faut aussi créer un rapport de force politique. Pour Nordine Iznazni, Assa Traoré y parvient, même si elle doit essuyer des critiques, des insultes contre sa famille et le passé judiciaire de certains de ses membres. « On essaie toujours de trouver des accusations contre les familles des victimes pour les salir une deuxième fois. C’est une vieille technique », rappelle le militant aguerri.

Almamy Kanouté, 40 ans, fait partie de la garde rapprochée d’Assa Traoré. Il est l’un des piliers du comité Adama. Militant des quartiers populaires, il a grandi à Fresnes, dans le Val-de-Marne. Dès le début de l’adolescence, il est confronté aux contrôles policiers, aux violences et au racisme. Mais jamais ces questions n’ont été abordées à l’école. Almamy Kanouté explique avoir forgé son éducation en fréquentant les militants des quartiers populaires de la première génération.

Almamy Kanouté (de profil) un des piliers du comité La vérité pour Adama. © Rachida El Azzouzi
« Grâce aux anciens du MIB, ceux de mon quartier, j’ai entendu parler des leaders anticoloniaux comme Thomas Sankara, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop et tout ceux qui se sont battus pour les droits civiques aux États-Unis. Ce n’est pas l’Éducation nationale qui m’a appris à devenir le citoyen que je suis. Il ne faut pas hésiter à consulter les anciens militants qui se sont battus hier. »

Dans sa famille aussi, son père l’incite à s’instruire grâce à des documentaires. C’est aussi grâce à l’un d’entre eux, Noirs de France, réalisé en 2012 par l’historien Pascal Blanchard, qu’Almamy Kanouté découvre l’engagement de son oncle qui, dans les années 1990, a participé avec différents syndicats à la lutte pour leurs droits des immigrés des foyers Sonacotra.

« Je l’ai appelé pour lui demander pourquoi il n’avait jamais parlé de ses engagements à ses neveux, nièces et enfants. Il m’a répondu qu’il avait voulu nous protéger et faire en sorte qu’on ne porte pas en nous cette colère intérieure. »

Ce savoir et cette histoire militante, Almamy Kanouté les a transmis à Assa Traoré. Éducatrice spécialisée, elle est alors étrangère à ce milieu. Elle a embrassé le combat pour connaître la vérité sur le décès de son frère. Almamy Kanouté ou encore Samir Baaloudj ont joué les courroies de transmission, forts de leurs expériences. « On est plusieurs à entourer Assa, on lui a permis d’avoir une meilleure lecture des enjeux et de la situation, d’éviter de se retrouver cadenassée dans des mouvements ou organisations politiques. »

Là encore, l’expérience passée a aidé. Les écueils étaient nombreux, il fallait éviter les récupérations de tous ordres et surtout empêcher que la famille se retrouve « prise en étau entre la version politique et médiatique de l’affaire ». Et là encore, s’adjoindre les services d’un avocat offensif.

« Il y a une bienveillance de la lecture politique de ces militants. Ils nous ont alertés sur les erreurs qu’ils ont pu commettre, à ne pas reproduire. C’est pour cela qu’on s’est permis d’expliquer que plus personne ne parlera à notre place dorénavant. J’explique aux jeunes que c’est une lutte politique. On ne peut pas continuellement se plaindre et faire des constats, soyons moteurs et acteurs des changements. » Le message a visiblement été entendu.

Voir en ligne : https://www.mediapart.fr/journal/fr...


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