Voici 3 effets pervers, volontaires ou pas, du maintien de la pauvreté et des problèmes sociaux par le système défendu par l’Etat et la civilisation capitaliste :
- La survie au lieu de la révolte
- Davantage d’argent pour les puissants
- Les altruistes épongent les problèmes sociaux bénévolement, et s’épuisent au lieu de contester à fond
- Le bénévolat et la solidarité instrumentalisés par l’Etat et l’économie de Marché ?
- Tous unis contre le virus ? Milliardaires, précaires, SDF, tous unis ?!
1. La survie au lieu de la révolte
Le capitalisme et sa Croissance repose sur l’extorsion de la plus value produite par les travailleurs (et aussi sur le pillage de la planète). Avec les règles de la propriété privée, de la concurrence et du marché du travail, ça entraîne, ici et encore plus ailleurs, de la pauvreté, de la précarité, donc des difficultés au quotidien pour satisfaire des besoins essentiels comme les soins, le transport, la nourriture et le logis.
Tout ceci fait que de très nombreuses personnes vivent au jour le jour, dans l’angoisse de la survie et la fragilité du manque permanent. De plus, elles auront souvent accès à une éducation réduite, un moindre accès aux arts et aux connaissances de tout ordre, elles seront dévalorisées et infériorisées. Ces personnes auront donc des difficultés à trouver du temps, de l’envie et de l’énergie pour se documenter de manière critique, s’affirmer, défendre leurs droits et se révolter.
Le capitalisme et les Etats en sont ravis malgré certains de leurs discours, ça arrange bien leurs affaires. Des populations constamment dans le besoin vont plus facilement se soumettre en échange de quelques subsides.
Le chômage est ainsi très pratique pour culpabiliser/stigmatiser les chômeurs et maintenir la pression sur les salariés.
La misère sert donc un double objectif, maintenir la tête sous l’eau des plus pauvres et ainsi s’assurer de leur soumission, faire peur aux moins pauvres en leur faisant comprendre que s’ils mangent « la main qui les nourrit » ils pourraient très vite être déclassés (perdre leur emploi, être mal notés, ne pas faire carrière, être fichés par les employeurs, se retrouver à la rue, etc.).
Il suffit ensuite d’ajouter les chaines du crédit et de la responsabilité d’élever des enfants en famille restreinte pour boucler la prison et étouffer les révoltes.
On peut néanmoins remarquer historiquement que quand la misère devient trop forte, des peuples se rebiffent, ils n’ont plus rien à perdre et préfèrent se battre que mourir de faim.
C’est pourquoi les Etats et les capitalistes essaient de maintenir un approvisionnement minimal des pauvres via les grandes surfaces, le bas prix du hard discount, les distractions audio-visuelles et l’aide alimentaire sociale.
Mais a contrario, on a pu voir que la plupart des gilets jaunes ne venaient pas des couches les plus pauvres, ce qui montre que des révoltes restent malgré tout parfois possibles.
D’autre part on peut remarquer à l’inverse qu’un confort matériel bien douillet peut inciter la plupart de ses bénéficiaires à pratiquer une révolte « modérée », c’est à dire protester uniquement contre certains excès mais sans remettre en cause les fondements du système en place. On pense alors davantage à garder ses privilèges plutôt qu’à risquer des actions et changements radicaux.
Le risque est ici de s’embourgeoiser, d’émarger au conservatisme.
2. Davantage d’argent pour les puissants
La politique étatique et les rouages standards du capitalisme permettent d’entretenir ou d’aggraver les inégalités sociales, les plus riches s’enrichissent tandis que les plus pauvres stagnent ou s’appauvrissent.
Le gâteau, n’en déplaise aux croissantistes, n’étant pas extensible à l’infini, le fait de maintenir un maximum de gens dans un état de pauvreté plus ou moins endémique permet mécaniquement que la part engloutit par les riches soit plus grande.
Les mécanismes du marché permettent de renforcer et masquer le goût pour le pillage, la gloriole, la distinction absurde par l’avoir, l’égocentrisme et la folie des grandeurs des nantis.
Par la magie de la propagande, les pauvres deviennent des feignants qui ne libèrent pas leur potentiel tandis que les riches sont des génies créateurs qui prennent des risques et font ruisseler leurs bienfaits sur les misérables via la création d’emplois et la charité.
Macron a confirmé en grand que le but du gouvernement était entre autre de distribuer davantage d’argent aux plus riches, de continuer les subventions et cadeaux aux multinationales déjà richissimes.
Une diminution des aides sociales, des services publics, des biens publics permet aux Etats capitalistes de fournir davantage d’argent aux plus riches, lesquels visent toujours à maintenir élevés leurs taux de profits en pillant tout ce qu’ils peuvent.
Le maintien d’un fort volant de pauvres n’est donc évidemment pas du à la malchance, à la feignantise, à une supposée bêtise congénitale, ou à des dysfonctionnements, les inégalités sociales abyssales sont une nécessité vitale pour un capitalisme dynamique.
Bien sûr, chaque Etat, en fonction des spécificités locales (âges des populations, solvabilité, état du marché, industrialisation, niveau de contestation, productions nationales...), s’efforce de maintenir un équilibre idéal entre une masse de pauvres, des classes moyennes qui font tampon, soutiennent le régime en place et consomment davantage, et des classes de riches qui profitent largement des autres classes.
Suivant le taux de croissance et les forces en présence, les pauvres auront plus ou moins de miettes, mais ne sortiront pas de leur état. De toute façon, les « bonnes places » dans une hiérarchie sociale pyramidale sont, par définition, limitées.
3. Les altruistes épongent les problèmes sociaux bénévolement, sans plus avoir le temps ou l’énergie de traiter les causes
Pour commencer, je vous invite à lire cet article :
Contre la charité, par Gérard Mordillat
(...) disons que le politique a investi le canal religieux pour se désengager des devoirs qui lui incombent, tout en produisant une image séduisante qui masque la réalité de ses actions ou de son inaction. Comme le disait déjà Roland Barthes, dans Mythologies, à propos de l’abbé Pierre : « j’en viens à me demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise une fois de plus pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice ».
(...) Il suffit d’ouvrir les journaux, ou tout simplement de regarder autour de soi, pour voir que les désengagements successifs de l’état - des états - l’idéologie capitaliste néo-libérale, la loi du marché, font qu’en France comme ailleurs la première des lois sociales dont parlait Robespierre, celle de garantir à tous ses membres les moyens d’exister, est vilipendée, stigmatisée, décrétée caduque, obsolète, dépassée. Mais comme il faut, ne serait-ce qu’au nom du maintien d’une paix civile, assurer un minimum de moyens aux citoyens qui sans cela ne pourraient vivre et se révolteraient, petit à petit c’est imposé la pratique d’une charité à grande échelle se substituant à la nation et à l’état.
(...) A l’idéologie libérale (du nom que veut se donner le capitalisme pour faire meilleure figure), celle qui professe que la société n’existe pas, qu’il n’y a que l’individu et sa famille, il faut opposer l’idée du droit d’exister comme un droit imprescriptible, garanti par la loi et non dépendant de la bonne ou de la mauvaise conscience individuelle. Je ne suis pas naïf, cette égalité est un idéal vers lequel nous devons tendre, pas un équarrissage pour tous, ni une utopie totalitaire. Pour dire les choses autrement : tant qu’il y aura de la charité, il y aura de l’injustice ; plus il y aura d’égalité, plus il y aura du droit, plus il y aura de la justice… (...)
Personnellement, je pense que l’égalité sociale, les services publics, la solidarité, l’autonomie, la démocratie, se porteraient beaucoup mieux sans Etats, mais sinon l’analyse de Mordillat est pertinente.
La charité est un procédé capitaliste habile pour que les riches puissent se valoriser et se faire de la pub à moindre frais, pour que les pauvres se tiennent tranquilles en recevant des dons « généreux » dont ils sont redevables ensuite, pour asseoir l’idéologie libérale de la compétition entre les causes qui doivent se vendre au mieux sur le marché de la charité pour recueillir des dons.
De nos jours, la puissance paternaliste et étouffante de l’Etat qui redistribuait une partie des revenus aux pauvres pour qu’ils ne se révoltent pas tend à être en grande partie remplacée par le marché des dons et de la charité (et aussi bien sûr par la gestion policière et autoritaire répressive qui mue maintenant en technopolice).
Remarque : que l’aide sociale en mode charité au rabais vienne de l’Etat ou du Capital, il s’agit aussi surtout d’aider les plus proches, les plus semblables. Les plus différents sont eux généralement « oubliés », surtout s’ils habitent loin ou ont une couleur de peau légèrement différente. D’autant que l’empathie humaine, biologiquement, s’adresse plus facilement aux personnes qu’on peut toucher, voir de ses yeux, et moins aux jeunes africains esclaves qui s’éreintent dans des mines pourries pour alimenter les produits manufacturés de la civilisation industrielle qui se vendent chez nous.
- Même des hôpitaux appellent aux dons
- Quand la puissance publique défaille, les individus et les acteurs privés choisissent qui/quoi aider, ou pas, alors la démocratie s’éloigne encore davantage, elle est remplacée par la somme de choix individuels privés sans concertations ni débats d’aucune sorte.
Avec le covid-19, ce phénomène s’est révélé plus au grand jour, même des hôpitaux ont appelé aux dons, ou devaient s’en remettre à la solidarité de la population pour des masques et autres.
On est ainsi dans une situation pas terrible, délaissé par les subsides infantilisants de l’Etat et sans moyens d’autonomie matérielle et politique pour vraiment se passer de lui étant sous la coupe du découpage marchand, privé et capitaliste du monde.
Mais mon objectif ici n’était pas de critiquer la charité, mais de mettre en avant un effet pervers majeur des politiques capitalistes et de la gestion libérale du monde.
Comme les aides sociales d’Etat et les services publics tendent à se réduire au profit du Capital et de la privatisation de tout, de plus en plus de gens altruistes sont invités à aider leur prochain dans le besoin : pauvres, SDF, sans papiers, prostituées, femmes, handicapés, etc.
En plus des avantages cités plus haut, c’est tout bénéf pour l’Etat les capitalistes, car :
- Ainsi, ils dépensent moins d’argent. Des associations constituées principalement de bénévoles ou de salariés sous payés et précaires coûtent bien moins cher à l’Etat que des fonctionnaires attitrés
- La gestion policière de la misère sociale qui remplace la gestion par les travailleurs sociaux permet de vendre des équipements de sécurité lucratifs, d’avoir une population encore plus apeurées et soumises (peur de la délinquance, sidération par l’Etat policier, peur de la police...), et d’autre part les flics sont en moyenne plus dociles et plus à droite que les gens qui travaillent dans le social, ce qui permet aux Pouvoirs de s’attacher le soutien de serviteurs zélés plutôt que de financer d’indociles opposants potentiels.
- Des subventions ponctuelles accordées sur projets et dossiers coûtent moins cher que de vrais plans d’action pérenne sur la durée, et de plus la menace de coupures de subventions permet de rendre dociles et conformes les prestataires qui en dépendent
- Mais SURTOUT, un effet que l’on oublie, les personnes altruistes qui s’activent pour éponger la misère sont moins disponibles pour la révolte et la critique sur ce qui la cause.
Ainsi, grâce aux politiques ultra-libérales qui détruisent encore plus que l’Etat la solidarité et l’égalité sociale, les gens de gauche et autres potentiels révoltés se retrouvent souvent occupés à éponger sans fin la misère sociale et ses conséquences, et donc disposent de nettement moins de temps et d’énergie pour des actions contestataires qui supprimeraient les causes profondes de cette misère.
Je sais pas si c’est volontaire (spécialistes du complot c’est à vous), mais le résultat est un système pervers qui de fait aide à étouffer/limiter les révoltes.
La civilisation capitaliste et l’Etat, cyniques, disent :
Ah, vous êtes altruistes, vous voulez aider votre prochain dans le besoin ? Ok alors voici des millions de SDF, de pauvres, de chômeurs, de cas sociaux, occupez-vous en bénévolement ou pour un salaire pourri, il y a du travail pour les aider. Vous n’allez quand même pas les laisser dans la rue ou mourir de faim, vous êtes humains quand même ?! Vous avez encore le temps de manifester ? Ok alors on va casser les hôpitaux et la sécurité sociale, comme ça vous aurez encore plus de taf bénévole à effectuer pour réaliser vos idéaux.
Tels les shadocks, on peut éternellement tenter de réduire les continents de problèmes sociaux générés non-stop par la civilisation capitaliste et ses Etats.
Le système nous récompensera, nous portera aux nues tels des héros modernes, qui sait le président nous offrira même une médaille, mais bien entendu aucun changement social positif n’interviendra.
On voit bien avec la pandémie covid-19 qu’Etat et merdias n’arrêtent pas de valoriser la solidarité et l’aide aux soignants, tandis que les flics arrêtent des manifestants du 1er mai et censurent des banderoles porteuses de messages engagés.
Allez-y à fond dans l’unité nationale, dans l’applaudissement frénétique et apolitique des travailleurs, mais pas question de remettre en cause l’Etat et la civilisation capitaliste qui détruisent les dits travailleurs.
Pompez la misère, pompez sans fin la cale du Titanic percée de toute part, mais que chacun.e reste bien à sa place dans son rôle et sa classe, la police et ses drones veillent. Les bigots et les capitalistes de toute obédience adorent.
La solidarité fait partie des qualités humaines qui s’expriment davantage en temps de catastrophe (quand ça dure longtemps faut voir), on peut s’en réjouir. L’ennui, c’est que l’Etat et le capitalisme s’en servent de manière perverse, l’instrumentalisent, et la salissent en faisant porter sur les élans humains généreux le poids et la survie de leur système écocidaire et antisocial. Bientôt, ce sera l’état d’urgence pour sauver et redresser l’économie de marché, sera-t-on solidaire avec les grands patrons, les actionnaires, les banques, les fossoyeurs du vivant et des humains, va t-on continuer à trimer et suer solidairement avec eux pour faire tenir la Machine qui nous broie ?
On est donc face à un problème difficile.
D’un côté on ne peut pas laisser crever les plus miséreux tout seuls en leur disant qu’on doit mener en priorité une hypothétique révolution qui supprimera un jour leur misère en détruisant/remplaçant les racines des problèmes.
De l’autre, on peut pas pas s’épuiser à éponger, souvent bénévolement en plus, la misère colossale générée par ce système sans garder le temps et l’énergie de tarir radicalement la source des problèmes.
Pas de solutions miracles, obligé d’ajuster au cas par cas, au jour le jour.
Déjà, on peut viser d’aider les miséreux à être plus autonomes et informés au lieu de juste leur faire la charité en les laissant dans leur état sans échappatoire, ou en les (re)mettant sur les rails mortels de « l’insertion sociale » dans CETTE société.
On peut aussi avoir un discours politique qui remet en cause la civilisation capitaliste et étatiste au lieu de rester illusoirement neutres.
Possible aussi d’agir et lutter avec les plus assommés par l’ordre social, en sachant que tout le monde subit ce système y compris les « aidants », et que les plus précaires apportent aussi, aident.
D’un autre côté, les miséreux sont aussi capables de « se libérer » tout seul, un chaperonnage surplombant et parternaliste de sachants n’est pas forcément terrible.
L’idéal serait de concilier dans le même geste luttes émancipatrices politiques et soulagement des misères, comme par exemple les occupations collectives de terres menées par les sans terres au Brésil ou ailleurs. Encore mieux si ces luttes aboutissent à des projets et sociétés communs qui abolissent les classes sociales en vigueur.
Mais des habitué.e.s du travail social et de la solidarité populaire politisée en parleraient mieux que moi, donc j’arrête là, vous avez compris le problème.
Actuellement encore plus qu’avant, l’enjeu n’est donc pas d’avoir plus de sous, plus d’aides étatiques, plus de charité et plus de dons, mais de prendre la main collectivement sur nos vies, et donc de prendre la main directement sur les décisions politiques, économiques et sociales à la place de tous les experts, politiciens, oligarques, patrons, actionnaires, capitalistes, riches, philanthropes, et autres guignols qui « veulent notre bien ».
Et donc de prendre la main sur la vie politique concrète, sur les moyens de productions et les propriétés des grands possédants.
Bref, une sorte de révolution populaire basée sur l’autonomie et la démocratie directe plutôt qu’un énième retour illusoire et sclérosant à l’aide sociale étatique ou à la charité capitaliste.
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