Au 21e siècle, où on voit triompher le technocapitalisme, ça ne se fait pas trop de critiquer le scientisme, le complexe technoscientifique ou l’idéologie qui soutient la science en tout circonstance.
A l’heure où la science est plus que jamais orientée et utilisée par la machine économique pour « innover », disrupter et produire davantage, il est mal vu de dire que la science ne nous aidera pas pour contrer la civilisation industrielle et ses innombrables désastres.
Alors mettons les pieds dans le plat :
LA SCIENCE, FACTEUR MAJEUR DE LA CATASTROPHE SOCIALE ET ECOLOGIQUE EN COURS
Greta Thunberg ne cesse de le répéter :
« Il faut que nous nous contentions de transmettre ce message, sans formuler de demandes, sans formuler aucune demande. Nous n’avons pas l’éducation qu’il faut pour nous permettre de formuler des demandes, il faut laisser cela aux scientifiques. Nous devrions simplement nous concentrer sur le fait de parler au nom des scientifiques, dire aux gens qu’il faut les écouter eux. Et c’est ce que j’essaie de faire. Ne pas avoir d’opinions vous-mêmes, mais toujours vous référer à la science. »
Et aussi : « Écoutez les scientifiques. »
Ou encore : « Ne m’écoutez pas. Écoutez la science. »
Marianne déplore et s’inquiète : « la France se fâche avec la science »
Emmanuel Macron s’inquiète aussi, dans un entretien avec L’Express, « de la “crise d’autorité” qui touche la politique mais aussi la science ».
La science, sur laquelle repose la quasi-totalité de la civilisation industrielle — son infrastructure, sa technologie, etc. —, doit rester l’autorité absolue. Les « antisciences » sont raillés, moqués, dénigrés — et tous mis dans le même panier ; et peu importe qu’il en existe de différentes sortes, et que la plupart de ceux qui sont mis en avant ne critiquent en réalité pas la science du tout (à l’instar des fans de Didier Raoult, ou des « climatosceptiques » à la Claude Allègre, qui se contentent juste de nier certains résultats scientifiques au profit d’autres études ou propositions qui se veulent tout-à-fait scientifiques). Critiquer la science, douter de son autorité ou de son bien-fondé, « cela ne se fait pas : la Science est politiquement neutre, même lorsque quelqu’un la laisse par mégarde tomber sur Hiroshima », ironisait amèrement le mathématicien français Roger Godement.
À l’instar de Roger Godement, un autre mathématicien français, mondialement célèbre, dénonçait en son temps le « rôle de la science et des scientifiques dans l’évolution de la société moderne ». Né d’une mère hambourgeoise et d’un père militant anarchiste ukrainien, déporté et tué à Auschwitz en 1942, alors qu’il n’avait que quatorze ans, Alexandre Grothendieck allait par la suite devenir « le plus grand mathématicien du XXe siècle » (selon Philippe Pajot et Stéphane Foucart, écrivant pour Le Monde).
Le 27 janvier 1972, il donnait une conférence au Centre Européen de Recherches Nucléaires (CERN), dont voici quelques extraits :
« En fait, c’est cela la chose remarquable, quand on pose la question : “à quoi sert socialement la science ?”, pratiquement personne n’est capable de répondre. Les activités scientifiques que nous faisons ne servent à remplir directement aucun de nos besoins, aucun des besoins de nos proches, de gens que nous puissions connaître. Il y a aliénation parfaite entre nous-même et notre travail.
Ce n’est pas un phénomène qui soit propre à l’activité scientifique, je pense que c’est une situation propre à presque toutes les activités professionnelles à l’intérieur de la civilisation industrielle. C’est un des très grands vices de cette civilisation industrielle. […]
Au début, nous étions si l’on peut dire [..] écrasés par la multiplicité des problèmes extrêmement enchevêtrés, de telle façon qu’il semblait impossible de toucher à aucun d’eux sans, en même temps, amener tous les autres. Finalement, on se serait laissé aller à une sorte de désespoir, de pessimisme noir, si on n’avait pas fait le changement d’optique suivant : à l’intérieur du système de référence habituel où nous vivons, à l’intérieur du type de civilisation donné, appelons-la civilisation occidentale ou civilisation industrielle, il n’y a pas de solution possible ; l’imbrication des problèmes économiques, politiques, idéologiques et scientifiques, si vous voulez, est telle qu’il n’y a pas d’issues possibles. […]
Lorsqu’il y a près de deux ans, j’envisageai la disparition de la civilisation, j’étais encore trop prisonnier de ses conditionnements : j’identifiais la civilisation, la seule que je connaissais, avec l’humanité. La destruction de cette civilisation m’apparaissait effectivement sous une image apocalyptique de fin de l’espèce humaine. Or, voici une demi-heure ou une heure, j’ai expliqué que cette vision a entièrement changé maintenant. L’écroulement de cette civilisation n’est pas une vision apocalyptique ; c’est, disons, quelque chose qui me semble hautement souhaitable. Je considère même que c’est notre grande chance qu’il existe, disons, une base biologique de la société humaine qui se refuse à suivre la voie de la civilisation industrielle dominante. »
Dans le numéro 9 de la revue Survivre et vivre, qu’il avait participé à fonder, « le plus grand mathématicien du XXe siècle » signait un article intitulé « La nouvelle église universelle », dans lequel il dénonçait « le scientisme, ou l’idéologie scientiste », en commentant les principaux mythes qui le composent
(...)
Lire la suite : La science, facteur majeur de la catastrophe sociale et écologique en cours (par Nicolas Casaux)
(post de Nicolas Casaux)
- La science n’est pas neutre - Le scientisme alimente la civilisation industrielle et ses carnages
- Les laboratoires de recherche et développement sont généralement au service du technocapitalisme
Quelques extraits de l’article :
Le sociologue états-unien Stanley Aronowitz le résume ainsi : « Le capitalisme, tel que nous le connaissons, n’existerait pas sans la science. Et la science, telle que nous la connaissons, a été formée et déformée par le capitalisme durant tout son développement. »
L’emploi du qualificatif « neutre », pour caractériser la science, la technologie, ou autre, est toujours une tromperie, un artifice rhétorique, une prétention à la divinité, l’intouchabilité. Les affaires humaines ne sont jamais « neutres ».
Le fait que l’on n’ait d’autre choix que de s’en remettre aux opinions de scientifiques, d’experts et de spécialistes concernant les développements de la civilisation industrielle illustre la dépossession générale, l’impuissance politique dans laquelle nous sommes plongés. S’il y a des experts et des spécialistes, c’est parce que nous n’avons pas de pouvoir décisionnaire sur le cours des choses. Les experts, spécialistes, scientifiques, sont des émanations de la structure hiérarchique de la civilisation. Et plus il y a d’experts et de spécialistes « qui dénient aux individus la capacité de juger et les soumettent à un pouvoir “éclairé” se réclamant de l’intérêt supérieur d’une cause qui dépasse leur entendement » (André Gorz), et plus nous sommes dépossédés.
Le vaccin, merveilleuse invention suivant celle de la maladie, est un autre produit phare de la glorieuse science et du génie civilisé. Le vaccin permet aux « ressources humaines » de prospérer malgré les conditions terriblement propices à l’émergence et la propagation de maladies infectieuses que leur fait le Progrès, à les déposséder de tout pouvoir sur le déroulement de leurs propres existences, et donc de tout contrôle sur la nature et l’horizon dudit Progrès, à les agglutiner dans des espaces toujours plus restreints, dans des complexes toujours plus populeux — villes, métropoles, mégalopoles, mégapoles —, à concentrer pareillement, à leur côté, pléthore d’autres animaux également domestiques — chiens, chats, etc. —, à les faire circuler toujours plus rapidement et massivement de long en large à travers le globe, de même que transite le bétail des animaux dits d’élevage — ressources non humaines cultivées dans d’autres complexes prévus à cet effet —, à perturber toujours plus en profondeur toujours plus de milieux naturels, de biomes, afin d’y exploiter ou d’en extirper de toujours plus nombreuses ressources, libérant au passage toutes sortes d’agents pathogènes possiblement infectieux, etc.
Les apologistes de la science et de la vaccination ont bien raison. Si l’on souhaite que ce merveilleux état de choses perdure, si l’on souhaite perpétuer la magnifique aventure humaine que constitue la civilisation industrielle, il se pourrait que la vaccination soit essentielle. Sans vaccination, les « ressources humaines » risqueraient de se dégrader sous le coup de diverses maladies infectieuses (de même que sans vaccination, ou a minima sans médicaments pharmaco-industriels — antibiotiques, etc. —, les autres animaux d’élevage, porcs, poulets, etc., ne survivraient pas à leur agglutination), ce qui menacerait d’enrayer tout le fonctionnement de la mégamachine.
La science louangée par Greta Thunberg aussi bien que par Emmanuel Macron ou Étienne Klein (directeur de recherches au CEA et un des plus médiatiques défenseurs de la Science) est un instrument du pouvoir, reposant tout entier sur les hiérarchies sociales qui structurent la civilisation industrielle. C’est pourquoi les institutions et les scientifiques de premier plan préconisent des solutions aux problèmes dominants qui obéissent aux logiques dominantes, capitalistes et industrialistes. Il ne s’agit jamais de désindustrialiser le monde, de le démarchandiser, de défaire la civilisation industrielle — ce qui signerait la fin du complexe industrielle scientifique —, il s’agit de développer de nouvelles industries de stockage et capture du carbone, de production d’énergie dite « renouvelable », « verte », « neutre en carbone » (centrales solaires, parcs éoliens, fusion nucléaire, etc.).
Le constat du philosophe Edmund Husserl n’a rien perdu de sa justesse : « Dans la détresse de notre vie […], cette science n’a rien à nous dire. Les questions qu’elle exclut par principe sont précisément les questions qui sont les plus brûlantes à notre époque malheureuse pour une humanité abandonnée aux bouleversements du destin : ce sont les questions qui portent sur le sens ou l’absence de sens de toute cette existence humaine. »
Dans les laboratoires de R&D, les instruments de la domestication, de l’oppression, de la répression et de la surveillance de demain, pire encore que celles d’aujourd’hui, sont en gestation ; aux côtés de ceux qui permettront une exploitation et une dévastation toujours plus poussée du monde naturel.
voir aussi :
- Allons-nous continuer la recherche scientifique ?, par Alexandre Grothendieck
Remarques complémentaires
Avec à présent une forme de sacralisation de la Science et avec le remplacement de l’agir et des décisions humaines par l’action de machines et de procédés cybernétiques complexes (« intelligence artificielle »), on a tendance à oublier que les problèmes sociaux et écologiques ne peuvent se résoudre que par des voies politiques, philosophiques, morales, spirituelles, culturelles, et pas du tout par un surcroit de science, de croissance, de technologies complexes et de numérique.
On doit donc viser une rupture culturelle profonde, un basculement radical, et pas un accroissement des méthodes, pensées et applications (sciences et technologies complexes liées) qui ont fortement contribué aux catastrophes en cours.
Et si un jour la civilisation industrielle est démolie, on pourra alors considérer prudemment les sciences, ce qu’on veut en faire, dans quelle culture elles s’inscrivent, à quoi elles peuvent servir, ou pas.
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