La peur d’écrire est que ce que j’écris n’est pas au niveau, ou que celui qui lit n’a pas le niveau de ce que j’écris

Entre la peur de ne pas être à la hauteur et la peur d’être mal lu, l’écriture devient un acte civique : réveiller la conscience endormie d’une administration qui pourrait mieux faire.

samedi 18 octobre 2025, par Ilyes Bellagha.

Écrire, c’est risquer le malentendu. Entre la peur de ne pas être à la hauteur et celle d’un lecteur devenu sourd à la nuance, la plume hésite. Mais au-delà du doute, écrire reste un acte politique : rappeler à l’administration — miroir de nos renoncements — qu’elle peut encore mieux faire, qu’elle peut redevenir service plutôt que servitude.

Écrire n’est jamais un geste neutre. Entre celui qui trace les mots et celui qui les lit s’étend un gouffre : celui du sens, du temps, du regard.
L’écrivain redoute deux choses : ne pas être à la hauteur de ce qu’il écrit, ou que le lecteur ne soit pas à la hauteur de ce qu’il reçoit.
C’est un double vertige, une peur partagée.

Le tremblement intérieur

On croit que la peur d’écrire vient du doute, mais elle vient du respect.
Respect de la pensée, de la langue, du lecteur — et même de soi.
On se demande : est-ce que je mérite ce que j’essaie de dire ?
Écrire, c’est se mettre à nu dans un monde qui n’aime que les uniformes.
Celui qui écrit sans peur devient fonctionnaire de la phrase ; celui qui tremble reste vivant.

À qui écrit-on, vraiment ?

Mais la vraie question est peut-être ailleurs : à qui écrit-on ?
Si c’est à l’administration, cette vieille élève devenue sourde à force de réciter ses formules, mieux vaut parfois économiser le papier.
Elle a transformé la parole en procédure, et la pensée en formulaire.
On n’y parle plus : on y dépose. On n’y écoute plus : on y tamponne.

Pourtant, ce serait trop simple de la rejeter.
L’administration, après tout, c’est une part de nous.
C’est notre manière de mettre un peu d’ordre dans le chaos — mais elle s’est endormie sur ses notes, sûre d’avoir raison parce qu’elle a toujours eu la règle.

L’élève qui peut mieux faire

Elle n’est pas mauvaise, seulement figée.
Elle pourrait mieux faire, comme ces élèves intelligents mais qui recopient sans comprendre.
Elle vient d’un autre âge : celui de Napoléon, où il fallait tenir la boutique pendant que le maître partait en expédition.
Deux siècles plus tard, elle garde toujours la caisse, mais elle a oublié à quoi sert la maison.

Et pourtant, derrière les murs, il y a encore des agents sincères, des consciences vivantes qui veulent servir plutôt que gérer.
C’est à eux qu’on écrit, à ceux qui n’ont pas renoncé à l’idée de service public au sens noble : servir l’humain, pas la hiérarchie.

Écrire, c’est réveiller

Écrire n’est donc ni une lucidité froide ni un refuge contre l’absurde.
C’est un acte valable, une tentative consciente pour que le peuple passe, tôt ou tard, de la résignation à la révolution — celle de l’esprit d’abord, de la dignité ensuite.

On n’écrit pas pour corriger les fautes du système, mais pour rappeler à ceux qui s’y perdent qu’ils valent mieux que leurs formulaires.
On n’écrit pas pour abattre, mais pour réveiller.

Notre plume n’est pas un marteau, c’est une alarme.
Elle ne dit pas : « à bas l’administration », mais : « relève-toi, tu peux mieux faire ».
Et si un jour l’État se souvient qu’il fut inventé pour servir et non pour se servir,
alors peut-être que l’écriture, humblement, aura déjà commencé la révolution.

P.-S.

Je n’ai rien contre l’administration. Je lui souhaite même un bon rétablissement.
Qu’elle se souvienne seulement qu’elle fut inventée pour simplifier la vie, pas pour l’alourdir.
Et qu’à force de tamponner la réalité, elle risque d’effacer le réel.
Si j’écris, c’est pour qu’elle se regarde un instant dans le miroir des mots — et qu’elle s’y reconnaisse encore humaine.


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