La non-violence n’existe pas ? L’écologie c’est la paix ?

Les pouvoirs et leurs merdias veulent discréditer et pacifier les luttes pour les rendre inoffensives

jeudi 17 octobre 2019, par Les Indiens du Futur.

Des réflexions intéressantes, qui concerne Extinction Rebellion et toustes les résistant.e.s en général, qui porte à la fois sur les objectifs (l’arrêt du capitalisme et du système industriel) et les moyens d’y arriver (diversité d’actions efficaces à l’instant T au lieu de s’enfermer dans des catégories de violence/non violence définies par les pouvoirs suivant l’air du temps et ce qui les arrange)

🔴 « LA NON-VIOLENCE N’EXISTE PAS » (par les Radicolos)

Radicolos {JPEG}
Il y a une semaine, l’ex-ministre de l’Environnement et ex-candidate « socialiste » à la présidence de la République Ségolène Royal était interviewée par France Inter. Elle a déclaré, en réaction aux dernières actions d’Extinction Rebellion : « Il y a une instrumentalisation de l’écologie par ces groupes violents. Il faut les réprimer très rapidement, parce que c’est une dégradation de l’image de l’écologie, de l’image de l’environnement, et ça risque de disqualifier toutes les actions pro-environnementales, qui risquent d’être associées à ce type d’agressions et de violences. L’écologie, c’est la paix. »

Ce genre de réaction ne doit pas être vue comme un simple délire d’une femme politique à la dérive qui cherche à faire parler d’elle. C’est une déclaration stratégique, avec un objectif politique : discréditer les luttes.

La notion de violence dépend du ressenti de chacun·e, en fonction de ses expériences, ses valeurs, ses convictions. La distinction entre violence et non-violence est donc totalement flottante. Se revendiquer « non-violent » n’a aucun autre sens que celui de chercher une forme de légitimité auprès de celleux que nous déclarons combattre. Comme le fait de prôner le changement individuel comme moteur d’un changement global (coucou les colibristes), prôner la non-violence c’est rendre service aux véritables responsables.

Qu’il soit vécu comme violent de voir des gens répondre physiquement à la répression policière, détruire des symboles du capitalisme ou prôner la révolution est compréhensible. D’ailleurs, pour d’autres, le simple fait de participer à une manifestation non déclarée, d’occuper un centre commercial ou un boulevard, ou même de bloquer ne serait-ce que quelques instants une assemblée considérée comme lieu de la démocratie, est vu comme une violence.
Dans un autre sens, ne peut-il pas être vécu comme terriblement violent de mettre des autocollants par-dessus des stickers antifascistes, d’effacer des tags en hommage à des enfants tués par la police, ou de déclarer publiquement que les forces de l’ordre ne sont pas des adversaires, quelques jours après un nouveau meurtre policier dans un quartier populaire ?

Si le capitalisme est mondialisé, sa résistance ne peut que l’être également. Si nous subissons moins en occident qu’ailleurs les ravages du capitalisme, c’est pourtant bien ici qu’il est le plus stratégique de détruire ceux qui l’entretiennent, le protègent et en bénéficient. Refuser de mettre en œuvre tout ce qui est en notre pouvoir pour le détruire est une violence inouïe envers celleux qui en meurent, jours après jours, pendant que nous refusons le conflit par principe.

Prôner la non-violence peut donc être totalement contre-productif, voire dangereux. Car si le curseur entre violence et non-violence dépend de chacun·e, il est surtout placé par celleux qui détiennent le pouvoir politique, médiatique et répressif, celleux qui sont donc nos adversaires politiques, à travers des déclarations semblables à celle de Mme Royal, à travers un matraquage médiatique pour dénoncer toute action radicale, et par les organisations, collectifs, associations et syndicats dont le but semble finalement être plus de se faire bien voir que de mener des actions stratégiques et efficaces avec des objectifs politiques clairs.

Il y a quelques années, José Bové et ses ami·e·s avaient démonté entièrement un restaurant McDonald’s, ou fauché un champ d’OGM. Ces actions étaient alors vues comme non-violentes. Aujourd’hui, un tag sur une banque est considéré comme contraire à un pseudo consensus de non-violence par le groupe écolo le plus médiatisé. Alors que le capitalisme n’a jamais été aussi violent et dangereux pour l’humanité entière, à commencer par les populations qui sont le moins fautives et ont le moins de pouvoir de réaction, celleux qui s’affichent comme des résistant·e·s, des « rebelles », n’ont jamais été aussi pacifiques, aussi passif·ve·s. S’obligeant à être inefficaces pour faire plaisir à celleux qui détruisent, ces collectifs, mouvements et associations sont finalement des pions, des outils des politiques capitalistes et impérialistes, qui se frottent les mains en voyant le peu de réaction que suscitent l’accroissement des destructions du vivant et des inégalités.

Car pendant qu’on pose la non-violence comme un dogme à ne pas dépasser et qu’on refuse de voir la police, l’armée et l’État de manière plus générale comme des ennemis, ce sont bien ces entités qui, pour défendre le capitalisme et les puissances impérialistes, répriment les peuples et les résistances, des ZAD au Rojava, de l’Equateur au squat du bout de la rue, des quartiers populaires nantais à Hong-Kong, d’Exarcheia aux Gilets Jaunes. Le tout évidemment – et il est primordial de le noter et de ne pas comparer l’incomparable – dans des mesures et des façons très différentes. Mais partout, ce sont les mêmes mécanismes qui se mettent en place. Nous devons y résister, apporter tout notre soutien à celleux qui luttent parce qu’iels n’ont pas le choix.

La question qu’il faut se poser est donc exclusivement celle de la légitimité et de la pertinence d’une action, en fonction du contexte et des objectifs fixés. Ce n’est pas de savoir si elle va être vécue comme violente par celleux que nous combattons : bourgeois, politiques, agents de police, détenteurs du pouvoir économique, politique, médiatique, répressif.
Est-il légitime et pertinent de faire sauter un pont parce qu’un type qu’on n’aime pas trop est dans le train qui arrive ? Bien sûr que non.

Est-il légitime et pertinent de faire sauter un pont pour ralentir l’avancée de l’armée allemande dans un contexte de Résistance face au régime nazi ? Bien sûr que oui.

Est-ce que c’est violent de faire sauter un pont, en soit ? Aucune idée. On s’en fout. Ce n’est pas la question.

Est-ce que c’est violent de péter une vitrine de banque, de résister activement à l’action répressive de la police, d’occuper un centre commercial, de faire des tags, de participer à une manifestation non déclarée, de bloquer un carrefour, de faire du sabotage industriel, de participer à la création d’une ZAD ou de coller des affiches ? Aucune idée. On s’en fout. Ce n’est pas la question.

La seule question qui importe, c’est de savoir si l’action en question est légitime et pertinente, à l’instant T, dans un objectif de révolution anticapitaliste.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. S’il peut être pertinent, quand on a de revendications, de rester bien vu par les personnes à qui ces revendications sont adressées, il ne s’agit plus désormais, dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, d’attendre quoi que ce soit de quiconque ayant du pouvoir. Il s’agit de les renverser. Et aucun mode d’action ne doit être rejeté a priori.

Pour compléter, deux citations pour symboliser l’impasse politique que représente la non-violence dogmatique :

« La résistance passive non-violente est efficace tant que notre adversaire adhère aux mêmes règles que nous. Mais si la manifestation pacifique ne rencontre que la violence, son efficacité prend fin. Pour moi, la non-violence n’était pas un principe moral mais une stratégie. Il n’y a aucune bonté morale à utiliser une arme inefficace. […] « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. » - Nelson Mandela

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » - Don Helder Camara, évêque brésilien ayant lutté contre la pauvreté

Bref, la paix est un objectif, pas un mode d’action. Nous sommes dans une situation d’oppression globalisée, et il est de notre devoir d’en renverser les coupables.
Prôner ou revendiquer la non-violence, c’est être un·e adversaire politique de la révolution, qui est inévitablement nécessaire.

Ségolène Royal veut discréditer toute résistance et diviser les militant.e.s

- voir aussi ce post de Désobéissance écolo Paris, source : Blog Mediapart :

"L’ECOLOGIE, C’EST LA PAIX" ?

Appelant à « réprimer très rapidement » les mouvements écologistes pratiquant la désobéissance civile, Ségolène Royal déclarait le 07/10 : « l’écologie, c’est la paix ». Cette étrange posture, à la fois belliqueuse et pacifiste, rend explicite une attitude trop présente dans l’écologie institutionnelle ou désobéissante, qu’on pourrait appeler « angélisme réactionnaire ».

FLICS ? Réprimer au nom de la paix

Dans une interview donnée le 7 octobre à France Inter, l’ex-ministre de la « Transition écologique et solidaire » Ségolène Royal appelait à « réprimer très rapidement » les actions d’Extinction Rebellion (XR), et toutes les formes de désobéissance civile qui s’en inspireraient. Pour justifier cet appel à la répression, elle postulait ensuite : « l’écologie, c’est la paix »1.

Un tel angélisme surprend d’abord par son caractère contradictoire. Réprimer au nom de la paix, c’est comme tuer sa compagne par amour – c’est une absurdité bien utile, qui permet à un agresseur de se déculpabiliser. En l’occurrence, elle permet de justifier la violence d’État : de la nier comme violence en la présentant comme réaction à une menace effrayante, comme unique moyen de préserver l’ordre, la paix ou la sécurité, par la délégation du « monopole de l’usage légitime de la force physique »2 à des « gardiens de la paix » ou des « forces de l’ordre ». Ces deux façons de désigner la police résultent à l’évidence du même postulat que celui qui sous-tend les propos de S. Royal : pour avoir la paix, il faut mener une guerre, une guerre asymétrique et unilatérale. En effet, contre cet « usage légitime de la force », il n’y a pas de « légitime défense ».

Cette guerre prend ainsi, très souvent, la forme de la répression policière des contestations politiques, avec son cortège d’abus contre lesquels les recours semblent ne jamais aboutir3. Mais pas que : d’autres violences sont déployées pour maintenir et reproduire l’ « ordre », entendu cette fois non au sens de « sécurité » mais au sens de « hiérarchie ». Or ces violences concernent directement l’écologie.

BISOUNOURS ? Enjoliver une cause pour dépolitiser une lutte

Prétendre que « l’écologie, c’est la paix », c’est nier la violence à laquelle sont confronté.e.s les personnes qui subissent les effets inégaux de l’industrialisation, de l’urbanisation et/ou des changements climatiques, et qui tentent d’y résister ou de les fuir.

S. Royal parle d’une action symbolique et éphémère, menée par des activistes ; elle ne parle pas des luttes pour leur survie immédiate que mènent les populations directement menacées d’empoisonnement, de spoliations, d’exil ou de paupérisation, du fait de la destruction directe ou indirecte des écosystèmes qui les entourent. Elle parle de l’occupation revendiquée et très médiatisée d’un quartier central de Paris ; pas des militant.e.s assassiné.e.s en secret pour avoir lutté contre la destruction de leur peuple (génocide) par la destruction de leur environnement (écocide)4. Elle semble ainsi faire peu de cas du fait que les populations dont devraient se préoccuper prioritairement les « écologistes » sont en général les mêmes que celles contre lesquelles se déchaîne le plus facilement la répression : ce sont les populations qui subissent déjà une domination sociale, de classe, de race et/ou de genre. Comme l’explique le sociologue Razmig Keucheyan dans La nature est un champ de bataille, « la carte des ressources et handicaps environnementaux rencontre celle du niveau social » : la géographie de l’exposition aux nuisances, de l’accès aux ressources, aux aménités environnementales et aux pouvoirs de négociation est déterminée par « le statut de minorité immigrée, la ségrégation spatiale et la position de classe ». « En régime capitaliste, les inégalités ont une dimension cumulative ou autorenforçante. […] plus on est pauvre, noir, femme ou les trois à la fois, plus on subit les effets nocifs [du processus industriel]. »5

La France n’est pas épargnée miraculeusement par ces injustices. Selon l’urbaniste Lucie Laurian, « pour 1% de population d’origine étrangère en plus, une commune voit augmenter de près de 30% la probabilité de voir s’installer sur son territoire un incinérateur »6. Les plus exposé.e.s sont aussi les moins protégé.e.s : durant l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, les habitant.e.s de l’ « aire d’accueil des gens du voyage » du Petit-Quevilly, située à 500 mètres de l’usine n’ont reçu ni secours, ni information précise7. Quant à la prédation sur les communs naturels, elle concerne aussi la France, où se multiplient les grands projets inutiles, imposés et polluants, notamment dans des territoires déjà exposés aux nuisances8 et/ou dans des territoires colonisés9. S. Royal, dans l’interview que nous commentons, veille à rappeler son engagement pour une « réconciliation intelligente entre le développement économique et la protection de l’environnement » : la spoliation économique est-elle donc, comme la répression policière, un état normal, « pacifié », de la vie sociale ?

L’identification benoîte entre « écologie » et « paix » est bien utile : elle permet de nier la violence et la conflictualité des rapports de domination qui « ordonnent » en permanence le corps social. Notamment, les injustices environnementales, qui devraient pourtant être au cœur du combat écologiste. Comment peut-on encore prétendre ignorer cette réalité, que le mouvement des Gilets Jaunes a dénoncée avec tant de force au cours de l’année écoulée ? S. Royal préfèrerait peut-être que ce combat soit réduit à de grandes abstractions : sauver la « planète », le « climat », la « nature », l’ « humanité », la « paix » et les petites fleurs… L’invocation de ces entités abstraites, péché mignon de trop nombreux écologistes, renforce le mensonge d’une « égalisation prétendument instaurée par le risque »10.

Injustices, répression, mensonge : il y a là une triple violence, exercée à l’encontre de celles et ceux qui subissent la dégradation de l’environnement et/ou tentent d’y résister. C’est ce discours, que je propose d’appeler « angélisme réactionnaire », qui délégitime l’écologie et doit en être soigneusement distingué. L’écologie, en effet, n’est ni « la paix », ni la guerre : c’est une lutte. Et comme toutes les luttes, elle est aussi une lutte de classes : elle a pour objet des souffrances et des spoliations qui résultent d’une hiérarchie sociale. Et comme toutes les luttes, on lui fait la guerre : elle se voit opposer les « forces de l’ordre », et le mensonge d’un ordre égalitaire.

FLICOUNOURS ? Confondre « toutes les violences » pour n’en cibler aucune

Malheureusement, les mouvements « non-violents » auxquels croyait s’opposer S. Royal dans son interview du 7 octobre contribuent souvent à cette pacification de force de la conflictualité sociale.

Leur posture pèche en effet souvent par imprécision. Les « consensus d’action » d’XR (et autres11) précisent toujours les violences que les militant.e.s doivent éviter (dégradations matérielles, agression physique ou psychologique envers la police et les usager.e.s des lieux occupés, masques…) ; jamais ce qui, de la violence étatique, est critiqué. Or, comme le souligne une lettre ouverte à Extinction Rebellion de Désobéissance Écolo Paris (et cosignée par ACTA, Cerveaux non disponibles, le Comité Adama et le Comité de Libération et d’Autonomie Queer), la façon dont ces distinctions cruciales sont évitées ne produit pas seulement de la confusion, mais bel et bien de l’amalgame : revenant sur l’hommage d’XR aux quatre agents tués à la préfecture de Police de Paris le 3 octobre, les auteur.e.s de cette lettre ouverte se demandent pourquoi aucun hommage n’a été rendu à Ibrahima Bah, jeune homme mort trois jours après à Villiers-le-Bel, après avoir percuté un fourgon de police qui lui barrait la route. Le message « Uni.e.s contre toutes les violences », diffusé par une banderole XR lors de l’hommage du 8 octobre, élude ces questions, mettant dans le même sac autodéfense et harcèlement raciste, agression, rébellion et assassinat12). De même, un hommage aux 164 militant.e.s écologistes assassiné.e.s à travers le monde a été rendu par XR sur le pont au Change le 9 octobre ; pourquoi n’a-t-on rien entendu sur le passage en appel, le lendemain, du meurtrier de Rémi Fraisse, disculpé en 2018 par la justice française ?

Se dire « non-violent » sans préciser quelle violence on condamne, subit ou affronte sur son propre territoire, pose problème. Les discours écologistes doivent intégrer ces distinctions, s’ils veulent dénoncer les injustices qui se cachent sous la prétendue « paix » sociale. Pour la même raison, ils doivent prendre au sérieux le constat selon lequel la non-violence est une forme de privilège, en tant qu’elle ne peut être pleinement pratiquée et revendiquée que par celles et ceux qui sont les moins exposé.e.s aux injustices sociales et aux violences policières (les blanc.he.s et les classes moyennes ou supérieures)13. À force de se vouloir « inclusif », XR tend à exclure : partant de l’idée que les personnes peu habitué.e.s à la désobéissance civile rejoindront la lutte si elles sont assurées qu’on ne leur fera rien, le mouvement attire surtout celles et ceux à qui, effectivement, il est probable que l’on ne fera rien. Cette « inclusivité » génère ainsi de l’homogénéité sociale, de sorte que la principale diversité que l’on trouve dans ces mouvements est plutôt une diversité d’âge : la non-violence rassure des personnes très jeunes qui n’ont jamais milité, et à qui on pourra enseigner à militer à la façon de leurs aîné.e.s aguerri.e.s. Une diversité de courte durée, donc : le temps de grandir et d’être assimilé.e.s.

La façon dont les « contacts police »14 négocient en permanence avec la police, sur les actions et occupations surorganisées de mouvements comme XR, entretient cette confusion entre condamnation de la violence et jouissance de ses traitements d’exception. Jusqu’où peuvent aller ces négociations ? Pourquoi les mouvements spontanés, moins formellement organisés, n’en bénéficient-ils pas ? Et quel effet cela peut-il avoir de manifester ou d’occuper, si c’est en co-adaptation avec l’ordre contesté, via la concertation avec ses délégué.e.s ? Peu surprenant, dans ce contexte, que les occupant.e.s du Châtelet constatent « ne déranger personne » une fois installé.e.s15, alors qu’ils et elles n’ont posé aucun ultimatum16 et s’adonnent pai(x)siblement à la méditation. Et peu surprenant, hélas, de lire sur les réseaux sociaux des Gilets Jaunes exprimer, dès le 7 octobre, leur crainte de voir leurs manifestations davantage réprimées et critiquées, en comparaison à ce genre d’occupation irréprochable.

L’homogénéité sociale et l’entre-soi peuvent également être le reflet d’un contexte politique inégalitaire, où l’accès à la parole et à l’étiquette « écologiste » est réparti injustement. En témoigne la façon dont les revendications des Gilets Jaunes concernant la taxe carbone ont d’abord été reçues : comme des manoeuvres anti-écologistes et individualistes, plutôt que comme des revendications de justice environnementale. Autre exemple : lorsque les femmes du syndicat de parents d’élèves Front de Mères se sont battues pour l’alternative végétarienne dans les cantines scolaires de Bagnolet, leur démarche n’a pas été qualifiée d’ « écologiste » mais de « communautariste », au prétexte que certaines d’entre elles sont musulmanes17. Comme on le voit, classisme, racisme, islamophobie ou sexisme pèsent sur les représentations de la lutte « écologiste ». Ces injustices doivent être prises pour cible, si l’on ne veut pas que cette étiquette soit un privilège.

Pour conclure…

« La lutte des classes prend place dans la nature, elle a notamment pour enjeu les ressources que celle-ci renferme. L’environnement joue donc un rôle important dans la construction historique des classes sociales et de leur antagonisme »18. La lutte écologiste aussi : les mots « paix », « non violents » ou « survie de l’humanité », en l’état actuel de leur usage par l’écologie institutionnelle ou « désobéissante », sont des camouflets, des fourre-tout qui permettent d’éviter les questions centrales de la production et reproduction des inégalités environnementales, sociales et politiques. Parce que ces usages confus des mots et des étiquettes ont des effets réels sur cette reproduction, il est nécessaire que les mouvements écologistes, notamment ceux qui se disent « radicaux », tiennent compte de cette intersection entre classe, race, genre et environnement dont parle Razmig Keucheyan19 : qu’ils la prennent pour objet de leur lutte autant que pour principe de leurs alliances. Comme le disent justement les mouvements les plus conscients de l’inégale exercice de la violence sur le territoire français – les mouvements contre les violences policières, les meurtres dans les quartiers populaires et le racisme – tant qu’il n’y aura pas de justice, il n’y aura pas de « paix ».

Jeanne Guien.

Notes
1. ↑ Pour un compte-rendu de cette interview, lire par exemple cet article.
2. ↑ Selon l’expression par laquelle Max Weber définit, dans Le savant et le politique, l’État.
3. ↑ Quelques exemples ? Depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, plus de 300 plaintes ont été déposées à l’IGPN : la moitié ont déjà été classées sans suite. Les policiers responsables de la mort de Lamine Dieng sont toujours en poste. En janvier 2018, la justice a prononcé un non-lieu en faveur du gendarme responsable du tir de grenade paralysante dont l’explosion a tué Rémi Fraisse (la procédure d’appel est en cours, voir ci-dessous). Assa Traoré fait depuis peu l’objet d’une poursuite pour diffamation de la part des trois policiers qu’elle juge publiquement responsables de la mort de son frère Adama ; cinq de ses autres frères ont été condamnés et quatre incarcérés.
4. ↑ Le rapport annuel de Global Witness sur les meurtres des défenseu.r.se.s de l’environnement et des droits de la terre fait état de 164 victimes en 2018.
5. ↑ Citations extraites de Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille (2014), p. 37, p. 40 et pp. 47-49.
6. ↑ Citation extraite de sa contribution à Catherine Larrère, Les inégalités environnementales (2017), p. 41.
7. ↑ À ce sujet, lire cette interview de Lundi matin, et regarder la vidéo, reproduite en bas d’article, intitulée « Nos poumons, c’est du béton ! ». Réalisée par le collectif Femmes Hellemes-Ronchin, elle montre les conditions de vie dans ces « aires d’accueil », autre exemple actuel du racisme environnemental à la française.
8. ↑ C’est le cas, par exemple, d’Europa City ou du T4 à Roissy-Charles de Gaulle dans le Val d’Oise.
9. ↑ C’est le cas, par exemple, du projet Montagne d’or en Guyane, dont l’extension est toujours envisagée, malgré la contestation des populations locales. Pour d’autres exemples, voir Saïd Bouamama, « Planter du blanc » : chroniques du (néo)colonialisme français (2019).
10. ↑ Catherine Larrère, op. cit., p.6.
11. ↑ Ce consensus d’action peut en effet être comparé à celui d’autres groupes de désobéissance civile écologiste, comme par exemple ANV-Cop 21.
12. ↑ « […] en mettant toutes les violences sur le même plan, vous affirmez (sans même forcément le vouloir) un principe d’équivalence entre toutes les utilisations de la violence. Ainsi, la « violence » que vous imputez aux autres méthodes d’action militante peut être comparée, en droit, selon vos dires, à celle d’une personne par quatre fois meurtrière. Vitrines brisées et couteaux tirés sont donc mis en fin de compte dans le même panier […]. D’autre part, vous refusez d’observer des différences entre les utilisateurs de la violence. Violences conjugales et une femme accablée qui tue son compagnon abusif ? Même chose selon cette logique. La BAC qui matraque ; les CRS qui gazent ; la police qui embarque ; les gendarmes qui contrôlent au faciès ; qui frappent au faciès ; qui tuent au faciès ; et les habitant-e-s des quartiers dits « populaires » ou les manifestant-e-s qui se défendent ; qui ripostent ; qui s’énervent ; qui frappent : toutes ces formes de violence sont à évaluer strictement de la même manière ? » (Texte extrait de Lettre ouverte aux militant-e-s de Extinction Rebellion. Les auteur.e.s de cette lettre ont tenu à préciser, au début de celle-ci, que leurs remarques s’ancraient dans une expérience directe des actions de XR, auxquels ils et elles ont parfois participé, et dans une volonté bienveillante de contribuer à l’amélioration des stratégies de leurs camarades par la réflexivité critique. C’est également mon cas.
13. ↑ À ce sujet, lire An open Letter to Extinction Rebellion, texte publié en mars 2019 par Wretched of the earth et cosigné par de nombreux collectifs écologistes, antiracistes, et queers internationaux. Après y avoir exprimé leur enthousiasme face à la diffusion des idées écologistes, les auteur.e.s pointent plusieurs problèmes dans le discours d’XR : sa focalisation sur le futur du dérèglement climatique (alors que tant de personnes en subissent déjà et les causes, et les conséquences), le privilège accordé aux informations « scientifiques » à ce sujet (alors que tant de savoirs indigènes intègrent des principes « écologiques ») et le privilège de classe représenté par la non-violence. « Beaucoup d’entre nous sont confronté.e.s pendant toute leur vie au risque d’arrestation et de criminalisation. Nous devons peser soigneusement les menaces que fait peser sur nous et notre communauté un Etat qui prend pour cibles les personnes racisé.e.s plutôt que les blanc.he.s. La stratégie de XR, et la priorité qu’elle donne à l’arrestation des activistes, est valide – mais elle doit s’accompagner d’une analyse des privilèges ainsi que de la violence policière et étatique. Les membres de XR doivent être prêt.e.s à utiliser leurs privilèges pour risquer l’arrestation, et en même temps mettre en avant la dimension raciale de la police. Bien qu’une partie de cette analyse commence à émerger, elle restera insuffisante tant qu’elle ne sera pas centrale à l’organisation de XR. Pour combattre le changement climatique et ses racines dans les inégalités et la domunation, une diversité et une pluralité de stratégies et de communautés sera nécessaire, dans le but de co-construire le changement. » (texte extrait de An open Letter to Extinction Rebellion, ma traduction).
14. ↑ Ou les « peace keepers », expression dont la lettre ouverte citée en note 12 rappelle très justement qu’elle ne peut être traduite que par « gardiens de la paix ».
15. ↑ Comme on peut le lire dans cet article de Libération (où l’on peut également constater l’utilisation du terme « bisounours » chez les activistes).
16. ↑ Comme le fait remarquer Mathilde Larrère, historienne des mouvements sociaux et du maintien de l’ordre, dans une interview à Reporterre : « l’occupation de la place du Châtelet n’en est pas vraiment une car les membres de XR n’ont pas l’intention de la faire durer. […] Dans une occupation ‘classique’, on reste jusqu’à obtenir ce qu’on a demandé. »
17. ↑ Comme l’a vécu Fatima Ouassak, fondatrice de Front de Mères. Elle le raconte dans cette interview réalisée en juin 2019 pour l’émission Zoom Écologie sur Fréquence Paris Plurielle, concluant qu’ « il y a eu une guerre pour accéder à la parole politique » (l’interview commence à la 33e minute du podcast).
18. ↑ Razmig Keucheyan, « La lutte des classes dans la nature. Classe, race et environnement en perspective historique », Cahiers d’histoire n° 130 (2016).
19. ↑ « L’intersection entre la classe, la race et le genre doit être complétée par une quatrième dimension, qui vient la compliquer en même temps qu’elle est elle-même compliquée par les trois autres : la nature ». Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille (2014), p. 47.

La non-violence n’existe pas ? L’écologie c’est la paix ?

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