Même si le terme décroissance n’est pas forcément le plus heureux, il permet de provoquer un indispensable débat en mettant les pieds dans le plat hégémonique de l’économie, du productivisme, de l’extractivisme, du capitalisme, du Marché, du progrès technologique....
Un article utile, quoiqu’on pense de l’écosocialisme par ailleurs :
La décroissance : le socialisme sans la croissance - En réponse au dernier impair du Monde diplomatique sur l’écologie et la décroissance, Timothée Parrique et Giorgos Kallis rappellent dans cet article les raisons pour lesquelles un socialisme véritable doit admettre que toute croissance infinie, nécessairement matérielle, est impossible dans notre monde vivant, qui est fini.
Qui a peur de la « décroissance » ? Il est des alliances étonnantes : que Le Monde Diplomatique, organe combatif d’une certaine gauche sociale et marxiste française, critique acerbe du système capitaliste, ouvre grandes ses colonnes, pour penser l’écologie et la décroissance, à Leigh Phillips, un représentant du Breakthrough Institute – think tank californien défendant le transhumanisme et la géo-ingénierie au service de l’innovation et des profits de la nouvelle économie numérique capitaliste –, voilà qui doit faire réfléchir sur l’état de désorientation des forces de gauche dites « progressistes » face à la destruction écologique.
Climato-scepticisme insidieux (le changement climatique ne serait qu’un problème technique aussi facile à régler que le fut l’interdiction des gaz à l’origine du trou dans le couche d’ozone dans les années 1980). Apologie aveugle de l’innovation technologique, culte de « l’espèce humaine » toujours capable, par son artifice, d’échapper aux effets néfastes de ses activités sur le monde naturel. Sophismes grossiers qui amalgament l’idée de décroissance avec celles de pénurie et de surpopulation : tout y est dans cet article caricatural (intitulé « Les mirages de la décroissance »). Comment se fait-il que le grand récit du Progrès, de la Croissance voire de la Civilisation fédère dans une commune détestation de l’écologie une idéologie libertarienne « pro-technologie » avec une certaine gauche marxiste française ? À quand un véritable examen critique par le Monde Diplomatique des liens intimes qu’entretient depuis son origine cet impératif de la Croissance avec l’expansion du mode de production capitaliste et sa colonisation du monde ?
- La décroissance, une néccessité vitale, ni de droite ni de gauche, ni socialiste ni anarchiste
- Travailler plus pour détruire plus, ou partager et vivre libre ?
Extraits choisis :
Toute croissance infinie est écologiquement insoutenable
Les socialistes qui critiquent la décroissance affirment que la source du problème, c’est le capitalisme et la croissance capitaliste, pas la croissance économique. Mais voilà, aucune croissance économique n’est soutenable sur le long terme. Une augmentation du niveau de vie matériel nécessite toujours plus de matériaux, peu importe que l’économie soit capitaliste, socialiste, anarchiste ou primitive. Une augmentation du niveau de vie matériel demande donc davantage d’extraction de matériaux et davantage de pollutions (ce n’est pas vrai pour l’augmentation du niveau de vie en général, nous y reviendrons). Aujourd’hui – et ce sera très probablement encore le cas demain –, la croissance économique reste corrélée à l’utilisation de ressources naturelles, ce qui la rend écologiquement nocive.
Certains socialistes rêvent d’un Communisme de Luxe Entièrement Automatisé (Fully Automated Luxury Communism) où les nouvelles technologies permettraient de découpler la production de ses conséquences écologiques. Jusqu’à présent, cela ne s’est jamais produit, loin de là ; et il y a bien des raisons de douter que cela se produise dans un avenir proche. Qu’on le veuille ou non, les économies obéissent aux lois de la physique. La thermodynamique nous dit que l’énergie ne peut être ni créée ni détruite mais seulement transformée, et que sa qualité diminue inexorablement avec le temps. Il n’y a pas de technologie miracle qui puisse rendre la production immatérielle. L’économie est fondamentalement encastrée dans – et donc limitée par – l’écologie.
la croissance économique perdure aux dépens du tissu social ; ce n’est d’ailleurs pas vraiment une « croissance », mais plutôt une appropriation d’une valeur déjà existante mais non-monétarisée.
Certains socialistes veulent le beurre et l’argent du beurre : ils veulent mettre fin à toute exploitation et continuer à produire de plus en plus. Ce n’est pas possible.
Les socialistes le savent bien : le PIB mesure des valeurs d’échange et non pas des valeurs d’usage. Non seulement l’indicateur ne fait pas de distinction entre les activités souhaitables et celles indésirables, mais il ignore simplement tout ce qui n’est pas monétarisé (par exemple, la nature et une partie du travail reproductif). Par ailleurs : il ne tient pas compte des inégalités. Ce que mesure le PIB, c’est le bien-être du capitalisme, pas celui des gens. Arrêtons donc de considérer la croissance économique comme un progrès.
Les valeurs d’usage ne répondent pas à la logique de l’infini. Les besoins humains fondamentaux comme la subsistance, la protection, la liberté ou l’identité suivent des seuils de suffisance : suffisamment de nourriture pour être en bonne santé, suffisamment d’espace de vie pour être heureux, suffisamment de moyens de mobilité pour se sentir libre, etc. L’idée d’une consommation exponentielle pour répondre à des besoins finis est un discours capitaliste, créé précisément pour légitimer l’enrichissement d’une minorité à travers la surconsommation.
NOTES
Ce article rappelle fort à propos quelques notions de base inaccessibles aux partisans cyniques, intéressés et/ou alliénés du capitalisme et de la Croissance, du libre marché et du productivisme.
Cet article semble un peu trop confiant sur le côté "vert" des énergies dites renouvelables, il parle peu des mondes naturels et de leur biodiversité (qui sont pourtant détruits abondamment par la Croissance - les autres vivants ne sont pas d’abord des ressources à gérer mais des êtres autonomes), et ne dit rien sur l’Etat.
Pour un tableau plus complet, il faudrait aussi évoquer que le capitalisme découle de systèmes de société anciens et ancrés, qu’il est allié à l’Etat pour le pillage, la quête de puissance et l’autoritarisme, et que tous deux sont issus de la culture de la civilisation, devenue civilisation industrielle avec l’essor des technologies et du pétrole.
En complément, cet article, qui critique certains courants de la décroissance :
- Décroissance et soumission durable (par René Riesel & Jaime Semprun)
(...)
L’idéologie de la décroissance est née dans le milieu des experts, parmi ceux qui, au nom du réalisme, voulaient inclure dans une comptabilité « bioéconomique » ces « coûts réels pour la société » qu’entraîne la destruction de la nature. Elle conserve de cette origine la marque ineffaçable : en dépit de tous les verbiages convenus sur le « réenchantement du monde », l’ambition reste, à la façon de n’importe quel technocrate à la Lester Brown, « d’internaliser les coûts pour parvenir à une meilleure gestion de la biosphère ». Le rationnement volontaire est prôné à la base, pour l’exemplarité, mais on en appelle au sommet à des mesures étatiques : redéploiement de la fiscalité (« taxes environnementales »), des subventions, des normes. Si l’on se risque parfois à faire profession d’anticapitalisme — dans la plus parfaite incohérence avec des propositions comme celle d’un « revenu minimum garanti », par exemple — on ne s’aventure jamais à se déclarer anti-étatiste. La vague teinte libertaire n’est là que pour ménager une partie du public, donner une touche de gauchisme très consensuel et « antitotalitaire ».
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